Il a fait la réputation de cette petite ville du sud de l’Essonne. Abreuvée par les sources locales, le cresson de fontaine de Méréville surprend toujours par son goût herbacé et légèrement piquant, particulièrement prisé en restauration. Si la consommation chute et que le nombre de producteurs baisse, l’objectif est de séduire une nouvelle clientèle et de vendre le cresson également en été.

Vu du ciel, le territoire de Méréville est constellé de parcelles géométriques en bordure de la Juine et de ses affluents. Dans ces bassins, le cresson de Méréville s’épanouit à la faveur des sources du secteur et d’un microclimat lié à ces vallées profondes. Depuis la fin du XIXe siècle, le sud du département s’est fait une spécialité de cette culture, à tel point que cette aura géographique associe désormais naturellement le produit et la ville. Tout cela est le fruit d’un coup de génie de Charles Lefèvre, premier cressonnier de Méréville. En 1894, alors que la plante est très largement consommée par la population et que plusieurs territoires de la région parisienne en produisent déjà (notamment autour de Chantilly), il se lance à son tour. Son initiative fait des émules dans la commune jusqu’à devenir un épicentre de la production.
La plante aquatique, une brassicacée comme le navet ou le radis (à ne pas confondre avec le cresson de terre ou alénois), est avant tout un produit d’hiver. Il s’en vend cinq fois plus qu’en été et la plupart des producteurs le proposent de novembre à mars. Même si certains aimeraient le désaisonnaliser davantage pour qu’il gagne en visibilité. La restauration a toujours été un débouché sûr et représente 30 % du marché. «Les chefs connaissent bien le produit, souligne Olivier Barberot, propriétaire de la cressonnière La Villa Paul, créée par son aïeul en 1897. Seulement, ils l’utilisent plutôt par touches, alors ils commandent généralement de petites quantités.» Les deux variétés qui dominent les étales ont des profils gustatifs bien distincts. Le cresson parisien, au bouquet vert foncé, présente un piquant plus prononcé, proche du radis noir, que le cresson blond, plus pâle et plus doux. «Le moment de la récolte conditionne aussi le niveau d’amertume. En plein hiver et en fin de saison, elle est plus forte.»
Récolte en eau froide
Désormais, le producteur est confronté à un enjeu bien différent: préserver cette culture emblématique (il ne reste plus que neuf producteurs à Méréville) et stimuler l’intérêt pour le cresson. Sa consommation n’a plus rien à voir avec celle du passé et la filière perd chaque année des producteurs. «Les Français en consomment 5 g par habitant et par an. En comparaison, c’est 50 g par habitant au Royaume-Uni.» Les quelques grosses exploitations rachètent les petites cressonnières à céder, et un travail de fond est mené pour renforcer la notoriété du produit. Plusieurs producteurs du sud-Essonne ont créé la marque collective Cresson de Méréville. Une première étape dans le long chemin vers l’IGP. Les producteurs espèrent en effet distinguer leurs cultures par cette appellation, d’ici quelques années. La filière française du cresson de fontaine compte en effet une soixantaine de producteurs, dont certains implantés dans les Hauts-de-France, la région lyonnaise, en Bourgogne ou encore dans le Lot-et-Garonne, où la production est plus industrialisée. Les 24 exploitants essonniens conservent une approche traditionnelle avec des méthodes de travail qui ont peu évolué depuis le XIXe siècle.
Si la plante ne nécessite pas de soins particuliers, la récolte est peu mécanisable et les bouquets sont majoritairement collectés à la main. Une cueillette rude, les mains immergées dans une eau à quelques degrés. «Mon père a bricolé une machine qui nous permet de couper les feuilles au ras de l’eau. Cela nous donne des feuilles en vrac, mais cela correspond à une faible demande», énonce Olivier Barberot, en précisant que l’appareil massif doit malgré tout être tracté à bras sur les minces rebords des bassins. Pour atténuer les effets des aléas climatiques, il a installé des serres informatisées pour réguler l’atmosphère de production. Certains hivers, le manque de luminosité freine considérablement la pousse, jusqu’à enlever un tour de récolte. Chaque bassin permet jusqu’à six récoltes tout au long de la saison. «Le problème, ce n’est pas la production. Nous avons surtout besoin d’exister chez les distributeurs.»