La reconversion fantasmée

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La restauration incarne pour beaucoup d’actifs l’alternative rêvée aux carcans du monde de l’entreprise. S’y reconvertir est souvent perçu comme le remède miracle. Mais, pour ceux qui sautent le pas, les fantasmes se heurtent souvent à une réalité complexe.

Reconversion professionnelle
Reconversion professionnelle. Image d'illustration.

Crise de la quarantaine, lassitude, licenciement, fin de carrière…

Elles sont pléthore les raisons pour lesquelles des actifs envisagent de changer de voie et de se reconvertir. 63 % des Français affirment avoir déjà pensé à changer totalement de carrière et un sur trois avoue avoir eu l’envie d’ouvrir un restaurant. C’est la fierté que leur procurerait l’exercice de ce métier qui est mise en avant par 81,5 % des sondés. Mais les actifs ne sont pas dupes quant aux difficultés auxquelles font face les professionnels de la restauration : ils sont 90 % à penser qu’il est indispensable d’être accompagné par un professionnel pour réussir une ouverture et pérenniser son entreprise.

La surexposition médiatique de la cuisine depuis une dizaine d’années n’a fait qu’amplifier ce phénomène d’attrait pour le métier de chef et a nourri le rêve de faire un « métier de passion ». Sylvaine Pascual, spécialisée dans la reconversion avec son cabinet Ithaque Coaching, précise : « C’est ce qu’on appelle l’effet “Top chef” . La restauration est devenue glamour, elle fait rêver toute personne qui se débrouille un peu derrière les fourneaux. Mais entre le rêve et la réalité, le choc est parfois difficile à encaisser. J’ai vu beaucoup de gens abandonner lorsqu’ils ont pris la mesure du travail et de l’implication que demande ce milieu. Il ne faut pas sous-estimer la relation client, le management, la gestion des stocks, etc. » Ils sont nombreux toutefois à franchir le pas chaque année.

« AU DÉBUT C’EST DE LA SURVIE »

Souvent, c’est en couple qu’ils se lancent dans l’aventure. Après une carrière internationale dans l’audiovisuel pour lui et l’architecture pour elle, Denis Gautier et Mireille Combes ont créé, à l’orée de leurs 50 ans, un restaurant gastronomique à la campagne, Le Clos Caché à Escamps (Lot).

« On n’a pas le droit à l’erreur. Tout investiret plonger à l’aveugle est la pire décision à prendre. Nous avons commencé en achetant du matériel d’occasion afin de limiter les coûts. Nous avons restauré nous-mêmes la vieille ferme qui sert aujourd’hui de restaurant. Notre pari a été de ne dépendre de person ne, financièrement notamment. Au début c’était difficile, on tâtonne, on expérimente, on se trompe. Bref, c’est de la survie, mais aujourd’hui notre liberté est grisante. » Si la détermination est le moteur principal pour mener à bien sa reconversion, savoir s’entourer est également indispensable. C’est ce que confirme Frédérique Noiret, fille de l’acteur Philippe Noiret, qui, après une carrière dans le cinéma (en tant que première assistante puis agent) a décidé de changer de vie et de passer un CAP cuisine. La voici aujourd’hui à la tête du bistrot Au Coup de torchon à Paris.

« Recommencer à zéro n’a pas été facile. Une femme de 50 ans qui retourne sur les bancs de l’école, ça fait forcément jaser. Sans surprise, le monte-charge était rarement libre pour moi. Mais je n’ai rien lâché et j’ai eu la chance de rencontrer des personnes formidables, notamment le professeur Bernard Charron et Vincent Sitz (La Villa corse, Baltard au Louvre) qui sont encore là aujourd’hui si j’ai le moindre doute.

Connaître la vie en cuisine avant d’être restauratrice était, selon moi, indispensable. Gérer un restaurant c’est une autre histoire. J’ai appris sur le tas. C’est avant tout de l’humain mais, avec le recul, une formation spécifique m’aurait fait gagner du temps. »

Ducasse Éducation propose neuf semaines de formation intitulées « L’essentiel des arts culinaires ».

DE RESTAURATEUR À ENTREPRENEUR

À l’heure où les restaurateurs doivent être « entrepreneurs » pour faire prospérer leur business, le manque de professionnalisme et de formation mène bien souvent les néorestaurateurs droit dans le mur. Les écoles de cuisine ont identifié ces lacunes et proposent désormais des formations spécifiques pour adulte. Chez Ducasse Éducation par exemple, la formation de neuf semaines appelée « L’essentiel des arts culinaires » débouche sur un titre de niveau 5 de cuisinier entrepreneur. « Notre diplôme de cuisine sur huit mois ne convenait pas à tous les profils, notamment ceux qui voulaient lancer une affaire et pas intégrer une brigade, souligne le responsable pédagogique, Dimitri Amouroux. C’est pourquoi cette formation a été imaginée en 2012. Elle est plus courte mais n’en est pas moins portée sur la pratique. On y distingue trois profils : ceux qui savent déjà où ils vont et désirent affiner leurs projets, ceux qui ont une petite idée et veulent y voir plus clair et ceux qui sont simplement attirés par la cuisine mais qui se cherchent encore. » Dans le même esprit, l’école de cuisine et hôtelière Ferrandi a lancé, début septembre, une formation dédiée de trois mois baptisée « Incubateur », qui comprend le développement du concept, le management opérationnel, le marketing, le business plan et une mise en pratique du projet dans un espace modulable. Un accompagnement nécessaire selon Françoise Merloz, directrice adjointe de Ferrandi, qui note une exigence et une passion toujours grandissante chez les personnes en reconversion :

« L’effet “Top chef ” et ses paillettes s’estompe. Les stagiaires sont mieux renseignéssur le milieu car, pour eux, c’est un choix de vie crucial. Il ne leur manque que les outils et l’encadrement pour se lancer. » Finalement, être reconverti c’est aussi appréhender un nouveau métier avec une sensibilité unique qui permet une approche originale. Au Clos caché, Mireille et Denis défendent une cuisine libre et créative qui dénote des codes traditionnels. « On aime ne rien faire comme tout le monde. Chez nous, par exemple, l’accord mets-vins est capital. Nous avons donc imaginé un système au prorata où les bouteilles se partagent entre les tables. À l’opposé, ne pas être issus du giron entraîne des difficultés de reconnaissance : les guides et les instances régionales nous snobent. J’ai l’habitude de dire que nous sommes plus connus à Hollywood qu’à Lalbenque, qui est à 10 km d’ici. » Chez Frédérique Noiret c’est la relation client qu’on soigne particulièrement. « Ici on entre en me serrant la main et on ressort en me faisant la bise. C’est pour ça que je voulais un petit restaurant (35 places assises, NDLR) . Aujourd’hui, dans le milieu, on cible souvent les clients en disant qu’ils n’ont plus de respect pour nos métiers. C’est en partie vrai mais c’est aussi de notre faute : pendant trop longtemps on s’est moqué d’eux. C’est toute la culture de la restauration qui doit changer et c’est ce que j’essaie modestement de transmettre à mon échelle. »

Il y a une typologie de professionnels que la restauration attire particulièrement : les sportifs pour qui la reconversion n’est pas une option mais une nécessité. Véronique Barré, du cabinet Trajectoires Performance et auteur du livre Le Sport, des médailles et après ? analyse : « Ce qui les séduit dans la restauration ce sont les relations humaines. C’est moins effrayant que le monde de l’entreprise qu’ils n’ont jamais connu. Ils ont cependant tendance à se dévaloriser et j’essaie de leur montrer qu’ils ont des connaissances uniques pouvant s’appliquer à de nombreux domaines. Je me souviens de ma rencontre avec le footballeur Steve Savidan qui avait pensé tout le fonctionnement de sa discothèque à Angers autour du concept des trajectoires, comme dans son sport. C’était impressionnant. Cependant, beaucoup croient que leur argent suffit à pérenniser une affaire. C’est l’erreur la plus courante et elle est fatale. C’est pourquoi je les pousse à se renseigner, à se former et à comprendre les dessous de ces métiers. » En Bretagne, le footballeur Romain Danzé ne s’est pas fait piéger. À 32 ans, le défenseur emblématique du Stade rennais pense déjà à l’après et a investi dans des établissements, notamment le BDS, un bar convivial : « Je me suis vite rendu compte que c’est un milieu très difficile et que je n’avais pas les compétences pour gérer un établissement de façon optimale. C’est pourquoi lorsque le STD Group (société de la famille Sturm Thipthiphakone qui possède plusieurs affaires à Rennes, NDLR) m’a approché pour qu’on imagine ensemble le BDS j’ai fait confiance à leur expérience. Je leur fournis mon image et mon argent et, pour le moment, tout se passe très bien ! »

Dimitri Amouroux, Ducasse Éducation

« Au début, nous ne savions même pas ce que valait notre prestation. Nous avons donc invité des professionnels et des chefs en leur demandant de payer ce qui leur semblait juste. Résultat : c’était plus que ce qu’on avait imaginé ! » Denis Gautier et Mireille Combes.

Sylvaine Pascual, Ithaque Coaching

Françoise Merloz, directrice adjointe de Ferrandi

Véronique Barré de Trajectoires Performance

« La reconversion à plus de 50 ans c’est comme un jeu vidéo : vous avez droit à une autre vie »,
Frédérique Noiret.

NOTE

1 Étude réalisée fin juillet 2018, pour Emergence Concepts, par l’institut d’études EasyPanel auprès d’un échantillon de 1 000 personnes représentatives de la population française de 18 ans et plus.

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