Muscadet, une AOP désormais plurielle

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Le muscadet opère un retour en force sur les tables et comptoirs. Au prix d’une restructuration de leur vignoble et de plus longs élevages sur lies, les vignerons nantais sont revenus aux fondamentaux en mettant en valeur des facettes insoupçonnées de leur terroir, notamment à travers dix nouveaux crus.

Muscadet
Bruno et Maxime Cormerais. Crédit : DR

La tendance de consommation favorable pour les blancs secs et tendus a de quoi réjouir les vignerons des appellations du muscadet. Leurs vins retrouvent depuis une dizaine d’années le chemin des comptoirs, mais se hissent aussi sur les plus grandes tables. Le vin nantais est revenu de loin. Son succès enregistré dans les années 1970 avait conduit nombre d’opérateurs à multiplier les plantations sur des terroirs parfois peu appropriés. Les aléas climatiques faisaient considérablement varier les rendements d’une année à l’autre, notamment en 1991 où le manque de vin a fait perdre le marché anglais, pierre angulaire du négoce.

Comme dans une cascade de dominos, le négoce nantais s’est effondré dans la foulée au profit d’acteurs nationaux et le muscadet a entamé une lente descente aux enfers. En 20 ans, la production de ce vin est passée de 800 000 à 300 000 hl. Nombre de vignes de melon de Bourgogne ont été arrachées, d’autres parcelles ont été replantées pour produire des vins de cépages sous l’IGP Vin de pays, qui se vendaient parfois mieux qu’un muscadet… Pierre-Jean Sauvion préfère parler d’un retour à la raison : « Finalement, le vignoble nantais est revenu à ses dimensions d’après-guerre. Les anciens savaient sur quels sols il était opportun de planter du melon de Bourgogne. »

Il faut également mentionner un petit coup de pouce du réchauffement climatique. Le melon de Bourgogne qui peinait autrefois à arriver à maturité dans des mauvais millésimes connaît de plus en plus rarement cette déconvenue. Selon Pierre-Jean Sauvion, « l’acidité du muscadet serait ainsi passée en 20 ans d’un PH moyen de 3,05 à 3,4 ».

Hiérarchisation des terroirs

Cet homme du vin dirige aujourd’hui le château du Cléray à Vallet (Loire-Atlantique), qui était dans sa famille depuis trois générations avant d’être racheté, en 2007, par les Grands Chais de France. Ce domaine de 80 ha de vigne est représentatif de la hiérarchisation actuelle du vignoble : 20 ha produisent des vins de cépage. Les 60 ha restants sont dédiés au muscadet-sèvre-et-maine. La majorité des parcelles est réservée au château du Cléray, le vin de référence du Domaine, un muscadet droit, minéral, à la bouche présentant des notes salines et citronnées.

Un bel échantillon de muscadet classique dont le prix de vente aux restaurateurs ne dépasse pas 6 €. Un exemple parmi tant d’autres qui montre les belles opportunités qu’offre le vignoble nantais. Le château propose un second vin, Baronne du Cléray, issu de parcelles jugées légèrement inférieures. En haut de la pyramide, Pierre-Jean Sauvion décline depuis quelques années une cuvée Vallet. Celle-ci provient de 2,4 ha de vignes du domaine situées dans l’aire géographique du futur cru Vallet, qui devrait être officialisé en 2026.

Ce vin est élevé 24 mois sur lies et certaines années, comme en 2022, il n’est pas commercialisé. Ces crus du muscadet expriment la réalité d’un terroir. Comme le fait remarquer un spécialiste : « On peut déguster un Clisson et un Gorges du même millésime et observer des profils très différents. » Bruno Cormerais est un artisan majeur de l’émergence des crus, d’abord au sein du syndicat de l’AOP Muscadet dès les années 1970, puis en tant que 1er président du cru Granit de Clisson. Jeune vigneron, il a vite ressenti la nécessité de valoriser le muscadet. À ses débuts, il négociait 10 % de sa production.

Aujourd’hui, il commercialise plus de la moitié de sa production. Mais surtout, il ne se contente plus de commercialiser l’AOP Sèvre-et-Maine sous la marque la Chambaudière. Au fil des années, il a élaboré cinq cuvées haut de gamme en développant les sélections parcellaires. Il dispose ainsi d’importantes surfaces de vignes classées en crus Clisson, mais pour élaborer ce vin, le vigneron n’a retenu que la meilleure partie de ces raisins. C’est aussi un fervent adepte du vieillissement sur lies. En allant bien au-delà du cahier des charges, il élève son cru au minimum trois ans et parfois jusqu’à cinq ans. Au besoin, il va jusqu’à incorporer de nouvelles lies. « 2022 et 2023 sont encore dans les cuves, comme 2024 qui devra également subir l’examen de la commission de dégustation », fait-il remarquer.

Cet homme de 72 ans a transmis le domaine de 27 ha, à proximité de Clisson (Loire-Atlantique), à son fils Maxime, mais il conduit toujours les vinifications. Il a ainsi décliné parallèlement une cuvée Prestige, mais aussi trois cuvées portant respectivement son prénom, celui de son fils et celui de sa petite fille, avec des sélections parcellaires différentes et des vieillissements sur lies hors norme. La prochaine cuvée hommage au centenaire de son père Gustave, de millésime 2018, dort toujours dans les cuves d’où elle devrait sortir en… 2027.

Pour développer encore davantage l’aromatique de ses cuvées spéciales, Bruno n’hésite pas à bâtonner, voire élever certains vins dans des fûts en bois, à l’image des cuvées Prestige et Maxime. On découvre ainsi chez lui une autre version du muscadet avec des arômes plus persistants, une ampleur et une longueur en bouche significatives, qui nous entraîne parfois loin de Nantes. Ses blancs sont aujourd’hui capables de soutenir la comparaison avec certaines AOP bourguignonnes.

5 AOP liées au Muscadet

1. Muscadet fait figure à ce jour d’AOP générique. Elle est née en 1937 et couvre un vaste territoire qui s’étend en Loire- Atlantique, dans le Maine-et-Loire, mais aussi dans quatre communes de Vendée. La production de l’AOP concerne aujourd’hui 1 300 ha. Nombre de vignerons ont ainsi préféré utiliser des AOP régionales plus pointues apparues par la suite. Elles sont liées à des cahiers de charges différents, avec un rendement maximal moins important, des élevages sur lies plus longs, mais surtout elles renvoient à un terroir plus délimité et homogène. Ces AOP régionales sont au nombre de 4

2. Muscadet coteaux d’Ancenis (150 ha)

3. Muscadet côtes-de-grandlieu (230 ha)

4. Muscadet côteaux-de-la-loire (130 ha))

5. Muscadet-Sèvre-et-Maine est l’AOP reine des vins nantais. Elle a été admise en 1936. Son aire d’appellation délimitée à l’est de Nantes englobe aussi 9 des 10 AOP communales (7 attribuées et 3 en constitution) appelées aussi crus. Elles rassemblent des terroirs plus homogènes et imposent des élevages sur lies plus longs et des rendements qui n’excèdent pas 45 hl/ha (contre 55 hl/ha pour une AOP régionale et 70hl/ ha pour une AOP générique).

Gros plant, le mal-aimé

AOP des vins de Nantes depuis 2012, le gros plant recouvre le périmètre de l’appellation Muscadet, mais il est majoritairement constitué de folle blanche, un cépage souvent utilisé pour les vins de distillation, offrant de bons rendements et un degré d’alcool modéré (10 à 11°). Ce vin a longtemps été considéré comme un sous- produit, comme l’explique Pierre-Jean Sauvion, qui conserve 0,47 ha de gros plant dans son château de Cléray : « La plupart des vignerons négligeaient la culture et la vinification de la folle blanche. Ils traitaient ces vignes comme celles de melon de Bourgogne et le résultat laissait à désirer. » En 30 ans, la production de gros plant est passée de 3 000 à 300 hl.

Mais les gros plants qui ont survécu valent souvent le détour, car positionnés sur des parcelles plus adaptées et travaillés plus soigneusement. « Le plus souvent, les producteurs de grands muscadets proposent d’excellents gros plants, assure François Robin, responsable de la communication de la Fédération des vins de Nantes. Parfois, ils délaissent l’AOP Gros Plant, nom peu vendeur pour utiliser celui de Folle blanche. » Parmi des vignerons réputés pour leur gros plant, on peut citer Luneau-Papin (Le Landreau), Chéreau Carré (Saint-Fiacre-sur- Maine) ou Jérémie Huchet (Château-Thébaud). Ils permettent un retour de ce vin, qui selon certains spécialistes est devenu l’allié naturel des plateaux de fruits de mer grâce à son profil très sec, salin et ses arômes de citron.

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