La guerre est déclarée

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Le phénomène des no-shows fait vivre un enfer à de plus en plus de restaurateurs.

Il est 20 h 30, la table de 8 qui devait arriver à 20 h ne s’est toujours pas annoncée. Et malheureusement, elle restera vide toute la soirée. Voilà ce qu’est un no-show, en d’autres termes, un client qui pose un lapin. Jean Valfort, directeur associé de la brasserie Astair, à Paris, connaît trop bien cette situation. « C’est exaspérant ! Chez nous, les no-shows représentent jusqu’à 25 % du chiffre d’affaires. Une annulation de 18 couverts dans un établissement de 42 places, à 21 h, c’est irrattrapable, surtout dans un restaurant de destination comme le nôtre. » En janvier dernier, après un énième no-show pour lequel son équipe avait même préparé un gâteau d’anniversaire, il a publié une lettre ouverte assassine pour dénoncer ce qu’il considère avant tout comme un manque de savoir-vivre.

Car il n’est pas le seul à en souffrir. 75 % des restaurateurs le considèrent comme un problème, selon une étude menée par La-Fourchette en 2016. Car au-delà de la perte sèche de chiffre d’affaires, c’est toute l’organisation du service qui est mise à mal (mises en place inutiles, gaspillage alimentaire, collaborateurs présents inutilement, etc.).

De nombreux secteurs sont concernés, des médecins aux coiffeurs, et certains, comme le transport et l’hôtellerie, ont pris des mesures depuis longtemps. Billets non remboursables, empreintes bancaires, durcissement des conditions d’annulation. Alors, pourquoi les restaurants ne pourraient-ils pas s’en sortir aussi ?

LA QUESTION DE L’ACOMPTE

Des établissements ont choisi de prendre exemple sur ce qui se fait déjà, à savoir demander un acompte ou une empreinte bancaire. Mais les habitudes ont la vie dure et les clients n’accueillent pas forcément bien cette initiative. « Nous avons demandé une empreinte bancaire pendant un mois, pour confirmer les réservations, ajoute Jean Valfort. Elles ont baissé de 20 %… C’est le serpent qui se mord la queue, les clients ont encore du mal à comprendre qu’un restaurant, c’est une entreprise avant tout, avec une logique économique. » Certains ont donc choisi de faire appel à un tiers neutre pour assurer cette étape, comme l’application Swikly. « Dans d’autres secteurs, c’est très commun de payer un acompte, constate Clément Toutain, responsable commercial chez Swikly. Je pense qu’il faut expliquer la démarche pour qu’elle soit bien comprise par les clients. À savoir, que l’argent ne sera pas débité à l’avance, mais que l’empreinte bancaire est une sécurité pour le restaurateur. En France, il faut habituer le consommateur et, lorsque c’est bien expliqué, c’est bien accepté. » Parmi les premiers retours, 80 % de la clientèle a bien compris l’intérêt de l’acompte. « Les 20 % restants ne sont pas forcément dans l’opposition, mais ils font justement partie de ces personnes qui ne seraient de toute façon pas venues. »

Jean Valfort, directeur associé de la brasserie Astair, à Paris.

Jean Valfort, directeur associé de la brasserie Astair, à Paris.

L’Atelier des Augustins, à Lyon, fait partie des premiers utilisateurs. « Toutes les semaines, surtout les vendredis et samedis, des tables ne viennent pas, témoigne Antoine Lambert, responsable de salle de l’établissement. Au départ, nous voulions limiter les acomptes aux événements exceptionnels, mais devant le nombre de no-shows, on a décidé d’en demander un dès quatre personnes. Pour les plus petites tables, ce n’est pas rentable. » En effet, l’utilisation de ces plates-formes qui permettent de confirmer les réservations sous réserve du versement de l’acompte a un coût : 1,5 % par transaction chez Swikly.

« Le client doit comprendre que nous ne le faisons pas par plaisir. » Signe de la généralisation du problème, Swikly a été approché par le logiciel de caisse Popina pour envisager d’intégrer le système directement dans l’interface de caisse. La demande d’acompte pourrait ainsi devenir quasi systématique. D’autres acteurs de la réservation se sont également penchés sur le problème, notamment LaFourchette et Zenchef, qui proposent chacun une solution de prise d’empreintes bancaires qui peut s’ajouter en option dans les forfaits d’utilisation de leur plate-forme.

« AU-DELÀ DE LA PERTE SÈCHE DE CHIFFRE D’AFFAIRES, C’EST TOUTE L’ORGANISATION DU SERVICE QUI EST MISE À MAL. »

RESPONSABILISER LE CLIENT

Il existe malgré tout d’autres solutions que la menace de frapper les indélicats au porte-monnaie. Certains établissements choisissent par exemple de ne plus prendre de réservations. Aucun no-show garanti ! Malgré tout, c’est le risque de ne plus maîtriser le flux en dehors des pics de fréquentation et que le taux de remplissage ne soit finalement pas plus élevé. La solution peut être hybride : proposer certaines tables à la réservation et laisser les autres aux visiteurs de passage. Il est par ailleurs possible de poser des conditions à la réservation : par exemple, les clients doivent être arrivés et au complet dans les 10 minutes qui suivent l’heure de réservation. À défaut, la table est réattribuée si besoin. C’est une manière de responsabiliser le client. Dans le même esprit, certains restaurateurs demandent systématiquement une confirmation par téléphone, mais la démarche est chronophage. La solution peut se trouver dans l’envoi de rappels automatiques à chaque client, par mail ou SMS. « Cela permet de garder le lien avant la réservation et de donner une occasion supplémentaire au client de prévenir s’il ne peut plus venir », note Arnaud Cousteix, directeur account management chez LaFourchette.

Arnaud Cousteix, directeur account manager LaFourchette.

Arnaud Cousteix, directeur account manager LaFourchette.

La liste d’attente est aussi un bon moyen de rebondir en dernière minute. « Cela permet au restaurateur d’être proactif en rappelant des clients intéressés, auxquels il avait dit non dans un premier temps. C’est aussi un moyen de créer un lien en lui apportant une bonne nouvelle », ajoute Arnaud Cousteix. L’application Lastable s’est spécialisée sur cette idée, elle permet aux consommateurs de visualiser en temps réel les tables disponibles dans les établissements qui se trouvent autour d’eux. Une occasion pour les restaurateurs de faire savoir qu’une table vient de se libérer. Ultime recours : sanctionner. C’est finalement ce qu’a choisi de faire Astair en dressant une sorte de liste noire des indélicats. « Nous n’interdisons pas à ces clients de venir au restaurant, mais ils n’ont plus la possibilité de réserver. Souvent, ils sont très étonnés et se trouvent pris en faute. »

Selon l’étude menée par LaFourchette, 33 % des clients trouveraient normal d’être sanctionnés en cas de no-show. La contradiction française ?

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