Au rayon des condiments, le raifort n’a pas à prouver sa valeur. Pourtant, la racine cultivée en Alsace doit redoubler d’efforts pour imposer son profil gustatif atypique et pourtant si intéressant. La filière, l’une des plus petites de France, se démène pour préserver cette production et s’emploie à faire monter le produit en gamme.
Le raifort aime la discrétion. Que ce soit dans l’assiette, où il s’utilise avec subtilité, ou dans sa réputation. Ce crucifère n’en reste pas moins un atout pour le goût, reconnu par le Collège culinaire de France. Notre pays produit du raifort depuis longtemps. En Alsace, seule région où la racine est cultivée, c’est un incontournable de la gastronomie locale. Pour autant, avec son piquant et son goût singulier, il cache un potentiel inexploité en dehors des bords du Rhin.
«C’est un produit qu’il faut goûter à de nombreuses reprises pour le comprendre, estime Alain Trautmann, directeur général d’Alélor, le seul transformateur français, labellisé Entreprise du patrimoine vivant et installé à Mietsheim (Bas-Rhin), en plein cœur de l’aire de production du raifort. C’est très binaire, on aime ou on n’aime pas. On ne peut pas tricher.» En France, on trouve essentiellement de la pâte de raifort, prête à l’emploi. Pour autant, d’autres usages sont à envisager, notamment cru et râpé, comme c’est l’habitude en Allemagne. «Dans les pays germanophones, on râpe la racine pour terminer le plat devant le client. On a la primeur du produit, un peu comme on le fait avec la truffe, cela amène un côté sympathique au service et de la fraîcheur au plat.»
Depuis une décennie, les consommateurs ont éveillé leurs papilles à ce goût piquant grâce, notamment, à la popularisation du wasabi. Une notoriété qui permet au raifort de se placer désormais en challenger. Avec son goût de graine de moutarde qui rappelle en arrière bouche celui du navet, le raifort se révèle un atout pour donner du relief en assaisonnement. «Le tout c’est de savoir le doser, souligne Pierre Geiss, technicien de la Chambre d’agriculture du Bas-Rhin, chargé de la filière du raifort. Le raifort vient relever sans agresser, il faut être subtile.» De là, toutes les options sont ouvertes, car la racine s’associe facilement avec viandes, poissons et légumes, jusqu’aux fromages. Elle aromatise une chantilly, donne du corps à une sauce, du peps à une vinaigrette.
Seulement 20 hectares cultivés
C’est assez rare pour être souligné, la France est autosuffisante sur ce produit. Une quinzaine de producteurs exploitent moins de 20 hectares de raifort, une très petite surface, mais suffisante pour couvrir la demande nationale. Pour autant, l’avenir de la filière n’est pas étincelant. « C’est une culture délaissée, regrette Pierre Geiss. La surface cultivée est si petite que personne, ni les semenciers, ni les fabricants de matériels ne s’y intéressent. Il n’y a pas d’innovation, pas de sélection variétale, ce qui nous limite. » La rigueur du travail, essentiellement manuel lors des récoltes à l’automne et durant l’hiver, n’encourage pas les agriculteurs à persévérer, même si le raifort apporte une diversification bienvenue durant la période creuse. Le changement climatique pose également la question de l’irrigation, car les rendements des dernières années ont pâti de la sécheresse. Pour les inciter à persévérer, la filière entend jouer la carte de la rareté. « On doit rendre le raifort encore plus noble, note Alain Trautmann, chez Alélor. D’ici 10 ou 20 ans, on fera partie des légumes oubliés. Mais c’est peut-être un mal pour un bien, car les légumes oubliés finissent toujours par revenir. »