Réinventer sa consommation

  • Temps de lecture : 11 min

Si le whisky est encore en tête des ventes, il ne croît plus en volume. Pour résister à la montée en puissance des alcools blancs, les tabous tombent en faveur d’une consommation plus décomplexée. Exit la philosophie puriste consistant à le boire sec, place à de nouveaux usages qui peuvent bien, à terme, révolutionner ce marché.

La France est championne du monde de la consommation de whisky. Avec une part de marché globale de près de 45 %, ce dernier tient toujours la première place sur l’ensemble des circuits, devant le rhum et la vodka. 80 % de ses volumes sont réalisés en GMS, 20 % sur le circuit hors domicile. Néanmoins, c’est un marché qui est arrivé à maturité et qui accuse un léger recul en CHR de 2,5 % (voir encadré sur les ventes de whiskys en CHR). En cause, les blends de moins de 12 ans, « une catégorie peu valorisée par son positionnement prix dans l’esprit du consommateur, perçue comme entrée de gamme, et qui impacte le segment tout entier », analyse Mathieu Andre-Febrero, manager Niel sen Sales Force Activation. A contrario, les autres segments sont plutôt bien orientés, les japonais et les américains en tête. Une tendance globale confirmée par C 10 : « Le whisky reste le premier segment chez nous, avec une part de marché volume à 16 % et une part de marché valeur à 20 %, suivie de très près par les rhums à 18,9 %. La catégorie souffre cependant légèrement, elle a perdu 0,8 point de part de marché en début d’année quand les rhums ont gagné 0,9 point de part de marché, pour un chiffre d’affaires qui a néanmoins progressé à + 10,9 % », souligne Camille Delettrez, responsable marketing. Le premier instant de consommation est l’apéritif, l’instant digestif a beaucoup reculé.

Ainsi, si le marché reste dominé par le whisky, il perd toutefois chaque jour un peu plus de terrain au profit du rhum, d’où l’importance de se réinventer, en s’adaptant à la premiumisation d’une part, mais aussi en proposant de nouvelles expériences de dégustation. Les marques l’ont bien compris et rivalisent d’imagination pour donner au whisky un second souffle.

Jack Daniel’s (Brown Forman)

« Le whiskey a eu son heure de gloire dans les années 1980 avec le fameux whisky-Coca, aujourd’hui son retour en CHR se fait par le cocktail et la mixologie, confie Nathalie Ohier, directrice marketing de Brown Forman. Le whiskey américain s’y prête bien, c’est une catégorie qui a grandi avec le cocktail auxÉtats-Unis. En effet, son goût plus sucré, tout en rondeur, conjugué aux notes de bois apportée par le vieillissement en fûts neufs permet aux barmen d’exprimer leur créativité. » 

Jack Daniel’s, implanté en France depuis vingt ans, en a donc fait un axe stratégique avec toute une gamme de cocktails classiques américains, avec, comme fer de lance, le Lynchburg Lemonade. Un rituel de consommation lui est associé : il est proposé dans un verre de type mug, le Mason Jar, fermé par un couvercle pour que le cocktail puisse être shaké directement dans le contenant. « On le pousse activement en CHR,on a mis 200 000 verres en circulation depuis trois ans » , indique Nathalie Ohier. De la PLV aux couleurs de ce cocktail est mise à disposition des professionnels : ardoises, porte-menus, affiches ou matériel pour réaliser une planche en accord avec la recette. Par ailleurs, une douzaine de sessions de formation sont organisées en France chaque année pour former les barmen aux spécificités du whiskey américain et à ses cocktails classiques.

Porte-menu aux couleurs de Lynchburg Lemonade

Le Lynchburg Lemonade, cocktail phare de Jack Daniel’s

Jameson (Ricard)

Le boilermaker ou half and half, l’une des plus anciennes associations liquides entre le whiskey et la bière, est remis au goût du jour. Il s’agit de proposer un demi de bière et 3 cl de whiskey au consommateur, afin qu’il puisse prendre successivement une gorgée de l’un puis de l’autre, et ainsi de suite. Ce rituel de consommation prend ses racines en Irlande puis en Écosse, avant de devenir en vogue aux États-Unis. « Les premières traces écrites remontent à 1602, l’ingénieur militaire britannique Josiah Bodley décrit ce mode de consommation découvert lors de l’un de ses voyages en Irlande. Sans disparaître, cette alliance se renforce en Irlande et aux États-Unis au XIXe siècle, avant de connaître un renouveau à New York, dans les années 1990. C’est d’ailleurs dans les bars américains que le concept de “pairing” va naître, c’est-à-dire l’art de marier tel type de bière avec tel type de whiskey », explique Thomas Ducourneau, ambassadeur de Jameson en France. Le géant français fait donc le pari d’importer aujourd’hui ce mode de consommation en France. « Il apporte une nouvelle expérience de dégustation, tel un mariage entre mets et vins. Les accords sont infinis entre la bière et le whiskey, les deux produits communiquent entre eux et partagent le même ADN du fait qu’ils proviennent de la même céréale. » Pour pousser la dynamique encore plus loin, Jameson s’est associé à la brasserie Outland qui a créé Half and Half, une bière black IPA qui peut se marier avec le Jameson Caskmates, un whiskey irlandais vieilli dans des fûts de bière brune artisanale. Ses notes torréfiées et chocolatées s’accordent parfaitement avec la bière. « Pour le restaurateur, c’est une façon de proposer une consommation originale du whisky, sans compter qu’il dispose du matériel de service nécessaire et qu’il peut personnaliser l’expérience en fonction des goûts de son client », s’enthousiasme Thomas Ducourneau. Afin de promouvoir le boilermaker en France, Jameson a organisé des tournées d’activation en novembre puis en mars, pendant la Saint-Patrick, dans des bars partenaires partout en France. Une question reste en suspens : les consommateurs français vont-ils succomber ?

La consommation half and half est remise au goût du jour sur le marché français par Jameson

Ballantine’s (Pernod)

« Le marché des whiskys reste très masculin et concerne principalement les plus de 40 ans, tout l’enjeu réside dans le recrutement de nouveaux consommateurs, souligne Laurent Drege, marketing manager whiskys chez Pernod. Or, lanouvelle génération a tendance à se tourner vers des produits davantage premium et con somme plus sucré.

Pour répondre à cette tendance, il faut trouver les moyens d’apporter plus de douceur à nos whiskys, tout en respectant leur ADN. » Ainsi, Pernod décline sa stratégie en deux volets pour son whisky écossais. D’abord avec Ballantine’s Brasil, qui macère avec des écorces de citron vert provenant du Brésil pour « déconstruire le côté non mixable du whisky » . Ce dernier peut être proposé en cocktail ou seulement avec de la limonade. Ensuite, avec Ballantine’s Hard Fired, vieilli dans des fûts de whisky qui ont été brûlés, ce qui lui apporte des notes vanillées et caramélisées. Le géant des spiritueux préconise de l’associer à un soft-drink, de type ginger ale ou ginger beer. « C’est une version simplifiée d’un cocktail, à la fois simple et moderne, conclut Laurent Drege. De nombreuses expérimentations sont en cours pour pouvoir proposer le whisky autrement. »

Le Ballantine’s Brasil s’intègre en cocktail. Ici, le Brasil Limonade (4 cl de whisky, 10 cl de limonade, 2 cl de jus de pomme, citron vert)

Le Ballantine’s Hard fired affiche une note « fumée » prononcée

Suntory et Jim Beam (Baron Philippe de Rothschild France Distribution)

Du côté de Suntory, la révolution est en marche. Le groupe japonais, dont les produits sont distribués en France par RFD, lance une nouvelle marque de whiskys en exclusivité en CHR, Toki, un blend issu des trois références Yamazaki, Shita et Hakushu. « Il est plus accessible, moins cher, pour démocratiser la consommation du whisky japonais en France qui reste encore très élitiste par la rareté et le prix », commente Stéphane Cronier, directeur marketing de Baron Philippe de Rothschild France Distribution.

Avec cette nouvelle marque, le distributeur souhaite lancer un nouveau mode de consommation dite highball, dont la composition comprend le whisky auquel on ajoute une large proportion de l’eau gazeuse, le tout servi dans un grand verre rempli de glaçons.

Toki, un blend issu des trois références Yamazaki, Shita et Hakushu

Très populaire au Japon – il est consommé tout au long du repas -, cette consommation en long drink est rafraîchissante, peu calorique et présente l’avantage « d’être rentable pour les patrons avec un faible prix de revient (la bouteille est commercialisée autour de 35 euros, NDRL) », appuie Stéphane Cronier. Dans le même esprit, RFD souhaite promouvoir l’usage du Jim Beam (autre marque de son portefeuille) en cocktail, notamment via le Jim Beam Highball . « On organise un grand programme d’activation en CHR, le Jim Beam Bourbon Tour, dans 75 établissements en France », renchérit-il. La cible : les amateurs de bourbons, entre 25 et 35 ans. Preuve que le whisky tend à rajeunir son image…

Lors de la tournée Jim Beam Bourbon Tour, les établissements sont habillés aux couleurs de la marque.

Jura (Maison du whisky)

Jura a fait ses premiers pas sur le marché français il y a une quinzaine d’années. Cette marque, qui appartient au groupe écossais Whyte & Mackay et qui est exclusivement distribuée par la Maison du whisky, a opéré un virage en 2018 pour sortir de son image vieillissante et être plus en phase avec son cœur de cible, les 25-35 ans. Le packaging, le profil aromatique et la tarification ont été repensés : « L’idée était de dépoussiérer la gamme, et cela fonctionne déjà, confie Guillaume Mens, brand ambassador Jura, Shackleton & The Dalmore. En avril, un bar à cocktail seulement travaillait les produits Jura.

Avec la nouvelle gamme, on est passé à quatre, et l’intérêt ne cesse de croître, on devrait atteindre une quinzaine d’établissements d’ici à la fin de l’année. » Pour accentuer la modernisation de la gamme, la Maison du whisky mise sur deux biais. D’une part, sur la mixologie, avec notamment le Tonic du whisky, un cocktail simple à réaliser à base de Jura Journey, ginger ale et citron. D’autre part, sur l’expérience de dégustation : le pairing bière et whisky. Il est conseillé de proposer Journey avec une bière blonde de type lager et Jura 10 ans, qui présente un côté fumé de par son vieillissement en fût de xérès, avec une bière brune légère ou une IPA peu prononcée. « Ces accords permettent de revenir plus facilement au whisky et de révéler en bouche des arômes différents tout en laissant place à sa puissance. »

Jura Journey peut être proposé en cocktail.

Tour du monde des principaux whiskys

– Le whisky écossais : le breuvage doit obligatoirement être brassé, fermenté, distillé dans une distillerie. Le vieillissement, qui s’opère dans une cuve en chêne, doit durer trois ans. Pour qu’un whisky porte l’appellation « scotch whisky », toutes ces étapes doivent se faire en Écosse.

Pour le whiskey irlandais : traditionnellement, les single malts d’Irlande, réputés plus légers, sont distillés trois fois en alambic à repasse (ils subissent à chaque fois une deuxième chauffe dans l’alambic). L’utilisation de cette forme d’alambic est obligatoire puisqu’il y a un mélange d’orge maltée et d’orge non maltée qui nécessite différents degrés de chauffe. Ces deux premiers types de whisky sont protégés par une indication géographique (IG).

– Whiskey américain : il est élaboré à partir de tout type de céréales, à savoir seigle, maïs, orge et blé. Les bourbons représentent environ un tiers des whiskys américains. Ces derniers sont composés au minimum de 51 % de maïs, et sont uniquement élevés dans des fûts de chêne neufs. Il n’y a pas de période de maturation, donc ils ne peuvent porter l’appellation « whiskey ».

– Whisky canadien : les fabricants sont connus pour toujours ajouter un peu de seigle à leur whisky. Cette céréale contribue au profil caractéristique des whiskys canadiens.

– L’industrie du whisky japonais offre aussi bien des saveurs traditionnelles de tourbe que des innovations totalement inédites, comme la maturation dans des fûts de vin de prune.

– Whisky français : largement inspiré des « scotch » et « Irish » whiskys, il est principalement composé d’orge maltée. Plus récemment, notre industrie a créé l’événement en fabriquant un whisky à base de blé noir, ce qui fait de lui, au même titre que le bourbon, un nouveau venu dans l’univers des whiskys.

Source : Nielsen on Trade

PARTAGER