Le pastis n’a pas dit son dernier mot

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En déclin depuis quelques années, le pastis a retrouvé le lien avec les Français durant le confinement. Un sursaut lié aux efforts de diversification des grandes marques, mais aussi à ceux des petites distilleries qui mettent en avant des produits authentiques ou des créations originales.

Le marché des pastis et anisés est ancré dans la culture des Français depuis plusieurs générations. Chaque été, les petits jaunes refleurissent sur les terrasses et leur consommation s’étend bien au-delà de la période estivale. Le pastis fait depuis longtemps partie des boissons pilotes des CHR. Apéritif populaire, il reste accessible, convivial. Sur les tables des cafés, les tournées de ce breuvage alcoolisé, mais rafraîchissant, se succèdent encore en toute saison.

La catégorie des anisés détenait d’ailleurs encore en 2019 près de 20 % de parts du marché des spiritueux avec des ventes tous circuits confondus de près de 60 millions de litres, selon Nielsen. Elle n’est dominée que par les whiskys. Pourtant, depuis quelques années les anisés observent un recul récurrent au profit d’autres alcools plus tendance comme le rhum, la vodka ou le gin. Mais surtout, le petit jaune, emblème du zinc, perd du terrain sur le comptoir où il détient moins de 12 % des parts de marché des alcools. Sur ce terrain, il évolue en 5e position derrière le whisky, le rhum, la vodka et même les liqueurs.

Toutefois, 2020, année de confinement, a été bénéfique pour ce marché qui enregistre une hausse sensible de ses ventes. Alain Robert, propriétaire depuis 1974 de Distilleries et Domaines de Provence qui produit à Forcalquier le pastis Henri Bardouin, notait depuis plusieurs années un engouement pour son produit artisanal. Il se réjouit d’avoir enregistré l’année passée une croissance à deux chiffres qui frise les 17 %. Pour lui, les Français ont pris le temps d’aller à la découverte des produits authentiques.

Henri Bardouin symbolise le retour des pastis artisanaux.

« Les Français ne sont pas partis à l’étranger et ont redécouvert le plaisir de l’apéritif à la française. »

Maristella Vasserot, directrice générale de Cristal Limiñana, une des dernières distilleries marseillaises, confirme ce frémissement et s’attend même à une amplification du phénomène cette année. « Les Français ne sont pas partis à l’étranger et ont redécouvert le plaisir de l’apéritif à la française », estime-t-elle. Sa distillerie vend près d’un million de bouteilles de pastis et d’anisés chaque année, dont l’historique Cristal Anis, des pastis comme Un Marseillais, recette basique typiquement marseillaise, ou le plus sophistiqué Phocéa, intégrant de multiples plantes de la garrigue ou encore le Massilia qui sort des sentiers battus en intégrant de la cannelle et de la vanille.

Plusieurs phénomènes expliquent l’essoufflement des anisés et le vieillissement de leur clientèle. D’abord, c’est un marché assez monolithique, outrageusement dominé par deux marques, Ricard et Pernod, réunies dans un même groupe. Même si le succès de Ricard ou de Pastis 51 est incontestable, les nouveautés sur ce marché n’étaient pas légion et se limitaient le plus souvent à des évolutions de packaging, voire à des aromatisations comme avec le 51 rosé.

Deux nouvelles recettes bio 

Ricard vient d’ailleurs de renouveler une nouvelle fois son packaging avec une étiquette plus épurée. Mais surtout, la marque a décidé de miser sur deux nouvelles recettes bio avec deux nouveaux produits (bio citron et bio amande) qui ont débarqué pour l’instant dans le seul réseau caviste. Déjà, en 2018, Ricard avait osé casser les codes en commercialisant un pastis réalisé avec de l’anis issu exclusivement de plantes fraîches et non de badiane. La marque de spiritueux a ainsi fait un pas vers le terroir en utilisant des plantes anisées cultivées par des producteurs du plateau de Valensole, en Haute Provence.

Les deux nouvelles recettes bio de Ricard. 

Les consommateurs sont de plus en plus attentifs à l’authenticité des produits. Ainsi, Casanis mis en avant dans les CHR par le groupe Bardinet la Martiniquaise fait mieux que de se maintenir sur le marché depuis plusieurs années. La marque bénéficie de l’atout de sa corsitude, comme l’explique Jean-Louis Denis, directeur commercial hors domicile chez Bardinet la Martiniquaise : « C’est un pastis qui bénéficie des transhumances. Les touristes qui descendent en Corse ou à Marseille, fiefs de la marque sont séduits et continuent à le consommer une fois rentrés chez eux. » Bardinet La Martiniquaise est d’ailleurs bien pourvue en références bien identifiées puisqu’elle détient aussi dans son portefeuille l’Anis Gras, un alcool qui n’a rien d’une anisette (45 °) et encore très consommé dans la communauté pied-noire.

Un produit qui continue d’avoir des adeptes et qui constitue une originalité aux yeux de nouveaux consommateurs. Ce retour vers des anisés d’origine plus artisanale a été initié par Alain Robert, qui depuis 1990 s’est distingué en créant le pastis Henri Bardouin. Ce produit résolument haut de gamme intègre plus de 65 plantes et épices dont la cardamome, le poivre ou la noix de muscade. Alain Robert le définit comme un pastis de dégustation à boire très dilué (un volume de pastis pour six volumes d’eau) et le préconise même en accompagnement de repas. Il explique que son produit entre dans une nouvelle dimension : « Les jeunes ne rentrent plus sur le marché des spiritueux avec le pastis et les femmes ont du mal à apprécier les boissons anisées, assez agressives. Elles apprécient davantage notre pastis plus doux, plus parfumé… »

« Les touristes qui descendent en Corse ou à Marseille, fiefs de la marque Casanis sont séduits et continuent à le consommer une fois rentrés chez eux. »

L’exemple de la distillerie de Forcalquier n’est pas isolé. De nombreux artisans produisent aujourd’hui un pastis qui arbore fièrement les couleurs de son terroir. Ainsi dans le seul département de l’Aveyron on en compte deux : le pastis Marius Bonal pour la région de Rodez et le pastis des Homs pour le Larzac. On trouve même un pastis breton, Brastis, créé en 2019 à Dinan par Laurent Jouffe. Il vient d’ailleurs de le conditionner en BIB. Paris n’est pas en reste. La capitale a désormais son pastis, celui de la Maison Hamelle, élaboré dans le 11e arrondissement grâce à une recette composée de 13 plantes et épices.

Le challenge du pastis a même séduit Adeline de Barry, propriétaire du Château de Saint-Martin, un des plus anciens crus classés de Provence. Il y a quatre ans, en compagnie de son mari, elle a racheté la Liquoristerie de Provence dont elle a progressivement réintégré les unités de fabrication dans son château varois. Elle a souhaité fixer des exigences de qualité à cette maison ancestrale qui bénéficie de recettes originales. Parmi ces dernières, on remarque trois absinthes (45, 55 et 65 °) et un anis : l’Aqualanca, fabriqué à l’ancienne sans réglisse et le Pastis de liquoriste, un spiritueux riche en arômes de plantes et d’épices. Adeline de Barry a même créé un nouveau produit, le P’tit Bleu, un pastis à la couleur bleue, du plus bel effet sur les terrasses azuréennes. Le marketing s’empare en effet des anisés et de leur image de farniente.

La dernière en date, la création de 12/12, le pastis de Saint-Tropez, vient d’être réalisée par Hugues Cholez et quelques amis au cours d’une partie de pétanque place des Lices, dans le village du Var. Positionnée haut de gamme, cette nouveauté est élaborée par une distillerie marseillaise. Sa recette utilise les parfums spécifiques à Saint-Tropez : la figue, la fleur d’oranger, le myrte et le thym. Hugues Cholez a rajouté une note d’amande en hommage aux nombreux Tropéziens, venus d’Italie, qui avaient l’habitude d’ajouter une goutte d’amaretto dans leur pastis. Cet alcool dénote également par son emballage avec trois étiquettes distinctes signées par l’artiste Quentin Monge et surtout un bouchon en forme de cochonnet. L’imaginaire de la Côte d’Azur reste vendeur et c’est aussi le grand atout du grand produit local, le pastis qui pourrait bientôt connaître des jours meilleurs, poussé par les vents de la diversité et de l’authenticité.

Marie Brizard dans le portefeuille de BLMHD

Le cocktail Marie Zest. 

Depuis mars 2020, le groupe Bardinet La Martiniquaise a repris la distribution de Marie Brizard, la plus célèbre des anisettes françaises sur le marché hors domicile. Il s’agit d’une liqueur où l’anis vert domine. Elle porte le nom de sa créatrice, une Bordelaise qui aurait commercialisé la recette à partir de 1755.

Distillé et non macéré, ce produit haut de gamme a une teneur en alcool qui n’excède pas 25 ° et ses qualités sont de plus en plus appréciées par les mixologues. Pour la mettre en valeur, les équipes de BLMHD ont créé un cocktail simple à réaliser et efficace, dont la recette intègre une dose d’anisette Marie Brizard, une dose de jus de citron vert pressé et trois doses d’eau de tonic, le tout agrémenté d’une boule de concombre. Ce cocktail figure déjà à la carte du bar du Grand Contrôle, le nouvel hôtel de luxe installé dans le Domaine de Versailles.

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