Cuisiner mieux pour gagner plus

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Avoir une démarche écologique est une très belle chose, mais beaucoup de restaurateurs sont réticents à l’idée de s’engager, souvent freinés par l’idée que cela engendrerait un surcoût. Or, passer à une consommation durable peut être facile et indolore.

Inutile denier les faits. Le secteur de l’alimentation a un impact massif sur l’environnement. Il est à lui seul responsable de 30 % du réchauffement climatique. Évidemment, le CHR n’est pas seul en cause. « Mais la restauration est un grand enjeu, d’autant qu’elle peut entraîner les consommateurs finaux dans un même processus de changements », souligne Marie Garnier, directrice de la qualité et du développement durable pour Metro France. Et nombreuses sont les actions allant dans le sens d’une consommation durable que les restaurateurs peuvent entreprendre. Beaucoup ont d’ailleurs déjà commencé.

Selon le baromètre autour du développement durable commandé par C 10 à l’institut Ifop, 95 % des patrons d’établissement déclarent veiller à la traçabilité des produits qu’ils utilisent, 90 % trient leurs déchets, 89 % privilégient les fournisseurs locaux et 88 % limitent leur consommation en eau et électricité. Que ces démarches soient les plus mises en œuvre n’est pas anodin. D’abord parce que le tri est le geste écologique le plus répandu en France. De plus, selon Marie Garnier, « le geste le plus facile à poser peut être de changer sa carte. Cela ne nécessite pas de remettre en cause tout son concept : on peut par exemple mettre en place un plat végétarien. Cela montre sa sensibilité au sujet du développement durable, mais aussi son savoir-faire de cuisinier et cela permet d’accueillir tout le monde ». Metro France facilite ainsi l’accès des restaurateurs à des produits s’intégrant à une démarche RSE avec une offre de poisson durable estampillée Mr. Goodfish, disponible dans 100 % de ses entrepôts et, depuis avril 2019, le label Éleveurs et engagés pour la viande bovine.

« LE GESTE LE PLUS FACILE À POSER PEUT ÊTRE DE CHANGER SA CARTE. CELA NE NÉCESSITE PAS DE REMETTRE EN CAUSE TOUT SON CONCEPT » MARIE GARNIER, METRO FRANCE

S’approvisionner de façon responsable peut toutefois demander un certain niveau d’engagement de la part du restaurateur. « Le projet a été long à mettre en place, parce que je devais m’adresser moi-même à des fournisseurs locaux en m’assurant qu’eux-mêmes avaient des pratiques durables », confirmer Thibaut Spiwack, chef du restaurant parisien Anona, qui propose une cuisine gastronomique, responsable et durable, depuis son ouverture en mai 2019. Et malgré ses efforts, Thibaut Spiwack considère que sa filière d’approvisionnement peut encore être améliorée. « Pour cela, j’aurais besoin du soutien des clients. Par exemple, pour ôter le Coca-Cola de la carte. » Par contre, le chef ne s’inquiète pas pour le coût supplémentaire qu’entraîne son approvisionnement local et saisonnier. Il est certain que le consommateur ressentira la différence gustative et qu’il acceptera de payer davantage pour cette démarche engagée. Le baromètre de C 10 lui donne raison. 66 % des Français se déclarent prêts à payer d’1 à 3 € en plus dans un restaurant aux pratiques responsables. Et cette démarche ne se limite pas à l’approvisionnement en matières premières pour la cuisine. Le premier geste que Thibaut Spiwack conseillerait à un restaurateur engagé serait plutôt de trouver une société proposant des produits d’entretien biodégradables. Pour le restaurant Anona, la dimension écologique était présente dès la conception. Le chef adonc choisi d’utiliser uniquement de l’énergie verte, de supprimer le maximum de contenants, d’acheter du mobilier en bois français ou encore des machines à économie d’énergie. Évidemment, untel jusqu’au-boutisme n’est pas toujours possible. « Le choix des actes dépend des restaurants. Ceux qui sont dans des régions du Sud seront plus sensibles à la consommation en eau, un établissement déjà en place va agir d’abord sur l’assiette, un établissement entrain d’être monté va pouvoir agir sur le choix de l’énergie, énumère Marie Garnier. Et nous, nous voulons montrer qu’il y a toujours un premier pas que les restaurateurs vont pouvoir faire et qui va ensuite les amener plus loin. »

Jeter l’argent à la poubelle

Les démarches les plus efficaces d’un point de vue écologique sont aussi celles qui permettent d’économiser de l’argent. La lutte contre le gaspillage en fait partie. Les consultants de l’entreprise Framheim sont spécialistes du sujet. « Une partie de notre boulot, c’est de montrer quelle est la perte financière : la valeur des produits jetés s’ajoute à la facture de collecte des ordures, mais aussi au temps, à l’énergie et aux ressources humaines qui ont permis de produire tout ce qui finit à la poubelle, détaille Vincent Dantonel, cofondateur de l’entreprise. Sion met en avant les avantages économiques, la démarche écologique passe mieux. » Framheim a développé une méthodologie d’audit ad hoc. « Nous partons de ce qui est jeté pour peser et quantifier les pertes dans une approche scientifique. Ainsi, on peut par exemple s’apercevoir qu’il y a 15 % de pain dans ce qui part à la poubelle. Puis, on cherche à en comprendre les raisons. »

Afin de limiter au maximum les contenants, le chef Thibaut Spiwack a décidé que le pain et les jus de fruits seraient réalisés sur place.

Afin de limiter au maximum les contenants, le chef Thibaut Spiwack a décidé que le pain et les jus de fruits seraient réalisés sur place.

Souvent, le problème réside dans des commandes de produits trop importantes et la plupart des solutions vont concerner des changements dans l’anticipation des besoins, grâce à l’analyse des chiffres. Parfois, ce sont simplement les conditionnements qui sont trop gros. « Le personnel en cuisine a tellement l’habitude de jeter qu’il ne s’en rend plus compte », explique Vincent Dan-tonel. Une approche antigaspi demande non seulement de changer ses habitudes, mais aussi de surmonter la peur de la rupture. Ces deux difficultés se règlent de la même façon : par la formation du personnel. Si les employés de salle apprennent à communiquer sur la démarche, ils sauront expliquer l’absence de certains produits hors saison ou les ruptures enfin de service. La façon dont le personnel va parler des produits peut aussi influer sur le comportement des clients. « Des produits que l’on raconte ont moins de chance de finir à la poubelle, car cela rassure le client, qui développe aussi plus de respect envers l’aliment », argumente le cofondateur de Framheim. L’expérience de ce professionnel lui a aussi permis de constater que beaucoup de restaurateurs mettent en place des actions qui ne marchent que quand le chef est en cuisine. Un écueil évitable en sensibilisant les équipes et en les aidant à mettre en place de nouvelles pratiques. Cela peut passer par un changement de la configuration de la cuisine, de l’équipement, de l’organisation du travail, etc. La chasse au gaspillage peut aussi passer par des actions très simples, comme un changement de vaisselle. « Utiliser des assiettes plus grandes pour donner une impression de générosité, cela signifie aussi servir plus que ce que les clients mangeront », argumente Vincent Dantonel.

Framheim stocke tous les retours de la salle dans différentes bassines, ce qui favorise une prise de conscience chez le personnel.

Framheim stocke tous les retours de la salle dans différentes bassines, ce qui favorise une prise de conscience chez le personnel.

Une autre option est le doggy bag. Mais cette pratique plutôt anglo-saxonne n’est pas encore entrée dans les mœurs françaises. L’enquête restaurateurs réalisée par la Draaf Rhône-Alpes en 2014 concluait en effet que si 53 % des restaurateurs reconnaissaient que leurs clients ne finissaient pas toujours leur assiette, seuls 31 % proposaient une boîte pour emporter les restes ou envisageaient d’en mettre en place, 32 % hésitaient et 37 % étaient carrément contre. Un positionnement qui se comprend au vu des résultats de l’enquête consommateurs. Parmi les 70 % qui n’avaient jamais demandé à emporter leurs restes, 45 % pensaient que « ça ne se fait pas », 40 % avaient honte et 31 % n’y avaient même pas pensé. Pour lutter contre ces idées, la Draaf Rhône-Alpes a développé la marque Gourmet Bag, qui propose gratuitement des supports de communication et d’information (logos, flyers, chevalets et stickers pour les boîtes, vitrines et menus). Metro France propose ces doggy bags 100 % français et leur kit de communication dans ses entrepôts.

Les outils de communication Gourmet Bag sont libres de droits et téléchargeables sur le site gourmetbag.fr

Les outils de communication Gourmet Bag sont libres de droits et téléchargeables sur le site gourmetbag.fr

Enfin, les patrons qui se retrouvent enfin de journée avec des restes encore commercialisables ont la possibilité de les vendre à prix cassés. L’application Too Good To Go, créée en 2016, est devenue incontournable pour mettre en relation les commerçants de bouche ayant des invendus et des clients qui les achètent sous forme de panier surprise, à un tiers de leur valeur faciale. « On assiste à une vraie explosion ces douze derniers mois, précise Stéphanie Moy, chargée des relations presse. Depuis 2016, six millions de repas ont été sauvés, dont trois millions en 2018 ! Aujourd’hui, on est à une moyenne de 25 000 repas par jour. » Et parce qu’en restauration, le gaspillage n’est pas seulement alimentaire, Too Good To Go est entrain de lancer une campagne pour inciter les commerçants à mettre en place un système de consigne des contenants. Une initiative en avance sur la législation.

Too Good To Go propose une courte formation à ses partenaires afin de leur apprendre à composer des paniers variés.

Too Good To Go propose une courte formation à ses partenaires afin de leur apprendre à composer des paniers variés.

Des cercles vertueux

Car à partir de 2021, les objets en plastique à usage unique, qui empoisonnent les océans, seront interdits dans l’Union européenne.

« Mais, comme d’autres, nous nous sommes dit qu’il serait idiot d’attendre, expose Camille Delettrez, directrice trade marketing de C 10. On adonc décidé, entant que centrale d’achat, d’arrêter d’acheter des pailles en plastique et de proposer des pailles en kraft à nos adhérents. » Un kit de communication nommé « Bye bye les pailles » a aussi été lancé pour expliquer aux consommateurs et, notamment aux enfants, pourquoi l’établissement dans lequel ils se trouvent a fait le choix d’arrêter les pailles. Le réseau C 10 a prévu de mettre en œuvre la même politique pour les touilleurs en plastique et les gobelets. Rien d’étonnant selon Camille Delettrez : « Par notre ADN de distributeur, on est déjà dans un cercle vertueux en ce qui concerne le tri des déchets. » Le CHR est en effet l’un des seuls secteurs en France où le verre est en majorité recyclé grâce à la consigne. « Malheureusement, complète Camille Delettrez, une partie minoritaire est du verre perdu, qui n’était pas forcément recyclé. C’est pourquoi, en 2014, C 10 amis en place un système de récupération de ce verre perdu auprès de ses adhérents. Les établissements ont seulement à remplir des caisses dédiées, qui sont enlevées une fois pleines et rejoignent un centre de tri. »

Mais si consigner le verre est habituel en CHR, la situation est très différente pour les consommateurs finaux. Simon Baumert, cofondateur de l’association Zéro Déchet Strasbourg, qui lance le réseau Alsace Consigne avec les entreprises partenaires Carola, Lisbeth et Meteor, voit là un potentiel inexploité : « Il faut vraiment informer les restaurateurs du bien-fondé écologique de la consigne pour qu’ils puissent éventuellement le communiquer à leurs clients. Et c’est dommage de ne pas mettre en avant une pratique qui aune forte valeur environnementale, à l’heure où ces questions deviennent de plus en plus importantes dans l’opinion publique. » Simon Baumert suggère ainsi la mise en place d’un petit logo sur les cartes ou d’un présentoir publicitaire dans les cafés.

D’autres déchets peuvent également être valorisés. Cafés Richard a ainsi mis en place une économie circulaire locale où le marc de café récolté en région parisienne est ensuite réutilisé par la société Upcycle qui le transforme en compost ou… en pleurotes. D’abord mise en place en interne, la démarche « marc contre pleurotes » a été lancée auprès des restaurateurs début 2019. Le restaurant Le Sully a ainsi revalorisé 300 kg de marc de café en trois mois, ce qui lui donne droit à des « crédits » en champignons. « Nous leur fournissons les moyens de mettre en avant cette démarche écologique et ils peuvent inscrire sur la carte “ pleurotes cultivées grâce à notre marc de café ” », précise Laurence Ghacham, responsable communication des Cafés Richard.

Too Good To Go propose une courte formation à ses partenaires afin de leur apprendre à composer des paniers variés.

Cafés Richard récupère le marc de café en vélo électrique pour limiter son empreinte écologique.

La valorisation de l’engagement du restaurant n’est pas un sujet à prendre à la légère. Selon le baromètre C10, 70 % des Français se disent prêts à davantage fréquenter un établissement aux pratiques responsables. Pour pouvoir mieux identifier ces établissements, ils promeuvent à 54 % l’usage d’un label, à 53 % de l’affichage en devanture et, en troisième critère, l’affichage en intérieur (27 %). Or, les patrons de CHR, eux, sont un tiers à ne pas communiquer sur leurs bonnes pratiques et même 44 % à penser que les consommateurs n’y sont pas sensibles ! Et lorsqu’ils informent leurs clients, ils utilisent d’abord l’affichage extérieur (54 % d’entre eux), puis les réseaux sociaux (32 %) et leur site internet (29 %). Seuls 16 % mettent en place un label. Ce qui laisse un grand champ d’action et du terrain à conquérir pour le label Restaurant engagé antigaspi, lancé par Framheim, ou encore le label Écotable. Lancé en janvier 2019, celui-ci référence les restaurants selon trois niveaux d’engagement dans la transition écologique et alimentaire. Reste à espérer que l’histoire ira pour une fois dans le sens d’une labellisation claire et unifiée.

Le name and shame a-t-il un impact ?

Le Gouvernement commence à utiliser la pratique du « name and shame », soit « nommer et faire honte ». En avril 2019, la secrétaire d’État au ministère de la Transition écologique et solidaire Brune Poirson n’avait pas hésité à citer certaines des enseignes de restauration rapide qui étaient en retard dans l’envoi de leur plan de gestion des déchets. Domino’s Pizza, Exki, Subway et Five Guys étaient ainsi montrés du doigt sur la place publique. Le 22 mai, la secrétaire d’État récidivait dans un courrier envoyé à 15 entreprises, indiquant que « les mesures prévues n’étaient pas encore satisfaisantes » et précisant que « malgré des initiatives positives, aucune stratégie ne permettait de remplir totalement [leurs] obligations de tri, que ce soit pour le tri des cinq flux (papier, carton, verre, plastique et métaux) », obligatoire depuis 2016, « Ou pour le tri des bio déchets en cuisine et en salle ». Le 23 mai, McDonald’s France affirmait que le tri serait effectif dans ses restaurants d’ici trois ans, en partenariat avec les collectivités locales. Le 24 mai, Exki, en réaction à l’article de la plate-forme Alimentation Générale, affirmait être « en constante réflexion à ce sujet » et ajoutait : « Nous poursuivons nos recherches pour limiter notre empreinte écologique ! ».

Et avec ça, vous prendrez des couverts ?

De nombreux moyens permettant de maîtriser, voire de réduire, sa consommation, sont communs à la restauration à table et à celle à emporter : utiliser des produits locaux, évitez le gaspillage, limiter la consommation d’énergie, etc. Mais la restauration à emporter doit également gérer la question des contenants. Ceux-ci risquent généralement de finir dans la poubelle des consommateurs finaux. Or, selon un sondage BVA, huit Français sur dix trient leurs déchets. Ils seront donc sensibles aux matériaux utilisés pour les emballages et aux démarches initiées par des acteurs comme FoodChéri. Cette enseigne a travaillé pendant un an sur ses packagings afin de répondre aux attentes des clients et propose désormais des barquettes recyclables en carton et des couvercles en rPET (plastique recyclé dont la fabrication est moins gourmande en énergie et a un bilan carbone plus léger que le PET classique). Les sacs sont, eux, confectionnés en kraft recyclable ou réutilisable, consignés et récupérés chaque jour en ce qui concerne les entreprises clientes. Enfin les couverts sont biodégradables grâce à leur conception en amidon de maïs et, surtout, FoodChéri incite ses clients à s’en passer -car la plupart des gens ont déjà des couverts chez eux. Le nombre de commandes avec couverts est ainsi passé de 90 % à 60 % entre octobre 2018 et février 2019. Dans certains cas, la question du mode de livraison se pose également, notamment depuis l’apparition et la multiplication des coursiers à vélo -donc écolos -de Deliveroo, Uber Eats et consorts. Speed Burger, qui utilise traditionnellement des scooters, s’est adapté et déploie actuellement des vélos électriques dans sa quarantaine de restaurants. De plus, ses livreurs sont des salariés, en CDD ou CDI, et bénéficient de l’équipement nécessaire à garantir leur sécurité. Car la maîtrise de la consommation peut aussi passer par celle des ressources humaines.

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