Apéritifs français : vent de fraîcheur

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Dopés par l’attachement au savoir-faire français, les vins aromatisés, liqueurs et anisés de l’Hexagone suscitent un vif intérêt auprès des consommateurs. Pour les valoriser, les professionnels de la restauration misent sur leur univers vintage ancré dans le patrimoine, mais aussi sur des recettes de cocktails légères et une éducation au goût amer.

En 2022, la marque Ricard célèbre ses 90 ans. Image d'illustration.
En 2022, la marque Ricard célèbre ses 90 ans. Image d'illustration.

L’attachement des Français aux produits du terroir ne faiblit pas. C’est ce qu’a pu constater la Fédération française des spiritueux (FFS) lors du dernier Salon international de l’agriculture qui s’est tenu à Paris du 26 février au 6 mars 2022. Avec un public de plus en plus constitué d’amateurs éclairés, qui s’orientent vers des produits ancrés dans le terroir, les recettes historiques de boissons bien connues du public et les maisons artisanales ont la cote. C’est le cas, notamment, des vermouths français et autres apéritifs à base de vins promus par la Fédération française des vins d’apéritifs (FFVA). « Les consommateurs sont en quête de nouvelles saveurs, avec la redécouverte du goût amer. Et le mariage du vin, des épices et des plantes aromatiques, que célèbrent les vermouths, les séduit tout en mettant à l’honneur le patrimoine français », observe Augustin Chazal, directeur de la FFVA.

Qu’il s’agisse de spiritueux comme les anisés, ou de boissons qui relèvent du monde du vin – grandes marques ou petites maisons confondues -leur succès est commun autour du moment de l’apéritif, selon l’expert, de même qu’il s’inscrit dans un univers vintage et une histoire forte.

Une histoire ancienne

Avec 12 millions de bouteilles produites chaque année et une croissance à deux chiffres en 2021, la Maison Lillet fête ses 150 ans en 2022. La marque créée en 1872 par les frères Lillet à Podensac, dans la région bordelaise, a conservé sa recette inchangée depuis le XIXe siècle, composée de 85 % des vins du Sud-Ouest alliés à des infusions de fruits, d’écorces d’oranges douces et amères et de quinquina. « Son packaging, qui rappelle les codes du vin avec sa bouteille aux gravures inspirées de la ville de Bordeaux et ses dorures sur son étiquette aux accents vintage, rend hommage à son héritage et à sa longue tradition », expose Léa Belot, marketing manager de la marque.

Nous n'étions plus éduqués au goût amer […] depuis quelques années, avec l'explosion du spritz, l'amertume revient en force […].
Augustin Chazal, Directeur de la Fédération française des vins d'apéritifs (FFVA)

« Toutes ces maisons et marques historiques comme Byrrh ou Noilly Prat, qui ont connu un succès florissant et qui étaient produites en volumes très importants à la fin du XIXe siècle – en attestent les publicités à foison de l’époque – sont petit à petit tombées en désuétude. Mais, armées de leur imaginaire et de leur histoire riche, elles reviennent et voguent sur la vague de nouvelles recettes qui séduisent les amateurs de produits locaux », raconte Augustin Chazal.

Le succès du St Raphaël

St Raphaël, l’apéritif de France appartenant au groupe Bardinet-La Martiniquaise, a, lui aussi, connu un succès retentissant. « Lors de l’Exposition universelle de 1900 à Paris, St Raphaël disposait même de son propre pavillon et c’est la première marque d’apéritif à offrir aux visiteurs une montée en montgolfière stylisée aux couleurs de son univers avec pour slogan “ Le Saint-Raphaël Quinquina est le plus puissant des vins toniques ”. La France, d’alors vivait ses apéritifs à base de vin », rappelle Stephen Martin, son brand ambassadeur qui a contribué à développer ses deux recettes inspirées de 1830 : le Quina Ambré et le Quina Rouge.

Suze : l’emblème vintage

Côté spiritueux, les codes vintage de la marque Suze (Per-nod), née en 1889, sont forts. En 130 ans d’existence, sa bouteille jaune orangé a très peu changé ! Et « l’emblème de l’apéritif à la française » – 3,5 millions de litres vendus – ne cesse de se réinventer.

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Question look, sa dernière édition limitée a été confiée à Hemma Lange, styliste en up cycling, qui a réinterprété l’étiquette de la bouteille avec un motif de gentiane stylisée. Des codes graphiques décalés, un ancrage visuel dans le patrimoine français… les apéritifs vintage démontrent auprès des consommateurs qu’ils savent valoriser leurs histoires et leurs recettes originales tout en modernisant leur approche pour des consommateurs en quête de sens et de « mieux boire ».

Le retour de l’amertume

« Nous n’étions plus éduqués au goût amer, qui est présent dans les vermouths. Mais, depuis quelques années, avec l’explosion du Spritz, l’amertume revient en force et cela rend ces boissons vintage plus accessibles », commente Augustin Chazal, directeur de la FFVA. Dans le St Raphaël, c’est le quinquina, un ingrédient clé de sa recette, qui apporte une légère amertume au breuvage. « Il faut savoir que dans leur ADN, toutes ces boissons apéritives étaient, à leurs origines, considérées comme des boissons de santé. Le quinquina étant, par exemple, utilisé comme un fortifiant par la médecine. Dès 1900, elles ont quitté le monde du soin pour aller vers celui des apéritifs dans les estaminets, les bistrots et les cabarets », souligne Stephen Martin.

Titrant autour de 15 à 18 °, la plupart de ces vins d’apéritif répondent aussi à l’exigence de contrôle sur sa consommation d’alcool. Servies sur glace, allongées avec du tonic, elles correspondent au besoin de consommation raisonnée du public.

Consommer français

Le vermouth de Chambéry de chez Dolin, Noilly Prat à Marseillan, la Charente avec la Quintinye, Lillet dans le sud-ouest de la France, le RinQuinQuin de Forcalquier… Tous ont en commun un véritable ancrage territorial et des origines 100 % françaises.

« Il y a une carte à jouer, via ces produits, pour valoriser le territoire, la culture de sa région. À l’heure du sourcing minutieux de ce qu’il mange et boit, le consommateur veut avant tout “ siroter ” une histoire locale. C’est cette expérience qu’offrent ces apéritifs vintage », argumente Augustin Chazal.

Le goût de la localité

La Maison Lillet va encore plus loin : non seulement elle s’approvisionne à 100 % en vins de la région mais elle composte aussi ses fruits à moins de 30 km du site de production tandis que la marque Suze valorise des savoir-faire régionaux, comme l’arrachage de gentianes sauvages en Auvergne ou la distillation de plantes aromatiques dans les alambics en cuivre de sa distillerie de Thuir dans les Pyrénées occidentales.

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À Forcalquier, dans les Alpes-de-Haute-Provence, les Distilleries et domaines de Provence jouent à 100 % la carte locale avec leurs cinq spécialités apéritives à base de vins, des recettes traditionnelles élaborées ici depuis 1898. Le RinQuinQuin, leur produit phare écoulé à 60 000 litres par an, est élaboré à base de vin blanc, de pêche, de feuilles de pêchers, de sucre et d’alcool et il entre dans la composition de nombreux cocktails.

« Depuis le grand retour des cocktails dans les années 2000, les barmen rivalisent d’inventivité en puisant dans le registre de ces marques désuètes devenues branchées des sources d’inspiration aromatiques », estime Guillaume Ferroni, ancien barman créateur de la Maison Ferroni. Produits mixables, que l’on peut infuser à son goût et s’approprier à l’infini dans les recettes de cocktails, les vins d’apéritifs constituent une véritable opportunité de singularisation de leur carte apéritive pour les professionnels. Même si chaque maison développe ses propres recettes dont les ambassadeurs font la promotion via des formations aux quatre coins des établissements. Un classique à succès ? L’ajout de 2/3 de Tonic (si possible français) à 1/3 d’alcool, assorti de quelques glaçons et d’un garnish comme une tranche de citron ou de pamplemousse.

La carte de l’artisanat

À l’heure de l’apéritif, le pastis a également modifié son image et redoré son blason. En 1990, Alain Robert, P-DG des Distilleries et domaines de Provence, crée une petite révolution aromatique dans l’univers du « pastaga » en lançant son pastis Henri Bardouin avec une philosophie haut de gamme. « Nous considérons le pastis comme un véritable produit de dégustation. Sa richesse organoleptique doit apporter un agrément à l’eau qui permet de désaltérer. C’est pourquoi il peut se déguster comme un vin », souligne-t-il.

Il faut savoir que dans leur ADN, toutes ces boissons apéritives étaient, à leurs origines, considérées comme des boissons de santé.
Stephen Martin, Brand ambassadeur de St Raphaël

Une nouvelle approche gustative pour le pastis ? Alain Robert vient encore d’innover avec sa jeune référence Henri Bardouin Pastis Prestige. La recette originale, qui mêle 65 ingrédients, s’enrichit ici par l’ajout de rose centifolia, safran de Forcalquier, vétiver et poivre de Sichuan. Quatre « petits nouveaux » qui viennent complexifier d’arômes boisés et de notes fleuries le pastis original des Distilleries et domaines de Provence. Son mode de consommation : allongé avec 6 à 10 fois son volume d’eau pure et fraîche (4 °C) afin de permettre à ses arômes de se libérer.

Une entreprise qui a ouvert la voie de la dégustation pour le pastis ?

Depuis, de nombreuses maisons artisanales de spiritueux ont suivi le mouvement. C’est le cas de Guillaume Ferroni, aux abords de Marseille, avec son pastis millésimé estampillé Château des Creissauds et créé en 2012. « C’est un pastis de domaine qui source nos propres plantes aromatiques sur notre exploitation de 7 ha. On ne travaille que de la plante fraîche marquée par l’intensité des variations climatiques de chaque millésime », justifie Guillaume Ferroni. Son objectif ? Élaborer un pastis de garde, une boisson de collectionneur. « Il est subtilement boisé car on le fait vieillir en fût et il évolue avec le temps », révèle-t-il. La Maison Ferroni pousse encore le bouchon plus loin avec son pastis XO, élevé six ans en fût de cognac ou son pastis de fleurs, élaboré à base de fleurs fraîches.

Ces trois références sont proposées en digestif pur, diluées à l’eau et même intégrées à des recettes de haut vol par les chefs étoilés.

Le pastis est Marseillais, il est le fruit d'une production portuaire car il faut rappeler que la cité phocéenne était la porte d'arrivée des épices.
Guillaume Ferroni, Créateur de la Maison Ferroni

« Le pastis a pris la suite de l’absinthe qui a été abolie au début du XXe siècle. Jusqu’en 1939, période de l’interdiction de fabriquer des apéritifs à base d’alcool, on trouvait toutes sortes de recettes anisées. Et en 1950, à l’heure du grand retour du pastis, on a observé un appauvrissement de la recette avec des produits très similaires », note Alain Robert.

Valoriser l’ancrage géographique

Inscrites à contre-courant de la standardisation du pastis, les maisons artisanales valorisent aujourd’hui la complexité du produit ainsi que son ancrage territorial. C’est le cas, par exemple, du pastis Casanis, fabriqué par le groupe Bardinet – La Martiniquaise, un pastis typique à la double identité corse et marseillaise. Il a choisi non seulement de se distinguer par son ancrage géographique, mais aussi par son mode d’élaboration : c’est l’un des seuls pastis de Marseille élaborés à partir d’une fine distillation d’anis vert et d’anis étoilé et par la lente infusion de la réglisse.

« Pour sortir de l’image industrielle du pastis, il est important que les professionnels valorisent son ancrage. Le pastis est marseillais, il est le fruit d’une production portuaire car il faut rappeler que la Cité phocéenne était la porte d’arrivée des épices. De même, rappelons que la boisson anisée est une tradition méditerranéenne avec l’ouzo, l’arak ou le raki », ajoute Guillaume Ferroni.

En 2022, la marque Ricard célèbre ses 90 ans. Une occasion de passer à la loupe la stratégie d’innovation du groupe Pernod-Ricard auprès de consommateurs de plus en plus exigeants. Car Ricard et Pastis 51, leaders du marché des anisés, représentent plus de 60 % des PDM volumes pour la catégorie Anis * en grande distribution. Pour moderniser son image, le groupe Ricard lance Ricard plantes fraîches en 2018 en valorisant une production locale avec des partenariats agricoles dans le sud de la France, la relance de la culture du fenouil aromatique et l’objectif de porter une agriculture 100 % durable d’ici à 2030.

En 2020, la gamme Ricard Fruités bio élargit le portefeuille Ricard et sa campagne de communication « Born à Marseille » crée la surprise avec une incarnation forte des origines de la marque. De son côté, Pastis 51 (Pernod) se concentre sur le moment traditionnel de l’apéritif. Une façon de valoriser la filière et le produit dans la tonalité d’un marché en quête de sens.

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