Le « no low » s’installe sans pression

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La bière, désormais alcool préféré des Français, ne fait pas exception à la tendance du « no low », c’est-à-dire sans (no) ou avec peu (low) d’alcool. Les brasseurs ont amélioré leurs techniques de production pour proposer une gamme toujours plus variée, à l’image de ce qui existe en version alcoolisée.

Photo d'illustration : bière et sa bouteille. Crédit : Pixabay.
Photo d'illustration : bouteille et verre de bière. Crédit : Pixabay.

La bière est devenue en 2022 l’alcool préféré des Français, selon le baromètre Sowine-Dynata. Elle dépasse ainsi le sacro-saint vin, même si celui-ci demeure bien ancré dans la culture hexagonale. Comme tous les alcools, la bière n’échappe pas au phénomène du « no low ». La tendance « no low », comprenez sans alcool ou à faible teneur en alcool commence seulement à s’imposer.

En effet, 29% des Français déclarent consommer des boissons « no low » en 2022. Cette nouvelle habitude est davantage suivie par les jeunes générations, puisque 44% des 18-25 ans absorbent de telles boissons. Pour autant, ce phénomène n’est pas à négliger pour les autres tranches d’âge, bien au contraire. « La consommation de sans alcool des 50-65 ans s’élève à 20% », précise ainsi Sylvain Dadé, cofondateur de Sowine. En outre, « les boissons faiblement alcoolisées répondent à une tendance moderne de consommation. Les enjeux de santé et bienêtre prennent une place de plus en plus importante dans les habitudes des consommateurs. C’était en 2022 le seul segment en croissance dans la bière. On le voit très bien sur la génération Y par exemple, et plus encore sur la génération suivante », confirme Christelle Salvado, responsable au sein de la brasserie francilienne Gallia. Un développement du segment de la bière sans alcool est observé depuis trois ans, d’après Brasseurs de France. Cette augmentation représentait 16% en 2021 et 18% en 2022 en grande distribution. Cependant, la « tendance démarre en CHR », indique Magali Filhue, déléguée générale du syndicat. Elle ajoute : « Il y a également une tendance globale sur le “ no low ”, qui accompagne celle forte de la bière à table. »

Les industriels comme défricheurs

« Le CHR est encore trop peu exploité par le “ no low ” », avance quant à lui Yoann Hellot, responsable marketing chez Heineken. Le groupe commercialise, à destination de ce secteur, des bières sans alcool depuis 2018. Il possède dans son portefeuille de nombreuses références de bières à faible teneur en alcool (inférieure à 5%). «Il y a cinq ans, nous avons sorti la Light Ale Halo, à 2,7%, pour voir ce que nous pouvions proposer dans le cadre d’une offre déjeuner, en restant responsables», se souvient Eugénie Mai-Thé, brasseuse en chef chez FrogBeer, une marque de bière qui dispose également de nombreux pubs.

Néanmoins, le succès n’a pas été au rendez-vous. «La boisson n’a pas très bien fonctionné. Le marché n’était pas prêt à cette époque», estime celle qui présente ce produit comme les «prémices» à la gamme sans alcool Incroyable, dévoilée en 2021. «Les brasseurs de plus grande taille, les industriels, ont défriché le terrain et ont permis de créer de la visibilité sur ces produits», justifie par ailleurs Eugénie Mai-Thé, pour expliquer l’évolution qu’a connue la bière « nolow ». «Il s’agit d’un segment qui a explosé au niveau de l’offre ces dernières années. C’est ca qui a enclenché de la demande», complète Yoann Hellot, pour Heineken. Puis il ajoute qu’«historiquement, le peu ou pas d’alcool était peu valorisé et n’était pas bon. Heineken, avec un vrai goût de bière, a participé à l’ouverture de ce segment». Et pour cause, de l’avis général, les premières bières sans alcool ressemblaient davantage à une solution aqueuse qu’à une bière. «Historiquement, la bière sans alcool n’avait pas vraiment de goût. Elle s’apparentait à un jus de céréale insipide. Ces dernières années, il y a eu de vraies bières avec du goût», constate Thomas Deck, cofondateur de la brasserie Deck & Donohue, avec Mike Donohue, installée à Bonneuil-sur-Marne (Val-de-Marne). «L’enjeu est de posséder de la texture céréalière. Aujourd’hui, il existe par exemple un style IPA sans alcool, présentant le côté très aromatique du houblon», développe-t-il.

L’amélioration de la qualité correspond également aux investissements croissants, ainsi qu’aux avancées dans les techniques de brassage. «Il y a eu des progrès en termes de process avec des produits qui sont désormais très proches de ceux alcoolisés», confirme Magali Filhue, de Brasseurs de France. Il existe plusieurs techniques. «Tout d’abord la désalcoolisation, qui est le procédé industriel. Ensuite, on a un même procédé que pour une bière traditionnelle avec les mêmes ingrédients, mais avec des malts spéciaux composés de peu de sucres fermentescibles [qui permettent la fermentation, NDLR]», développe Guilhem Touya, directeur communication et marketing des bières parisiennes BapBap. Par ailleurs, les « nolow » ne sont pas à opposer aux bières fortement alcoolisées. Elles peuvent même se compléter. «Nous n’allons pas basculer vers un marché avec uniquement du sans alcool ou des bières supérieures à 5 %. Elles se complètent. Les dynamiques sont liées », estime Yoann Hellot. Pour Eugénie Mai-Thé, les moments de consommation vont se diversifier. «Les bières très fortes restent attachées à des moments de dégustation. Le «  nolow  » va s’amplifier, mais pas au détriment des autres types de bières. En parallèle, il existe la tendance à réaliser des bières très fortement alcoolisées», décrypte-t-elle. Raison pour laquelle la brasseuse en chef conseille de présenter un «large spectre de bières en termes de degré d’alcool».

Élargissement de l’offre des bières « no low »

Le phénomène ne devrait pas s’essouffler… mais au contraire continuer son développement. La brasserie Castelain y croit. «Nous avons de vraies convictions sur les bières faiblement alcoolisées, affirme Pauline Delille, de cette brasserie située dans le Pas-de-Calais. Il y a également tout un terrain de jeu sur la bière typique, comme l’IPA, avec la micro IPA. Nous ne nous interdisons pas de nous y intéresser.» En effet, le « nolow » peut se nourrir du large éventail disponible du côté des bières alcoolisées. Un avis confirmé par Guilhem Touya, de BapBap, qui a lancé en mars 2023 Bang Bang, une pale ale sans alcool : «Nous avons l’impression que nous sommes au début du “ nolow ”. Aujourd’hui, les brasseries ont en général tendance à sortir des bières blondes classiques sans alcool. Je pense qu’il va y avoir une vraie diversification et un élargissement de la gamme, avec des IPA ou des sour sans alcool.» Même son de cloche du côté de Gallia, qui dispose déjà d’un large choix de « nolow » (IPA sans alcool, Session IPA, Session Weissbier). «La tendance peut être de reproduire tous les styles de bières en version faiblement alcoolisée, et non pas se restreindre aux micro IPA par exemple. Nous pouvons élargir les horizons», avance Christelle Salvado.

Enfin, cet élargissement du « nolow » peut même pousser les brasseurs à voir plus loin et à imaginer d’autres types de boissons. «Je pense que nous nous orientons de plus en plus vers des produits moins alcoolisés. Les frontières se brouillent un peu entre les sodas et les bières sans alcool», admet ainsi Eugénie Mai-Thé, de FrogBeer. Deck & Donohue a décidé de franchir ce pas en créant Ricochet, une gamme de boissons rafraîchissantes sans alcool, aromatisées avec des plantes franciliennes. Preuve que les brasseurs n’ont pas fini de surprendre, avec ou sans alcool.

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