Quand ça vacille

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Si le gouvernement a annoncé des mesures exceptionnelles pour aider les CHR, il est plus que jamais important de savoir déceler et s’adapter aux menaces qui pèsent sur vos établissements. Voici l’ensemble des leviers à actionner pour limiter la casse.

Ces dernières années, les cafés-hôtels-restaurants ont traversé de nombreuses épreuves. Les Gilets jaunes et leurs manifestations, débutées le samedi 17 octobre 2018, ont eu un impact fort sur les entreprises du secteur, notamment dans les centres-ville. Selon l’Insee, le mouvement aurait ôté 0,1 point à la croissance du PIB au quatrième trimestre de 2018, touchant particulièrement les secteurs du commerce, de l’hébergement, de la restauration et des transports. Se sont en suivies les manifestations liées à la réforme des retraites, les grèves de transports… Au quatrième trimestre de 2019, on notait tout de même une petite note positive avec une fréquentation des hébergements collectifs touristiques en légère augmentation (+ 0,8 % par rapport à 2018) tirée par la clientèle française (+ 2,7 %), alors que celle des non-résidents accusait un repli (- 3,8 %). Malheureusement, la situation actuelle ne fait qu’enfoncer le clou : les frontières de l’Union européenne et de l’espace Schengen sont fermées depuis le 17 mars, pour 30 jours au minimum. Et le premier rapport du cabinet d’études Food Service Vision sur les conséquences de la crise dûe au coronavirus fait état d’une chûte de 15 % du chiffre d’affaires dans la restauration, entre le 1er et le 15 mars par rapport à la même période 2019, après une baisse de 1% en janvier et -4% en février. L’épidémie aura des effets durables sur la fréquentation touristique, même lorsque que les activités reprendront. « Il va falloir s’adapter à l’absence de fréquentation , souligne Jean Caucanas, responsable juridique pour le cabinet Steco, spécialisé dans les activités touristiques et CHRD.

fermé pour coronavirus
Depuis le samedi 14 mars, l’ensemble des établissements CHR n’a plus le droit de recevoir des clients. Seuls les commerces nécessaires au fonctionnement du pays sont autorisés à ouvrir leurs portes.


« Le choc sera macroéconomique, mais il impactera aussi les petites entreprises »,
affirme le juriste. Dès le début du mois de janvier, lui et son collaborateur Yves Paugam, expert-comptable, se sont inquiétés de l’impact que pourrait avoir le virus sur l’activité du CHR : « On nous prenait pour des hurluberlus, mais maintenant les gens prennent conscience de la gravité de la situation », déplore l’expert-comptable.

Steco

« La réinjection budgétaire massive prévu par l’État peut favoriser l’inflation ou entraîner plus de déflation, on ne connaît pas ses effets. Elle permettra de soutenir des entreprises dans la durée ; celles qui étaient peu performantes seront peut-être prolongées artificiellement, mais ne pourront pas par la suite générer de bénéfices », Jean Caucanas, juriste chez Steco.


Mais alors, comment gérer au mieux son établissement pour être préparé en temps de crise ? Un plan de trésorerie détaillé permet de contrôler au mieux la balance financière de l’entreprise et l’évolution de ses ressources disponibles. « L’idéal, c’est d’avoir un prévisionnel réalisé en amont et de suivre les écarts par rapport à la trésorerie courante et les ressources que l’on doit avoir en banque », affirme Yves Paugam. Cette anticipation est d’autant plus importante lorsque l’entreprise se lance, et il est essentiel de construire son prévisionnel avant de se mettre à exploiter. « Sinon il est très compliqué de piloter son entreprise : on est plus préoccupé par le suivi des événements que par leur anticipation. » La gestion des écarts entre ce prévisionnel et la réalité est essentielle : elle permet de comprendre si le problème vient des marges, du dépassement sur les frais fixes, du ratio main-d’œuvre/chiffre d’affaires ou d’un problème d’endettement initial. Quand la simulation des chiffres a été mal suivie, les difficultés se creusent de manière significative. Un des indicateurs les plus lisibles est notamment ce ratio main-d’œuvre/ chiffre d’affaires, facile à calculer de manière mensuelle pour le restaurateur, qui de toute manière déclare son chiffre d’affaires et édite des fiches de paie. Il permet de comparer aisément plusieurs périodes données, et dans le cas d’un restaurant avec une activité récurrente, « d’éviter les dérapages » , selon Yves Paugam. L’expert-comptable note néanmoins que de grosses disparités peuvent exister pour les restaurants en activité saisonnière. « Certains restaurateurs vont faire huit fois plus de CA en août qu’en janvier : avant l’été, il est donc difficile de savoir comment on se porte puisqu’on sait qu’on perd de l’argent en hiver et qu’on en gagne en été. » Si un suivi mensuel de son activité d’une année à l’autre permet de se rendre compte de son évolution, la vraie comparaison se fait de manière trimestrielle. En effet, en hôtellerie comme en restauration, les vacances scolaires influent sur les résultats. « Selon les jours fériés, les zones de congé, mais aussi la météo, on peut avoir de grosses différences sur l’affluence et donc des moments difficiles à comparer, d’où la nécessité d’observer des périodes de trois mois. » Mais toutes les entreprises ne sont pas égales : un restaurateur possédant une certaine marge de manœuvre – des fonds bancaires ou personnels supplémentaires par exemple – pourra vivre six mois, huit mois, voire un an, avec des difficultés, grâce à cette recapitalisation. A contrario, un établissement possédant une marge moindre peut ne pas survivre à un mauvais trimestre.



Yves Paugam

« Actuellement, la priorité est de ne pas être en cessation de paiement et d’organiser son redémarrage en limitant au maximum les charges, puisqu’il n’y a pas de rentrées d’argent », Yves Paugam, expert-comptable chez Steco.


« L’idée générale, quand on monte une entreprise, c’est de se préparer au pire : six mois, un an avec une activité réduite. Il serait donc idéal d’avoir l’équivalent de ce laps de temps en emprunt à la banque »
, avance l’expert-comptable qui estime préférable que la négociation avec le banquier se fasse en amont des difficultés. « Par exemple, un restaurateur qui n’a pas besoin de découvert bancaire peut négocier à l’avance le montant qui lui sera autorisé en cas de problème. » Arriver avec des mauvais chiffres clôt la discussion entre la banque et l’entreprise : mieux vaut anticiper, idéalement six mois à l’avance. « Ces six mois de décalage entre prévisionnel et CA réalisé correspondent au moment où l’entreprise va s’enliser », justifie le juriste Jean Caucanas. « Six mois c’est bien, mais un an, c’est l’idéal », table Yves Paugam. 

Bon à savoir en temps de paix, mais lorsque la crise économique sonne à la porte, il faut prévoir une stratégie de sortie.


FAIRE FACE À LA CRISE

Lorsque les complications sont bel et bien là, il faut savoir trouver les leviers à actionner pour soulager sa situation financière. Les charges fixes de l’entreprises doivent être examinées, et faire l’objet de petites réductions si possible, même s’il est souvent compliqué de faire de réelles économies sur ces frais. Sur le taux de marge, en revanche, des négociations sont possibles : sur les prix avec les fournisseurs et sur les quantités avec le client, si cela ne pénalise pas trop ce dernier. « Cela peut être un outil, mais tout professionnel normalement constitué a déjà optimisé sa marge et ses coûts », affirme le juriste de Steco. Réduire sa main-d’œuvre semble alors une solution efficace, si bien sûr l’établissement peut fonctionner sans danger à effectif réduit, notamment pour assurer la vente à emporter. « C’est sans doute ce que les professionnels vont devoir faire dans les semaines à venir à cause de l’épidémie, ajoute l’expert-comptable. Actuellement, il faut réfléchir sur comment réduire la masse salariale plutôt que de l’augmenter : la capacité à trouver des saisonniers n’est pour l’instant pas une priorité. » Dans le même temps, le dirigeant doit essayer de négocier des reports d’échéance avec son banquier et avec ses principaux créanciers à l’amiable. Des actions qui devraient être facilitées après les mesures prises par le Gouvernement. Mais si ces derniers sont réfractaires et vous refusent toute marge de manœuvre, il est possible d’avoir recours à la médiation du crédit ou à la médiation interentreprises (un numéro vert a été mis en place pour vous aider pendant la crise : 0 800 94 25 64 et vous pouvez le saisir via https://mediateur-credit.banque-france.fr). Ces services existent pour faciliter les négociations entre le chef d’entreprise et les banques ou entre entreprises. « Dans le cas de la médiation du crédit, 60 à 65 % des cas examinés obtiennent un changement d’avis des banques » , souligne William Nahum. Si avec ces recours, les négociations n’aboutissent pas, il faut alors passer à l’étape suivante : la cessation de paiement. Cette déclaration appelée « dépôt de bilan » doit être effectuée auprès du tribunal de commerce ou du tribunal de grande instance. Il est judicieux de l’effectuer dans les quinze jours ou le mois durant lequel on rencontre les difficultés, lorsqu’il n’est plus possible de négocier avec les différents acteurs cités plus haut. Le dépôt de bilan est nécessaire lorsque les difficultés de paiement sont récurrentes, mais implique de lourdes conséquences : « Si la dette est trop importante, le tribunal peut demander la liquidation de l’entreprise », note Jean Caucanas. Une autre procédure, la sauvegarde, peut vous aider à préserver votre entreprise. Cette procédure préventive doit permettre de traiter les difficultés insurmontables d’une entreprise avant que celle-ci ne soit en état de cessation de paiement. Elle a pour but, par la mise en place d’un plan de sauvegarde, de permettre à l’entreprise de continuer son activité (au besoin en procédant à sa réorganisation), de maintenir l’emploi et d’apurer ses dettes.

CIP

« Il va y avoir une chute drastique de l’activité. Même si les mesures annoncées par le gouvernement sont significatives, elles ne seront pas suffisantes si la situation actuelle dure plus que quelques semaines », William Nahum, Président du CIP National (Centre d’Information sur la Prévention des difficultés des entreprises).


Mais actuellement, la crise sanitaire affecte tous les organes de fonctionnement de la nation. Le tribunal de commerce n’a pas repris son activité normale. « Théoriquement, mettre en place un plan de sauvegarde semble une bonne idée, mais le fonctionnement de la procédure va être impacté », observe Jean Caucanas. Dans cette situation houleuse, le cabinet comptable va être en première ligne pour mettre en œuvre les mesures nécessaires. En effet, les établissements ayant des structures plus importantes y ont souvent recours, notamment en cas de litige juridique. Des aides gratuites pour vous accompagner dans vos difficultés existent aussi : le Centre d’information sur la prévention des difficultés des entreprises (CIP) accueille et écoute gratuitement les chefs d’entreprise, les coordonnées de vos contacts locaux se trouvent sur la page dédiée (https://www.cip-national.fr/prevention-des-difficultes-des-entreprises/cip-territoriaux-aide-entreprises-en-difficulte/). Cette structure, créée par William Nahum en 1999, compte aujourd’hui 67 CIP territoriaux, disséminés dans toute la France. Des experts bénévoles reçoivent les professionnels, seuls ou accompagnés. « Beaucoup de personnes viennent seules, mais certaines sont accompagnées de leur expert-comptable. Cela permet de mieux comprendre les indications données par les experts du CIP et d’ajuster ensemble les mesures à prendre. »

Outre son activité de conseil, la structure peut fournir un accompagnement peu coûteux via les associations Ecti et Egée. « Le CIP a un partenariat avec ces associations de seniors du monde de l’entreprise, dont les membres peuvent venir aider les professionnels pendant une ou plusieurs demi-journée », poursuit l’expert. Le CIP propose aussi une aide psychologique : un réseau de 400 à 500 psychologues français propose une consultation gratuite, les séances étant payées par le CIP national. Un service gracieux qui, complété par un accompagnement de votre expert-comptable ou avocat et des mesures prise par l’État, permet de réagir aux difficultés subies par votre établissement.

logo CIP
Chaque année, le Centre d’Information sur la Prévention des difficultés des entreprises reçoit gratuitement entre 5000 et 10 000 visiteurs.

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