Du rififi au pays du fromage de brebis

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La période de mévente du roquefort a poussé les industriels à s’orienter vers de nouveaux produits, comme le bleu de brebis ou le pérail.

Fromages
Fromages

Dans la région de Roquefort, au sud de l’Aveyron, la tension monte sur le terrain entre les éleveurs, les producteurs et Lactalis, qui fait figure de poids lourd dans la transformation du lait de brebis dans la région. Localement, le géant laitier contrôlerait ainsi 70 à 80 % de la collecte de lait. Mais jusqu’à présent, cette hégémonie ne posait pas de problèmes majeurs. Société des caves et des producteurs réunis de Roquefort, filiale de Lactalis plus connue sous le nom de Société, avait tiré très haut l’AOP roquefort, avec ses dix marques. Grâce à une présence visible dans les étals des fromagers et dans les rayons des grandes surfaces, ce fromage occupe une place de choix avec ses tonnages dans le cénacle des appellations fromagères françaises.

Mais l’AOP roquefort n’est plus poussée par des vents très favorables. Les tonnages produits auraient diminué de 16 % durant ces dernières années, pour évoluer actuellement autour de 16 000 ton nes. Ce fromage subit sur le marché la concurrence d’autres pâtes persillées fabriquées à partir de lait de vache. Surtout, il est cher à produire, en raison du coût du lait de brebis, mais aussi de la complexité de la fabrication induite par le cahier des charges de l’AOP.

Cette désaffection contraint l’industriel à trouver d’autres débouchés pour le lait de brebis. Il y parvint par le passé avec sa feta et depuis 2007 avec Salakis (respect des AOP européennes oblige). Mais au printemps dernier, l’arrivée d’un nouveau produit sur le marché, le Bleu de brebis, sous la marque Société, a soulevé une levée de boucliers. Affranchi des contraintes de l’AOP, il est proposé sur le marché à des prix inférieurs de 25 % au roquefort. Localement, ce renoncement qualitatif inquiète jusqu’au syndicat du personnel de Lactalis. Ghislaine Fabre, responsable de la CFDT à Roquefort, déclarait ainsi à France Bleu : « Pour nous, la marque Société, ce n’est que du roquefort. Nous ne voulons pas de produit dérivé avec “Société” écrit dessus, parce que le consommateur va être perdu. On a peur que cela nous fasse perdre des clients du Roquefort, parce qu’il sera beaucoup moins cher. Ce “Bleu de brebis” n’a aucune charge. Ils peuvent prendre du lait de n’importe où, le faire n’importe où.

José Bové s’en mêle

Figure locale et encore député européen au moment des faits, José Bové est lui aussi monté au créneau pour fustiger cette nouvelle marque.

Il a ainsi déclaré « Ce produit est une escroquerie qui porte une atteinte grave à l’appellation d’origine protégée roquefort et au territoire. Le cahier des charges de l’AOP garantit une zone de production, une qualité, un fromage au lait cru affiné dans les caves du village de Roquefort et un prix du lait payé au producteur. Ce n’est absolument pas le cas de ce nouveau produit, fabriqué à Rodez, à partir de lait pasteurisé. »

Dans la foulée, l’ancien leader syndical agricole mettait la pression sur Christian Gentil, président de la Confédération générale de Roque fort, afin que ce dernier exige le retrait du produit. Mais il n’est pas sûr que cette demande soit recevable, car juridiquement, Société ne fait pas mention du terme roquefort sur l’emballage.

Le 6 juin, des membres de la Confédération paysanne, l’ancienne organisation de José Bové, ont mené une opération coup de poing dans le village de Roquefort en contrôlant le contenu des camions d’expédition de Lactalis et confisquant quelques cartons de Bleu de brebis.

Pas d’AOC pour le pérail

Presqu’au même moment, un autre épisode déterminant pour l’avenir de la production locale de lait se jouait à Paris. Le 13 juin, en effet, le Comité national des produits laitiers de l’Inao refusait le classement en AOP du pérail, un autre fromage de brebis produit dans l’Aveyron, mais aussi la Lozère, le Tarn, l’Hérault et le Gard. C’était une profonde déception pour Jean-François Dombre, président de l’Association de défense et de promotion du fromage de brebis, qui s’était engagé dès 1995 dans ce combat. En 2017, il se réjouissait déjà de la perspective d’une AOP dans nos colonnes : « Ce produit fait vivre 200 producteurs et 140 salariés. Il représente entre 4 et 5 millions de litres de lait et 1 000 tonnes de fromages. C’est un produit qui compte dans le paysage fromager local et qui viendra enrichir le plateau des AOP du sud du Massif central, déjà bien garni ! ».

Jean-François Dombre, président de l’Association de défense et de promotion du fromage de brebis.

Jean-François Dombre, président de l’Association de défense et de promotion du fromage de brebis.

Mais l’Inao ne l’a pas entendu de cette oreille et n’a même pas laissé la porte entrebâillée pour une nouvelle candidature prochaine. Le dossier a été rejeté par 26 voix contre 7 favorables. En l’absence de communication du commentaire de la décision de l’Inao, Sophie Lucas, animatrice de l’association Pérail, refuse tout commentaire, mais constate : « Économiquement, c’est un coup dur, ce label apporte reconnaissance et retombées financières. C’est aussi un protecteur de territoires. » Mais implicitement, l’animatrice concède que le cahier des charges était peu être trop ouvert. Le lait pasteurisé, notamment, était toléré dans la fabrication du pérail. De même, des contraintes minimums auraient été retenues en matière de fabrication et d’affinage. Initialement, le cahier des charges a dû tenir compte des intérêts de ses différents adhérents pour retenir les plus petits dénominateurs communs.

Il faut savoir que Lactalis et sa fameuse marque Lou Pérac représentent une production de près de 1 000 sur les 1 300 tonnes revendiquées par l’appellation. Le groupe industriel est un membre de l’association. Il n’était pas contre le fait de bénéficier d’une AOP, mais refusait pour autant de se plier à de nouvelles contraintes. Désormais, Jean-François Dombre et les producteurs indépendants sont confrontés à un choix : oublier l’idée de l’AOP pérail ou repartir au combat avec un cahier des charges plus rigoureux et sans leur encombrant partenaire industriel.

Le pérail ne bénéficiera pas d’une AOC.

Le pérail ne bénéficiera pas d’une AOC.

Avec la vente de Papillon, la mainmise des grands groupes s’accentue

C’est un grand nom du roquefort qui vient de passer dans l’escarcelle de Savencia (ex-groupe Bongrain). Papillon, créé en 1906, appartenait depuis 1998 à la famille Farines, un important acteur hôtelier de la région de Montpellier sous la bannière d’Accor. La marque détiendrait 12 % des volumes de l’AOP roquefort et réalise un CA de 35 M€. Après le décès de Francis Farines en 2016, la famille n’a pas souhaité conserver cette activité.

Ce rachat accroît néanmoins la concentration de l’activité de fabrication du roquefort au sein des grands groupes alimentaire français.

Papillon
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