Cuisine traditionnelle, une cuisine tendance

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Bistrots, brasseries, bouillons et quelques routiers de la capitale ont le vent en poupe. Différents modèles de restauration s’appuient sur la cuisine française traditionnelle – et celles de ses terroirs – pour attirer une clientèle diversifiée et avide de plats réconfortants. Une tendance qui semble s’installer durablement.

Crédit : desprezmarie.studio

C’est un paradoxe français qui semble enfin évoluer. Il est effectivement difficile, dans certains quartiers de la capitale, de trouver une table abordable proposant des plats du terroir français. En termes de rapport qualité-prix, l’offre de restauration en cuisine asiatique ou italienne est (encore) souvent plus attractive.

Mais, depuis quelques années, une inversion des choses se dessine… au profit de l’art culinaire tricolore. « Ces 15 dernières années, il y a eu beaucoup de développement sur la cuisine étrangère, qu’elle soit chinoise, japonaise, italienne ou vietnamienne, analyse Éric Coursières, professionnel de la restauration depuis 20 ans et gérant du Plomb du Cantal Rive droite (Paris 10e). Mais maintenant il y en a tellement ! Beaucoup de restos français ont été remplacés, donc on est moins nombreux. […] Je remarque qu’ils marchent plutôt bien. J’ai l’impression que la gastronomie française – pas la haute gastronomie – cartonne. Il y a quelques enseignes qui se dégagent et on en profite aussi. »

Margot Dumant, à la tête des routiers Les Marches (Paris 16e) et Aux Bons Crus (Paris 11e), fait un constat assez similaire. Depuis quelques années, la restauratrice observe que la cuisine traditionnelle hexagonale attire une clientèle rajeunie : « Il y a eu un trop-plein de restos italiens qui se sont installés partout. Ensuite, dès 2017, il y a eu des restaurants comme Bouillon Pigalle, puis le groupe Nouvelle Garde [dès 2019 avec Brasserie Bellanger, Paris 10e ; Brasserie Dubillot, Paris 2e et Brasserie Martin, Paris 11e, NDLR] qui ont beaucoup joué sur une nouvelle mode. Les gros mastodontes s’inspirent des petits et on peut voir la cuisine française mise à l’honneur un peu partout. » Cette cuisine française classique, Margot Dumant a littéralement baigné dedans.

Son père, Jérôme Dumant, avait ouvert L’Auberge Bressane (Paris 7e), en 1992, avant de multiplier les adresses de ce genre, aux côtés de son frère Stéphane. « L’idée est de faire un resto français proposant une formule déjeuner intéressante, à 19 € Aux Bons Crus et 20 € aux Marches. La formule change tous les jours aux Marches avec des plats canailles. Nous avons une clientèle de quartier de l’ouest parisien, et même de Garches ou Sèvres, avec beaucoup de travailleurs indépendants – des avocats notamment – des touristes français ou des retraités. On est dans le guide Les Routiers, lesquels viennent chez nous, mais aussi des touristes étrangers », précise la restauratrice, exerçant avec son frère, Félix Dumant (voir Réussite, page 16).

C’est donc une clientèle variée sur laquelle peut s’appuyer cet établissement situé à proximité du Palais de Tokyo, du Musée d’Art Moderne et de la Tour Eiffel. « On a des équipes très pros, sympas, assez jeunes et qui aiment parler avec les clients. Ici, on a le côté nappes à carreaux et la gouaille parisienne. On retrouve cet esprit où on trinque avec les voisins et sympathise avec les serveurs », ajoute la jeune femme.

Le modèle de son restaurant, où tout est fait maison dans le respect de la saisonnalité, s’appuie sur des « produits pas chers à l’achat, comme du chou farci ou des rognons », du « cœur de rumsteck » ou de la « tête de veau », qui ont « un prix très abordable » et permettent d’être « honnête sur le prix de revente ». Grâce à un ticket moyen plus bas, les clients sont ainsi plus disposés à prendre une bouteille de vin durant leur repas. « Nous travaillons beaucoup avec des vignerons en direct, note Margot Dumas. Nous avons une carte de vins avec des bouteilles abordables et sympas. »

Depuis la fin des années 2010, et davantage encore à la suite du Covid, de nombreux professionnels du CHR observent un regain pour la cuisine française traditionnelle. « J’ai l’impression que ça revient pas mal, on veut des plats réconfortants avec des prix convenables, c’est une formule qui marche bien, remarque Michel Puech, cofondateur de la Brasserie Pastis (Paris 8e), du restaurant Biche (Paris 8e) et tout récemment de Margaux (Paris 16e). C’est une cuisine qu’on connaît, des plats de nos parents et grands-parents, c’est rassurant. Le bistrot familier, c’était perdu : je mets du cœur à retrouver cela en cuisine, avec les clients, pour un bon rapport qualité-prix. » Originaire de la région nîmoise, le restaurateur offrait une cuisine provençale dans sa première adresse parisienne, Chez Cézanne (Paris 16e), avant de dupliquer le concept avec Pastis. « Je me suis ensuite plutôt spécialisé dans le bistrot traditionnel français », précise-t-il.

Ainsi, pot-au-feu, bœuf bourguignon ou blanquette se retrouvent sur la carte de Biche. Associé au chef Paul-Alexandre Laumont, son envie est de mettre à l’honneur les plats de sa grand-mère, la bien nommée Margaux. « On a la même base de carte, mais on l’a fait évoluer avec des vol-au-vent, des coquillettes au jambon et à la truffe. » Seulement un mois après l’ouverture de cette table (Margaux), rendant hommage à celle qui l’a élevé, Michel Puech a inauguré depuis quelques jours Blandine, en lieu et place de Chez Cézanne, où on se focalise également sur une cuisine traditionnelle : « Je prends beaucoup de plaisir à améliorer les choses, la restauration est un éternel recommencement. »

Une cuisine, des terroirs

La grande force de la cuisine française réside certainement dans sa diversité, portée par les saveurs des terroirs. Si la cuisine bistrotière ou la cuisine bourgeoise connaissent un regain de popularité, les traditions régionales répondent aussi à une demande. « Les restaurants qui fonctionnent sont de moins en moins généralistes, sauf les brasseries », estime Patrick Sacchetti, fondateur du restaurant Kalank (Paris 20e), axé sur une cuisine provençale.

Dans cet établissement aux allures de cabanon de bord de plage, la carte s’articule autour de plats et de créations du Sud-Est, tout comme les vins et les alcools. On retrouve ici du châteauneuf-du-pape et des flacons de côtes-de-provence, ainsi que des pastis d’exception, à l’instar d’un millésime du Château des Creissauds (Aubagne). « Nous sommes en plein dans les agrumes et citrons de Nice ou Menton actuellement, confie le chef Bastien Veziat. On utilise beaucoup d’herbes et d’huiles qui viennent du Sud, comme l’huile d’olive de Nyons, ce qui nous permet ensuite d’élaborer des recettes. En ce moment, on fait l’aïoli, des panis, plein de recettes comme la daube avignonnaise, la daube de cerf à la provençale… »

Au Plomb du Cantal Rive Droite, 90 % des clients viennent se régaler avec de l’aligot ou de la truffade, préparés avec de la tomme en provenance d’Auvergne. « Je pense que le Covid a joué ! Les gens sont restés chez eux, ils se sont fait des choses à manger, des recettes françaises, analyse Éric Coursières, propriétaire de l’établissement depuis trois ans. J’ai l’impression que ceux qui sont sur ce segment ont envie d’insister et de créer quelque chose d’intéressant et une vraie image. » Tout récemment, Margot et Félix Dumant ont repris L’Auberge du Mouton Blanc (Paris 16e) où la carte se veut justement un peu plus spécifique : « On fera un resto français traditionnel, avec des inspirations de la cuisine normande : les soles à la dieppoise, les moules frites, la crème et les fromages. Cette cuisine est sous-représentée à Paris. »

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