Les alambics ont droit de cité à Paris

  • Temps de lecture : 5 min

Depuis dix ans, les alambics se développent à Paris et en Île-de-France. Les microdistilleries, essentiellement orientées vers la production de gins originaux, tentent d’innover et de se diversifier à travers des ateliers et des opérations événementielles, afin d’assurer une rentabilité difficile à atteindre.

Alambic distillerie
Dernière ouverture en date à Paris, la Distillerie de l’Arbre sec, derrière les caves du Louvre. Crédit Fabienne Delafraye.

Depuis 1914, l’utilisation d’alambics de distillation était proscrite dans la capitale afin de lutter contre l’alcoolisme et de limiter les incendies. Nicolas Julhès, épicier parisien, a été le premier, en 2015, à contourner cette interdiction pour ouvrir la Distillerie de Paris (10e). Deux ans plus tôt, la Préfecture accordait un statut dérogatoire à son alambic Holstein. Celui-ci porte le numéro 751301 : les deux derniers chiffres attestent qu’il s’agit du premier agrément jamais délivré.

D’autres ont suivi depuis. Paris accueille aujourd’hui au moins cinq distilleries, et l’Île-de-France n’est pas en reste. Certains opérateurs ont en effet préféré miser sur la banlieue qui offre des possibilités d’installation plus évidentes en matière d’immobilier. « Fabriquer de l’alcool à Paris, c’est un défi en termes de logistique et de charges. N’oublions pas que près de 40% du prix de la bouteille est absorbé par les taxes sur l’alcool et la TVA », précise Théo Boussion qui a ouvert au début 2022, avec Quentin de Montgolfier, la Distillerie du Viaduc (Paris 12e). Théo Boussion, qui réalise 40% de son CA en boutique et le reste avec les CHR, rappelle que cette clientèle courtisée par les industriels, reste attentive aux prix et que les marges restent étroites.

Les mêmes taxes mais pas les mêmes pertes

Nicolas Julhès
Nicolas Julhès, le fondateur de la Distillerie de Paris, installée dans le 10e arrondissement parisien. Crédit DR.

La fiscalité est particulièrement impactante pour les microdistillateurs soutient Nicolas Julhès : « Le calcul des taxes a été pensé en fonction des installations industrielles dont les pertes d’alcool sont proportionnellement bien inférieures aux nôtres. » Avant de fonder la première distillerie parisienne en 2015, le jeune épicier exerçait parallèlement en tant que consultant chez Diageo. Il poursuivait un double but : créer de nouveaux spiritueux pour son commerce et bénéficier d’un laboratoire pour sa clientèle. Il a ainsi créé de l’alcool d’érable et travaillé pour des opérateurs japonais ou cubains.

« Pour mes propres productions, je me suis inspiré de l’exemple créatif des restaurants gastronomiques, explique-t-il. Aujourd’hui, dans cet univers, on ne raisonne plus nourriture, on s’attache avant tout à générer des émotions et des souvenirs. »

En dix ans, la Distillerie de Paris a ainsi conçu près de 240 recettes différentes. La production retrouve peu à peu son rythme d’avant la pandémie (30.000 bouteilles par an), mais Nicolas Julhès estime que seul son positionnement très particulier permet de rentabiliser une telle activité : « Le secteur a explosé ces dernières années, mais on comptabilise déjà des entreprises en difficulté et même des fermetures. Créer une microdistillerie, ce n’est pas forcément l’idée du siècle si on n’a pas quelque chose d’innovant à apporter sur le marché. »

En effet, la Distillerie du viaduc met l’accent dans son gin sur sa baie de genièvre auvergnate et son gingembre du Val de Loire. Avec son alambic cognaçais à repasse, elle a aussi su se diversifier avec des eaux-de-vie de bière, de vin, de fruits, un vermouth et le Pastiche (forme de pastis avec zéro sucre et où l’anis vert français vient remplacer l’anis étoilé).

Un positionnement haut de gamme

La plupart des acteurs se concentrent, cependant, sur le gin, facile à produire, à personnaliser et rapidement disponible à la vente. Un whisky requiert, lui, une base brassée, mais aussi trois ans de vieillissement. Ce marché est néanmoins restreint et contraint les microdistilleries à se positionner dans le très haut de gamme avec des coûts qui montent en flèche. « Nous utilisons, par exemple, de la baie de genièvre française qui coûte entre 70 et 110€/ kg, alors que la plupart des fabricants ont recours à des baies albanaises vendues 35€/kg », indique Charlotte Buisson-Dackow, qui a ouvert en plein centre de Paris la Distillerie de l’Arbre sec, une structure qui vise une production premium et une activité liée à l’animation.

Cette option d’ateliers est présente chez d’autres opérateurs parisiens comme la Distillerie du Viaduc qui, chaque semaine, réunit huit personnes pour une initiation au gin. Baccae (Paris 4e), créé par Julien Roques en 2017, s’est aussi diversifié avec des ateliers de fabrication de gin ou d’assemblage de whisky. Julien Roques qui exploitait précédemment ici un bar-restaurant, a conservé sa salle et son comptoir pour mettre en place des soirées privatives ou événementielles. Avec son alambic Müller à colonne (230 litres), il produit du gin et des eaux-de-vie qu’il commercialise dans sa boutique et à destination des CHR. Il propose même à cette clientèle spécifique des recettes sur mesure comme il l’a fait pour le groupe Bertrand ou pour le Ritz. Il conditionne aussi certains de ses produits à destination des bars en BiB.

Baccae Gin
Baccae mise sur la production de spiritueux, les ateliers et l’événementiel. Crédit DR.
alambic Müller à colonne
Alambic Müller à colonne de Baccae. Crédit DR.

D’agriculteur à distillateur

À 30km du périphérique, la Distillerie d’Isle de France (Seine-et-Marne) cultive une image bucolique des spiritueux. Agriculteur de son état, Olivier Flé a mis en place cet outil en 2019 dans une de ses anciennes étables. Il rêvait initialement de distiller les céréales de sa ferme, mais pour des raisons pratiques et financières, il s’est orienté vers le gin, en lui conférant des arômes de terroir avec des fruits et des aromatiques locales. Olivier Flé a également fait du rhum en distillant dans son alambic de la mélasse de Cuba ou de l’eau-de-vie de bières, en récupérant quelques brassins.

Mais depuis quelques mois, il est revenu à son objectif de départ, le whisky, en se lançant dans une longue production de rye, réalisée avec du seigle récolté sur son exploitation et brassé par De Sutter, à Gisors (Eure). « Nous voulions montrer qu’avec nos outils nous pouvions faire des produits comme du rhum ou du gin que l’on ne trouve pas ailleurs », détaille Olivier Flé. Avec le rye, il revient à une expression plus nette de son terroir mais reconnaît que la rentabilité de cette activité est difficile. « Au début, nous avons peut-être sous-estimé les actions de commercialisation en privilégiant la production. Mais c’est d’abord une entreprise d’amitié, de partage, de goûts, de saveurs et de voyages qui m’a permis d’élargir mon métier d’agriculteur. »

PARTAGER