Snacking : la nouvelle concurrence des caves à vin
- Temps de lecture : 5 min
Lieux hybrides de plus en plus présents dans la capitale, les caves à vin qui proposent de la restauration séduisent autant par leur approche pédagogique de la dégustation de vins que par leur ambiance décontractée.
Les Parisiens les plus attentifs ne sont pas passés à côté de ces échoppes exiguës aux faux airs de caves à vin. En fin de journée, c’est le même rituel : des groupes d’amis s’y entassent, autour d’un comptoir ou d’une table de bistro, pour picorer des bouchées salées, un verre à pied à la main. Ces caves à manger, comme on les appelle désormais, sont l’œuvre de passionnés, dont la démarche est simple : partager leur amour du bon vin sans passer par le simple rapport de la vente à emporter. Il s’agit donc de construire une expérience client autour de leurs crus en les agrémentant d’une petite offre de restauration et d’une atmosphère décomplexée. Certes, leur existence n’est pas totalement nouvelle (la cave de Septime a ouvert en 2013, par exemple), mais force est de constater que depuis trois ans, le phénomène prend de l’ampleur. Et si la cartographie des caves à manger est hétéroclite, de la rive gauche (Sauvage, rue du Cherche-Midi) au nord de Paris (la Félicité, rue Legendre), deux secteurs se sont néanmoins démarqués grâce à leur offre pléthorique. D’abord, le 9 arrondissement, avec par exemple, 228 litres, la cave d’Orties ou Pratz, et ensuite le 11 arrondissement, où l’on retrouve des adresses telles que L’Attache, La Buvette ou Vantre.
La Cave aux Lions et sa décoration vintage.
Quel statut ?
Ce boom des caves à manger n’est pas qu’une tendance sortie par magie du chapeau d’entrepreneurs en quête de nouveaux concepts. Elles répondent aussi à une conjoncture sociétale et foncière.
L’intérêt des néorestaurateurs pour les vins naturels et le bien-boire s’est confronté à la réalité d’un marché surchargé. La cave à manger constitue un concept opportun pour répondre à la demande actuelle. En effet, pas besoin de s’encombrer des contraintes matérielles d’un restaurant, puisqu’on y propose essentiellement des mets bruts (fromages, saucissons, tapas, etc.), ne nécessitant ni cuisine, ni extraction. De plus, cette offre de bouche permet de contourner un autre frein majeur à l’installation en région parisienne pour de tels projets : la licence IV. En effet, le dénominateur commun à la majorité des caves à manger est de ne posséder qu’une licence restaurant. Il est donc obligatoire pour le client de se restaurer sur place s’il veut déguster son verre de vin.
Pour Cécile Vion, de la Cave aux Lions, ce n’est pas vraiment un problème : « Mes clients sont compréhensifs et nous proposons des petites bouchées très accessibles. De toute façon, sur nos heures d’ouverture, qui sont de 18h à minuit, la question ne se pose presque pas. Tout le monde a spontanément envie de manger quelque chose. »
Benoît Melendez de l’Extra Brut : « Je travaille main dans la main avec mes collaborateurs, situés au 36, rue Dom-Perignon à Hautvillers. »
Découverte et échange
Passé cette mise en contexte, on remarque que ces établissements ont tous une approche singulière du concept. Au-delà de créer une ambiance bon enfant, Benoît Melendez de l’Extra Brut veut avant tout partager sa passion pour le champagne en adoptant une approche très pédagogique : « Le champagne est un produit qui souffre encore de clichés tenaces (la bulle fine, la cuillère, la flûte et autres aberrations) et mon but est de le désacraliser. La cave à manger est l’écrin parfait pour cela, car elle propose un contexte propice à l’échange et aux rencontres. Pourtant, dans ce milieu, je suis une exception, car j’ai réussi à rapatrier une licence IV, donc je pourrais ne pas proposer de grignotage.
Mais c’est indissociable de ma démarche : on vient, on mange un bon piastrellou, une petite portion de ventrèche de thon et on découvre des champagnes exceptionnels. Ça permet également d’évoquer les accords mets-champagne qui sont malheureusement méconnus. »
À la Cave aux Lions, ce sont près de 120 références de vins qui sont disponibles. Une grande majorité se veut représentative du vignoble français et axée sur des maisons atypiques, ce à quoi Cécile Vion ajoute quelques découvertes internationales, comme des vins de Moldavie. Et en plus d’une offre de planches et de tapas sourcées avec exigence (beaucoup de produits italiens en provenance directe des Pouilles), l’établissement se distingue par son concept de brocante.
En résumé : tout élément de décoration peut être acheté par les clients. « Je n’avais pas envie de dissocier mes passions pour la brocante et pour le vin, poursuit Cécile Vion. Aujourd’hui, c’est notre plus-value ! »
La question du droit de bouchon
Autre ambiance et autre approche de la cave à manger avec La Canonnière. Imaginée par Arnaud Lajoinie (originaire d’Aurillac), François de Monval et Fabrice Mury (originaire de Mur-de-Barrez), cette adresse se présente comme un vrai bistro où l’on peut déjeuner. « On a deux chefs, de vrais plats, la cuisine est derrière le comptoir, les gens voient les cuissons, etc., souligne Arnaud Lajoinie. Mais le terme de cave à manger nous correspond très bien, puisque le vin reste le pilier de la Canonnière. Notre offre est essentiellement nature ou issue de la biodynamie, avec la démarche de proposer des vins accessibles pour découvrir cet univers, ainsi que d’autres plus exigeants, pour les personnes avisées. Côté répartition, on est à 75 % pour la vente sur place et 25 % à emporter. Notre coefficient à la bouteille en salle est très bas, presque au niveau du caviste classique, donc on impose un droit de bouchon à 10 euros. » Ce droit de bouchon, on le retrouve également à l’Extra Brut et, là encore, il s’agit de faire de la pédagogie, selon Benoît Melendez : « C’est parfois compliqué à expliquer aux clients. La vente à emporter représente 60 % des achats chez moi, mais sa marge est assez réduite, car j’essaye de proposer des tarifs abordables, qui commencent autour de 20 euros. Donc même avec 14 euros de droit de bouchon sur place, on s’y retrouve. Du champagne de qualité, en salle, à ce prix-là, ça ne court pas les rues. »
Concernant la clientèle, les caves à manger attirent en majorité des locaux qui s’identifient à cette culture épicurienne et conviviale favorable à l’identité de quartier.
Du côté de chez Benoît Melendez et Arnaud Lajoinie, ce sont 60 % de voisins qui poussent la porte.
C’est un peu moins pour Cécile Vion, qui compte donc sur une population de passage se rendant par exemple au théâtre. En outre, la souplesse des cartes s’adapte parfaitement à la clientèle locale, autant en quête de valeurs sûres que de découvertes. « C’est un lieu très vivant, la relation client est franche et instantanée, souligne Arnaud Lajoinie. La fidélisation est donc naturelle. » La fidélisation, Cécile Vion la connaît bien : « Ma nouvelle associée, Sylvie Calippe, a d’abord été ma cliente. Nous nous sommes tellement bien entendues que je l’ai embauchée au moment où elle comptait se reconvertir. »