Food truck : les chefs étoilés se font nomades
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Thierry Marx, Alexandre Mazzia, Christian Têtedoie, Olivier Nasti ou encore Joseph Viola… Nombreux sont les chefs étoilés et les cols bleu, blanc, rouge à avoir lancé leur food truck. Favorisées par la crise sanitaire, ces initiatives trouvent aisément leur public grâce à la renommée des chefs. Ces derniers ne se cantonnent plus à la street food.
Au premier abord, il s’agit d’un food truck comme on a coutume d’en voir d’autres à Marseille (13). La seule différence, c’est qu’on n’y consomme pas des pizzas, mais des plats gastronomiques. À la manœuvre, on retrouve le chef triplement étoilé Alexandre Mazzia, l’unique chef à avoir décroché un troisième macaron cette année.Dans la mesure où l’intégralité des restaurants de France et de Navarre, l’établissement du chef est fermé à la clientèle, alors Alexandre Mazzia et son équipe s’activent au quotidien pour mettre en œuvre une offre gastronomique. Malgré un ticket moyen élevé, pas moins de 200 plats sont confectionnés dans les cuisines du restaurant AM, avant d’être mis en place, puis à température, dans le food truck situé non loin. Les clients ont le choix entre différentes prestations, du snacking à 25 € en passant par le menu gastronomique à 55 €. L’obtention d’une troisième étoile en début d’année n’est pas étrangère au succès que rencontre Alexandre Mazzia et la démarche de ce dernier fait des émules. Le cuisinier n’est pas la seule toque médiatique à s’être lancée dans la gastronomie nomade et, bien souvent, apposer un patronyme connu à une offre de restauration suffit à assurer une communication efficace.
À Megève, le Meilleur ouvrier de France Emmanuel Renaut a bien compris que son nom, couplé à son talent, permettrait à son food truck d’assurer une belle fréquentation. « J’avais déjà en tête de lancer non pas un food truck, mais une caravane événementielle permettant aussi d’assurer des démonstrations. La crise sanitaire m’a fait accélérer mon projet et nous n’assurons aujourd’hui que de la vente », détaille Emmanuel Renaut, le chef trois étoiles de l’hôtel-restaurant Flocons de Sel. L’homme pratiquait déjà de la vente à emporter, mais c’est au début de l’hiver dernier qu’il a souhaité disposer d’un food truck chapeautant l’offre culinaire. « C’est une façon de maintenir les liens avec nos fournisseurs. Nous continuons à utiliser des veaux et des cochons ou encore du poisson de lac ou de la truffe », commente-t-il, citant quelques exemples de plats, comme le croque-monsieur à la truffe, le risotto de légumes ou la saucisse de gibier. Une gamme de produits d’épicerie, composée de miel ou de fromage, est également disponible.
En ces temps de disette, le food truck n’est pas un formidable levier de rentabilité mais il a le mérite d’assurer un minimum de chiffre d’affaires : « J’ai deux hôtels, dont un qui est complètement fermé. Le food truck est pérenne, mais il ne génère bien sûr pas suffisamment de chiffre d’affaires pour le reste de l’entreprise. » Emmanuel Renaut reconnaît cependant que le chômage partiel et les aides de l’État « permettent toutefois de sauver les meubles ». Parmi les mets les plus vendus de son food truck, le MOF note un engouement pour les plats réconfortants ; soupes et potages en tête, suivis de près par les plats fromagers ou les fromages crus. En moyenne, le chef étoilé parvient à commercialiser une trentaine de plats chaque jour (le camion est ouvert tous les jours et occupe quatre salariés). La formule entrée + plat + dessert est facturée entre 35 € et 50 €, selon les produits et les arrivages. Si certains chefs ont une approche ludique de la vente à emporter, avec des éléments à assembler, Emmanuel Renaut fournit une prestation clés en main où le client doit simplement réchauffer ses plats.
Un autre métier
Un crédo auquel a, lui aussi, souscrit le MOF Olivier Nasti dont l’établissement étoilé, le Chambard, à Kaysersberg, ne peut accueillir de clients. « Lors du premier confinement, la vente à emporter battait son plein alors j’ai investi dans un food truck. Je cherchais à trouver des leviers de chiffre d’affaires et continuer à servir mes clients », justifie-t-il.
Pour maintenir un niveau de commande satisfaisant, Olivier Nasti a développé une carte axée sur la bistronomie. Après avoir vendu des hamburgers par centaines lors du premier confinement, le chef a souhaité changer son fusil d’épaule et a déplacé son food truck dans le centre de Colmar. « Dans cette période si compliquée, le client ne vient pas à nous. C’est à nous de lui donner envie et d’aller à lui par le biais du drive, d’une épicerie ou d’un food truck », constate-t-il. Ce dernier modifie ainsi sa carte toutes les semaines et a également développé une offre à destination des entreprises, sur le modèle de la location.
Victime de son succès, Olivier Nasti a finalement sédentarisé son food truck en le plaçant… dans l’enceinte du restaurant fermé de l’un de ses amis restaurateurs. « Contrairement au message adressé aux restaurateurs qui les exhortaient à occuper le domaine public, on se rend compte que les démarches sont interminables et compliquées. Finalement, la majorité des food trucks sont sur des domaines privés », déplore Olivier Nasti. Il invite chaque semaine des chefs différents et, la semaine passée, a pu cuisiner et vendre des plats aux côtés d’un autre cador des fourneaux, Marc Haaberlin. Les tarifications débutent à 8 € pour les entrées et les plats sont facturés jusqu’à 22 €. « Nous assurons un bon chiffre d’affaires, mais la rentabilité n’est pas forcément au rendez-vous. Au moins nous ne perdons pas d’argent », se félicite-t-il, en décrivant, à l’instar de son confrère Emmanuel Renaut, une nouvelle façon de travailler rythmée par les contenants. « Il faut repenser sa façon de travailler. Nous assurons les trois quarts du travail dans les cuisines des Flocons de Sel avant d’achever la préparation dans le food truck . Il est important de penser en amont à la façon dont les plats vont être réchauffés, donc il faut ajouter des indications avec les plats, comme la température et le temps de cuisson », explique Emmanuel Renaut. Ce dernier mise sur des contenants en verre avec des consignes, mais doit parfois se résoudre à utiliser des boîtes en carton. Olivier Nasti a quant à lui opté pour des packagings biocompostables et entend maintenir son activité jusqu’à la réouverture des CHR.