Ce produit traverse peu les limites de la Bretagne. Le gwell dispose pourtant de nombreux atouts pour les producteurs et les consommateurs. Par chance, la filière se densifie autour d’un ambitieux projet d’appellation d’origine protégée, qui devrait permettre de valoriser plus largement le produit et son terroir.
Le gwell est une sorte d’ovni dans la famille des produits au lait fermenté. Ni yaourt, ni fromage, ce gros lait prend corps à basse température, jusqu’à obtenir une texture soyeuse et filante au goût frais et acidulé. Connu depuis une trentaine d’années sous cette dénomination, « pour démarquer le produit des autres laits fermentés sans cahier des charges », le gwell est issu d’une tradition bretonne bien plus ancienne. « Il a toujours été produit en Bretagne, mais selon les zones géographiques, on l’appelait de différentes manières », explique Stanislas Lubac, animateur de l’Association des paysans producteurs de gwell. Pour préserver ce savoir-faire mais aussi la typicité du produit, il est fabriqué uniquement à partir de lait de races bretonnes, essentiellement Pie Noire et Froment du Léon, particulièrement adapté à ce type de transformation.
La volonté est aussi d’apporter des débouchés aux races locales pour les sauvegarder. L’association a d’ailleurs entamé une procédure de reconnaissance en AOP en 2018. A l’heure actuelle, 13 producteurs fabriquent du gwell et une dizaine de porteurs de projets sont en passe de se lancer. «On sera l’une des plus petites AOP de France, et la première exclusivement fermière et bio, s’enthousiasme Stanislas Lubac. En effet, la fabrication du gwell fait exclusivement appel aux éléments présents sur la ferme, y compris le ferment qui est propre à chaque exploitation. «Le gros lait est ensemencé avec un gwell de la semaine précédente. Les microorganismes s’entretiennent donc années après années, ce qui en fait un produit très stable d’un point de vue microbiologique.» Le gwell coche ainsi toutes les cases pour espérer décrocher le sésame.
Un ingrédient couteau-suisse
La filière recèle, en effet, un beau potentiel et espère séduire plus largement les consommateurs et les professionnels. Si les volumes n’ont pas vocation à atteindre des proportions industrielles (environ 40 tonnes actuellement), les producteurs espèrent tout de même augmenter de 50 % la quantité annuelle pour séduire des marchés en dehors de la Bretagne, où se fait l’essentiel des ventes pour le moment.
Selon ces défenseurs, qui a goûté au gwell ne peut plus s’en passer ! Le chef Florent Piard, fondateur des Résistants (Paris 10e), est dithyrambique sur le produit et en passe 1,5 tonne par an. « J’ai toujours travaillé avec le gwell, il est devenu très important dans ma cuisine. Il s’utilise aussi bien avec de la viande que du poisson, juste égoutté pour amener une texture de labneh, ou pour réaliser une glace au gwell. Sa douceur et son côté acidulé sont très intéressants. Chez nous, il remplace le yaourt et le fromage blanc dans les approvisionnements. »
Sa dimension économique vertueuse est également un atout à l’heure où les professionnels de la restauration veillent à des achats plus raisonnés. Le produit n’est pour l’instant pas référencé dans les mercuriales et le sourcing se fait en direct. « Le gwell amène beaucoup de valeur ajoutée pour les fermes, car sa production demande peu de lait. Un litre de gwell, c’est seulement un litre de lait. Et puis les races utilisées sont synonymes d’une conduite d’élevage et d’un système agricole qu’on défend », poursuit le chef. Des producteurs envisagent même d’élargir les débouchés grâce au gwell, en utilisant le ferment pour des productions fromagères. Autant de perspectives culinaires à suivre.