Bière : quête de naturalité

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Alors que la vague des produits sains déferle sur la consommation de produits alimentaires, la bière n’échappe pas au phénomène du bio et du sans alcool. Décryptage.

Bière, brasserie de Puyricard.
Bière, brasserie de Puyricard. Crédit : Louis Toucas

Depuis quelques années, nous assistons à un véritable boom du secteur de la bière, qui va en s’accélérant. Il continue de progresser en 2019 (vs 2018) à 23,5 Mhl (+ 4,2 %) pour un CA de 3 900 millions d’euros (+ 10 %)1. La croissance est tirée notamment par les magasins (+ 5 %) et le CHR (+ 1,8 %). On dénombre désormais 1 716 brasseries en activité (+ 14 %), ce qui fait de la France le troisième pays en nombre de brasseries contre 727 en 20152. Des résultats à mettre en perspective en raison de la crise sanitaire qui a frappé de plein fouet la France : avec la fermeture des restaurants, des cafés et des bars, la consommation de bière a chuté drastiquement. Le bilan de l’année 2020 risque donc d’être très mitigé, même s’il est encore trop tôt pour disposer de données fiables. « Les cartes vont sérieusement être rebattues, analyse Philippe Jugé, co-organisateur du salon annuel Planète Bière. Le monde de la bière est un secteur très effervescent, mais ni mature ni structuré. Il n’y aura pas de problème pour les brasseries historiques industrielles et indépendantes qui subissent certes un coup d’arrêt, mais ne sont pas en péril. En revanche, ce n’est pas le cas pour tous les nouveaux acteurs qui vont subir ce tsunami de plein fouet. » Pour lui, tout l’enjeu réside dans la création de valeur qui permet de se constituer une trésorerie solide et faire de la marge pour investir. Or, ces nouveaux venus sur le marché n’ont pas encore créé suffisamment de valeur, d’autant plus qu’avec la crise des Gilets jaunes, puis les grèves, ils ont déjà puisé dans leurs réserves. De plus, la conjoncture n’est pas favorable : « La période d’avril à juin sont des mois majeurs pour l’activité brassicole. Les stocks sont remplis, les terrasses battent leur plein, c’est un très mauvais “timing” » , déplore Philippe Jugé. Pour Sylvain Chiron, P-DG de la brasserie du Mont-Blanc, la situation est claire : « Nous sommes touchés de plein fouet. On réalise 40 % de notre chiffre d’affaires en restauration, c’est donc autant de ventes qui ne rentrent plus en ce moment. De plus, il n’y a aucun report en GMS car ne sont mis en rayon que les références de grande rotation. Avec nos vingt ans d’existence, on est certes plus solides que d’autres acteurs naissants du secteur mais pas indestructibles. » Malgré ce climat morose, il n’en résulte pas moins que le secteur reste mouvant et la tendance bière 2020 est au bio et sans alcool.


Brasserie du Mont-Blanc
Sylvain Chiron dans sa Brasserie du Mont-Blanc.


DÉFERLANTE DU BIO

Alors que la part du bio progresse dans le paysage agricole, la demande d’ingrédients de brassage issus de l’agriculture biologique n’échappe pas à cette vague. « C’est certes un marché de niche, mais il connaît une forte croissance, porté par une demande de la part des consommateurs et l’émergence très forte de tous les circuits de distribution alimentaire 100 % bio, observe Sylvain Chiron (Brasserie du Mont-Blanc). Pour être présent, il faut obligatoirement avoir une référence bio. » Pour Philippe Jugé (Planète Bière), il s’agit d’une « vraie tendance de fond », mais alerte sur le fait que sa production coûte plus cher et qu’il est nécessaire de positionner le produit sur un tarif plus élevé que le conventionnel, afin de ne pas « dévoyer le bio ». En effet, les matières premières sont plus coûteuses : on récolte huit à neuf tonnes d’orge à l’hectare en conventionnel versus 4 à 4,5 à l’hectare en bio. Sans compter qu’une tonne d’orge permet de produire 450 litres d’alcool pur en méthode traditionnelle contre 250 à 280 litres en agriculture biologique. « Les rendements à l’hectare et alcooliques sont deux fois moins importants, il n’y a donc aucune raison de ne pas augmenter les prix. Je crois au bio, il faut simplement faire preuve de pédagogie auprès des clients. C’est là que le CHR a un rôle clef à jouer ; en tant que prescripteur, il doit accompagner cette montée en gamme », argumente Philippe Jugé. Le restaurateur commence d’ailleurs à avoir le choix car l’offre s’étoffe. La Brasserie du Mont-Blanc, par exemple, innove avec deux références bio typées abbaye, Sylvanus Triple et Sylvanus blonde. L’eau provient des glaciers du mont Blanc, à plus de 2 000 m d’altitude, et les malts et houblons sont issus de l’agriculture biologique. « Et on va même encore plus loin car on a basculé cette gamme en sans gluten », indique le P-DG de la brasserie.

Brasserie du Puyricard
La Brasserie du Puyricard avec sa toiture photovoltaïque.


La Brasserie de Puyricard en a fait, quant à elle, son créneau avec Bulles de Provence, une gamme de 12 références de bières artisanales bio, toutes non filtrées, brassées localement à l’eau du verdon et à l’énergie verte (le soleil de Provence). L’engagement pris par la brasserie se retrouve également dans le choix du bâtiment, tout en bois, avec une toiture photovoltaïque. Preuve que le non-conventionnel se généralise, les industriels épousent aussi la tendance, un moyen de répondre à l’engouement des consommateurs pour la bière artisanale et de renouer avec une clientèle qui s’est détournée des bières industrielles. Ainsi, 1664 (Kronenbourg SAS) enrichit sa gamme avec 1664 bio non filtrée (5,5 °), la toute première bière bio du portefeuille de la marque. Produite à partir de malts français et de houblons américains issus de l’agriculture biologique, elle est non filtrée. En retirant l’étape de filtration, les levures restent présentes et donnent à la bière sa couleur trouble. Les houblons proviennent des États-Unis, car il n’y a pas assez de houblons bio français sur tout le territoire pour couvrir l’ensemble des besoins. C’est la raison pour laquelle le brasseur et le Comptoir agricole sont actuellement en discussion pour construire un plan visant, dès le brassin 2021, un approvisionnement 100 % en bio alsacien. Une autre tendance forte vient secouer le marché : le segment de la bière désalcoolisée qui connaît une croissance sans précédent.

Bulles de Provence
Bulles de Provence, la nouvelle marque de bières artisanales bio, brassées à l’eau du Verdon et à l’énergie verte.


1664 bière bio non filtrée
La 1664 bio non filtrée (Kronenbourg SAS).


SANS ALCOOL, GISEMENT D’AVENIR

« Le segment du sanc-alcool connaît une croissance à deux chiffres et rencontre un public très important », observe Olivier Puech, Head of Legal & Corporate Affairs BU South (France, Italy, Spain & Canary Islands) de Ab InBev. « Bien qu’il soit encore petit et ne représente actuellement que 2,5 % des volumes du marché en 20193, il connaît une évolution de + 62,8 % comparée à 20173, tirée notamment par une démultiplication de l’offre », renchérit Antoine Susini, directeur marketing d’Heineken France. Un phénomène qui trouve un écho en CHR, porté par une vraie demande des clients avec une légère dominante sur les plus de 35 ans. En lançant Leffe 0.0, Ab InBev a souhaité prendre part à ce segment : « Tout l’enjeu est de conserver l’authenticité du goût de la Leffe dans une version sans alcool, explique Olivier Puech. 


Leffe
Leffe 0.0 est disponible en col de 25 cl en CHR.

Heineken sans-alcool
Heineken France poursuit ses investissements autour du 0.0 en développant une approche catégorielle sur ce segment.


Notre ambition réside dans le fait d’observer ce segment se développer de façon autonome et ainsi de voir fleurir de nouvelles marques et des procédés de brassages qui soient aussi dynamiques que celui avec alcool
. » D’autres géants brassicoles participent très fortement à ce dynamisme : c’est le cas de Kronenbourg SAS dont la part de marché, en GMS, sur le segment des bières sans alcool est de 65,8 % et sur le seul segment des bières aromatisées atteint 77,1 % en 2019 (Tourtel Twist avec 73,6 % et Tourtel Botanics avec 3,5 %). Un succès qui se retrouve en restauration hors domicile. Et pour la blonde 1664 sans alcool, les indicateurs sont également au vert avec une croissance de + 10,9 % en 2019. Heineken France joue un rôle particulièrement moteur sur ce segment avec 22,3 % de part de marché sur les bières sans alcool non aromatisées en 2019 et enregistre une croissance de ses ventes en volume de + 36,3 % en 2019. « Lancée en 2017, Heineken 0.0 – qui a vu ses ventes doubler en 2018 – est le porte-drapeau de notre offre 0 %, indique Antoine Susini, directeur marketing d’Heineken France. Elle est désormais brassée en France dans notre brasserie de Schiltigheim, où nous avons investi 6 millions d’euros et dédié une ligne à sa production. Nous croyons fort au potentiel du 0.0 et l’envisageons comme un véritable levier de croissance et d’avenir, c’est pourquoi nous continuons nos investissements. Cette forte ambition du zéro alcool s’exprime en CHR, puisque la marque a conquis près de 2 800 points de vente en 2019 et constitue à date la seule offre 0.0 disponible à la pression grâce au système Blade. »


Tourtel bière
Tourtel Twist au jus de citron vert et aux notes de menthe fait son entrée sur le réseau hors domicile, en col de 27,5 cl.

1664 bière sans-alcool
La 1664 sans alcool titre 0,5 °.

Notes :

1 : Source Brasseurs de France
2 : Source : Projet Amertume, site internet de recensement des brasseries françaises
3 : Source : Source IRI – circuit alimentaire


Photo de Une : Louis Toucas, assistant brasseur à la Brasserie de Puyricard, observe un prototype de bière blonde non filtrée.




Planète Bière de retour à Paris


Planète Bière revient pour une sixième édition les 21 et 22 juin 2020, à Paris Event Center (Paris 19e). Cent brasseries provenant de 14 pays, dont 45% françaises, se déploieront sur un espace de 4000m2. 6000 visiteurs professionnels et amateurs sont attendus – à noter que le lundi 22 juin est consacré exclusivement aux professionnels (15% de grossistes, 15% de cavistes et 50% de CHR). En créant ce salon, les co-organisateurs Franck Poncelet et Philippe Jugé (société Amuse-Bouche) ont voulu « extraire la bière d’une image trop populaire, la présenter comme un produit qui se déguste et accompagne la croissance de ce marché ». Six ans plus tard, le pari est réussi au regard de l’essor vertigineux que connaît cette catégorie. « Tout l’enjeu de Planète Bière est de parvenir à transformer cette émulation en valeur », souligne Philippe Jugé qui pointe du doigt une meilleure distribution et une valorisation des produits comme leviers efficaces. 600 bières seront dégustées dont 105 nouveautés, sorte de « photo instantanée du marché national »,
poursuit Franck Poncelet. Cette nouvelle édition reste fidèle à son postulat de départ : « Promouvoir la diversité et la qualité de la bière à travers le monde ainsi que le dynamisme de la filière française»
Billetterie et programme des conférences sur www.planete-biere.com.

Plante Bière 2019 à Paris
Le salon Planète bière a célébré sa cinquième édition à Paris en 2019.

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