À quelques jours de la réouverture progressive du secteur CHR, l’appréhension gagne les salariés. Les longs mois d’inactivité ont définitivement laissé des traces alors que le rythme s’annonce particulièrement soutenu à la reprise.
La réouverture du secteur CHR approche à grands pas. Dans les établissements, les professionnels s’activent et les premières inquiétudes se dessinent. Après de longs mois de chômage partiel, la reprise pourrait être plus compliquée que prévue. Gwen Wittmer sera bien au rendez-vous pour la réouverture des terrasses. Dès le 19 mai, elle servira ses clients dans le restaurant mosellan de ses parents Le Debussy, à Ham-sous-Vasberg (Moselle, 57). Comme pour beaucoup de salariés, les huit mois de fermeture ont été particulièrement longs. « Je suis propriétaire de ma maison, j’ai donc pu faire quelques travaux chez moi. Mais les journées se ressemblent », confie-t-elle. Il lui tarde donc de reprendre, même si elle entrevoit cette reprise avec quelques appréhensions. « Entre les deux périodes de fermeture, on a eu énormément de monde et je pense que là ce sera pareil. Je me sens donc un peu stressée et me demande si je vais assurer. On a l’impression d’avoir oublié le métier, les bons réflexes. J’ai l’impression que je ne vais plus savoir gérer le monde, le stress des services… Mais après je me rassure, je connais mon métier, j’ai des clients qui sont adorables donc je vais vite me remettre dans le bain sans aucun doute », explique la jeune mosellane.
« Après un an d’inactivité, nos organismes vont souffrir »
L’appréhension gagne aussi Audrey Brun, à quelques jours de la réouverture même si elle a hâte de reprendre. Chef pâtissière du restaurant Le W de l’hôtel parisien Warwick (Paris, 8e), elle n’a pas ou très peu travaillé depuis plus d’un an. Durant l’été, l’établissement est resté fermé. Elle n’a eu que quelques semaines pour se remettre dans le bain avant la fermeture d’octobre. Pour s’occuper et rester active, elle a fait quelques extras et propose ses créations en commande via Instagram. « Au début, le chômage partiel, c’était appréciable. J’ai l’habitude de beaucoup travailler donc c’était bienvenue d’avoir des vacances. Et puis c’est devenu très vite long et ennuyant. Mais surtout, j’ai l’impression d’être devenue une vraie fainéante. À la reprise, je pense que mon corps ne va pas comprendre. Je risque d’être très fatiguée et courbaturée au début », souligne-t-elle. Nathan Helo, chef chez Dupin (Paris 6e), partage les inquiétudes d’Audrey Brun. Il se questionne sur la capacité des salariés à retrouver le rythme effréné d’un service. « À la reprise, nous allons connaître un gros boom de consommation et nos établissements seront pleins. Enfin, je l’espère. Après un an d’inactivité, nos organismes vont souffrir car le rythme va être très soutenu. En plus, nous allons être obligés d’en demander davantage aux salariés car nous serons dans l’incapacité d’en embaucher plus », souligne Nathan Helo.
Solène, aussi, a connu de longs mois de chômage partiel à cause de la mise en sommeil du secteur de l’événementiel. La pâtisserie où elle travaille a dû fermer à plusieurs reprises, faute de commandes. Pour cette jeune femme, le manque d’activité s’est rapidement fait ressentir. « Dès lors que les commandes ont repris doucement, j’ai poussé pour retourner à la boutique. J’avais vraiment besoin de retrouver un rythme et de sortir de mon petit appartement parisien », confie-t-elle. Depuis peu, Solène a pu enfin retrouver son quotidien. « Pour ce retour, le rythme est assez soutenu. De plus, notre cheffe profite un peu de la situation. Elle nous demande de faire des tâches peu communes en nous sermonnant de tout faire pour que la machine se relance. Et si nous osons dire quelque chose, elle s’empresse de nous répondre qu’on s’est assez reposés pendant la fermeture », explique Solène. Pour autant, elle ne remet pas en cause ses envies de pâtisserie. Mais la crise sanitaire l’a tout de même fait réfléchir et revoir certaines de ses priorités. Elle souhaite désormais se lancer en tant qu’indépendante.
Les salariés ont pris conscience qu’ils avaient une vie à côté
La crise a pu inciter les salariés à repenser leur quotidien et à parfois changer complètement de voie. Elle a ouvert de nouvelles possibilités. « De nombreux salariés ont forcément réfléchi pendant ces mois d’oisiveté forcée. Ils se sont aperçus qu’ils avaient une famille le soir et des amis le week-end. Ils se sont également questionnés sur leur métier racine, celui qu’ils espéraient faire après leurs études mais auquel ils ont dû renoncer faute de débouchés », constate le président de l’Association française des maîtres restaurateurs, Alain Fontaine. Les métiers de la restauration sont prenants tant physiquement qu’en termes d’horaires. Dès les premiers jours de fermeture, le gérant du Vaudésir, Pierre-Christophe Hantz avait d’ailleurs suggéré à son équipe de bien profiter de ces « vacances payées » car l’occasion ne se représenterait pas deux fois. Pendant toute la durée de fermeture, les salariés étaient en effet protégés par le chômage partiel qui leur permettait de toucher une bonne partie de leur salaire, égal à 84 % de leur net.
« La différence entre le salaire et le chômage partiel n’est pas énorme. Nous parlons d’une centaine d’euros. Mais il va bien falloir reprendre le travail, même si ce n’est pas pour une question d’argent », souligne Pierre-Christophe Hantz. Les longs mois d’inactivité forcée ont bouleversé l’écosystème du secteur CHR. Certains salariés ont complètement disparu des radars. Selon une étude réalisée par les organismes professionnels, 100.000 d’entre eux pourraient ne pas reprendre leur activité. Patrick Laur est un de ces gérants qui s’inquiètent et redoutent la pénurie de main d’œuvre. « Les salariés en chômage partiel ont dû mal à revenir. C’est assez aberrant. J’ai un salarié qui est en ce moment même à Barcelone. Je lui ai demandé de revenir pour préparer la réouverture car ce n’est pas quelque chose qui se fait la veille. Il m’a répondu qu’il n’allait pas prendre un avion pour seulement une demi-journée de ménage. C’est devenu n’importe quoi ! À Toulouse, nous avons mis une annonce pour un second de cuisine. En un mois, nous avons reçu seulement deux CV », explique-t-il.
La reprise d’activité s’annonce donc comme un véritable casse-tête. Selon le président de l’AFMR, Alain Fontaine, de grandes différences vont notamment être observées entre la capitale et le reste de la France. Dans les régions touristiques très fréquentées, le personnel ne va pas réussir à gérer l’afflux de clientèle alors que Paris risque d’être complètement déserté pendant l’été. « Les salariés vont manquer, c’est certain. Mais la situation va bénéficier à deux profils : les extras et les étudiants », conclut-il.