Le cidre, enfin tendance

  • Temps de lecture : 10 min

Le cidre, boisson ancestrale, a connu ces dernières années une cure de rajeunissement et un dynamisme jamais vu jusque-là. Poussé par de jeunes marques souhaitant casser les codes, le segment du cidre a vu son image se moderniser, mais surtout ses cuvées se diversifier, en empruntant aux codes du vin, pour s’éloigner du cliché de la boisson idéale pour les crêpes et galettes.

La cidrerie du Contentin Maison Hérout prône une approche vigneronne de la production de cidre. Crédit : Xavier Lachenaud - Attitude Manche

Le cidre peut se targuer d’être l’une des seules boissons alcoolisées qui ne se porte pas trop mal actuellement. « Ce n’est pas extraordinaire si nous regardons les volumes, la faute à un été pas terrible. Mais le vin est en grande difficulté, c’est structurel. Alors que ce n’est pas le cas du cidre qui connaît de petites baisses conjoncturelles », indique d’abord Jean-Louis Benassi, directeur de l’Union nationale interprofessionnelle cidricole (Unicid), avant de se féliciter de la situation: « Le nombre d’exploitations a augmenté et les ventes en France et à l’export ont légèrement progressé entre 2021 et 2023. »

La production française de cidre s’est élevée en 2023 à 66 millions de bouteilles. La filière compte en outre 450 producteurs fermiers (qui cultivent leurs pommiers) et 30 à 40 artisans, qui achètent des pommes et les transforment. Parmi ces derniers, deux opérateurs importants que sont les coopératives Les Celliers Associés (Val de Rance) et Eclor, la branche boissons d’Agrial (Loïc Raison notamment). « Mon analyse est que 95 % du cidre en France est industriel, avec des prix compris entre 2,50 € et 3,50 € en grande distribution. Les chiffres ne sont pas bons pour eux, le secteur est en baisse. Mais les petits producteurs artisanaux sont plutôt en croissance », avance pour sa part Thibault Pitrou, à la tête, depuis 2019, du Domaine des 5 autels, situé dans le département du Calvados.

À la reprise de l’entreprise familiale, dont la production est comprise entre 80000 et 100000 bouteilles par an, il a souhaité mettre l’accent sur les CHR et poursuivre les cuvées haut de gamme. Le segment CHR, justement, a représenté entre 2021 et 2023 environ 30 % du marché français du cidre, d’après des chiffres de l’Unicid. Un marché tiré par ce segment traditionnel alors que la grande distribution a baissé de 6 % sur la même période tandis que le CHR et le commerce de détail ont, à l’inverse, progressé de 3 %. « Le segment, hors grande distribution, est dynamique », confirme alors Jean-Louis Benassi.

De nombreuses qualités

La boisson alcoolisée conçue à partir de pommes fait ainsi l’objet « de plus en plus d’intérêt », selon Guillaume Drouin, gérant du calvados Christian Drouin, qui élabore du cidre depuis les années 1990 pour une production annuelle totale d’environ 100000 bouteilles. Rien de plus logique parce qu’il « répond ainsi à beaucoup d’enjeux actuels », poursuit-il en effet, citant la naturalité, « avec des pommes à cidre qui ne sont généralement pas traitées », mais également un faible taux d’alcool et un côté désaltérant.

Ainsi qu’un fort attachement au terroir dans une époque où le circuit court et surtout la possibilité de tracer les produits occupent une place primordiale dans le choix du consommateur. « Aujourd’hui, la plupart des cidres ont une traçabilité forte sur la matière première. Une transparence qui est rassurante pour le consommateur, en plus du côté développement durable », abonde Camille Delettrez, directrice communication et marketing du distributeur de boissons C10. Pour preuve, alors que le cidre représente 0,7 % du volume total des ventes du réseau des grossistes, son taux de pénétration correspond à 12 % au niveau national. Ce qui signifie que sur 100 entrepôts C10, seulement 12 proposent du cidre.

Avec une prépondérance, somme toute logique, de l’ouest de la France dans ses ventes. Des données qui poussent donc Camille Delettrez à qualifier le segment du cidre de « marché extrêmement régional ». La représentante de C10 soulève par ailleurs un point quant à l’image de la boisson dans l’imaginaire collectif. Et pour cause, les clichés ont décidément la vie dure. Et le cidre ne fait pas exception. « Nous constatons que le cidre est souvent vendu dans des établissements de type crêperie. Même si des efforts sont faits par les industriels pour positionner le cidre sur d’autres moments de consommation, comme l’apéritif ou le cocktail », précise-t-elle alors.

La boisson alcoolisée aux pommes reste en effet invariablement associée aux crêpes de froment et galettes de sarrasin mais également au jour de l’Épiphanie, avec sa traditionnelle galette des rois à la frangipane. De plus, dans des bassins particulièrement touristiques, tels que la Bretagne et la Normandie, dont les IGP « représentent plus de 50 % des volumes vendus en France », précise Jean-Louis Benassi de l’Unicid, les spécialités locales que constituent aussi bien le cidre que les crêpes et galettes demeurent fortement liées.

Un constat partagé par Jean-Baptiste Aulombard, à la tête de la cidrerie Maison Hérout, situé à Auvers dans le Cotentin (Normandie), qui produit du cidre en AOP cotentin et atteint entre 40000 et 50000 cols chaque année: « Il s’agit d’une région touristique et les touristes s’attendent à en trouver. » Raison pour laquelle « dans les CHR locaux, il y a du cidre sur toutes les cartes », ajoute-t-il. Néanmoins, tel n’est pas le cas partout.

Une place grandissante en CHR

À l’image des consommateurs, les professionnels de la restauration ont pu, parfois, tomber dans les stéréotypes et limiter ainsi l’usage et la proposition du cidre… au grand dam des producteurs et autres amateurs. S’il concède « un changement d’image du cidre, depuis une dizaine d’années et particulièrement depuis 2018-2019, avec des consommateurs qui ne sont plus coincés sur la crêpe et des restaurateurs qui commencent à être plus ouverts », le directeur de l’Unicid déplore encore « aujourd’hui une trop grande timidité des CHR à mettre à la carte en évidence la catégorie des cidres. Elle est souvent dans la catégorie bière ou même pas sur la carte ».

Des propos alors partagés par Thibault Pitrou, du Domaine des 5 autels, qui regrette que les cidres « restent tout de même discrets [même si] nous sentons la volonté de proposer un cidre ou deux à la carte [tandis que] certains veulent se différencier avec trois à quatre références ». Des signes encourageants existent donc, qui sont autant de preuves du renouveau de la boisson issue de la fermentation du jus de pomme. « Nous nous apercevons maintenant que le cidre a trouvé sa place dans la bistronomie. Il est devenu un produit tendance, que les restaurants présentent davantage », se félicite Guillaume Drouin, qui cible ainsi une typologie bien précise d’établissements.

À l’image de Jean-Baptiste Aulombard, de Maison Hérout, depuis cinq à six ans : « Les jeunes sommeliers de grands restaurants s’attardent à sélectionner du cidre. » Néanmoins, Pierre-Emmanuel Racine-Jourdren, cofondateur en 2004 de Maison Sassy, avec Xavier d’Audiffret-Pasquier, se veut quant à lui encore plus optimiste : « Dans les grandes villes, nous commençons à trouver des cartes qui s’allongent avec une réflexion autour des accords mets et cidre. Notamment en brasserie, ce qui nous a poussés vers le fût. Et non pas uniquement dans les restaurants étoilés, chez qui nous sommes entrés il y a plusieurs années », affirme-t-il ainsi.

En outre, l’interprofession pousse pour promouvoir la place des cidres sur les tables des CHR. Tel est d’ailleurs le but de la présence de Thierry Marx au poste d’ambassadeur dans la campagne de communication des cidres de France. « La présence de Thierry Marx a permis de changer le regard sur le cidre et de voir que les cuisiniers s’y intéressent. Les consommateurs ont compris le message. Il y a 10-15 ans, personne ne pensait consommer du cidre à l’apéritif », se défend alors le représentant de l’interprofession. Une stratégie soutenue par Laurent Guillet, directeur commercial de la cidrerie Guillet Frères, qui appartient à Agrial : « Thierry Marx amène une caution pour mettre le cidre à table autrement qu’avec les crêpes et les galettes. Pour montrer que le cidre se consomme avec tous les produits et à n’importe quel moment de l’année. »

D’ailleurs, les cidres de France jouent volontiers sur le stéréotype de la crêpe et de la galette, comme le relève André Fabre, issu de la famille productrice de vins dans les Corbières et qui en est à son troisième millésime de cidre dans l’Aude : « La galette et les crêpes nous font du mal mais permettent tout de même de parler du cidre. La publicité avec Thierry Marx, le porte-étendard de l’Unicid, arrive ainsi au moment de la chandeleur. » Dans le même état d’esprit, « en vérité, quand on dit que le cidre s’accorde bien avec la crêpe, cela indique qu’il s’accorde avec tout parce qu’on met des produits dans la crêpe et la galette », s’amuse Jean-Louis Benassi, de l’Unicid.

Promouvoir le cidre à table passe également par les sommeliers, dont la mission de prescription est centrale au cours de l’expérience au restaurant. Cela passe alors par la formation de ces derniers. Un travail que mène Laurent Guillet, de la cidrerie Guillet Frères, à travers des interventions dans les écoles hôtelières pour former les jeunes. « Il est intéressant de s’approprier la culture du vin. Dans les restaurants, il y a une connaissance du vin alors que pour le cidre, si vous demandez de quelle région il vient, la personne vous répondra qu’elle ne sait pas. Nous devons continuer sur l’information et la formation », martèle-t-il ainsi, et ce, pour une bonne raison : « Plus une personne a l’air de s’y connaître, plus cela nous donne envie de commander. »

Les prescripteurs, désormais fins connaisseurs de l’environnement cidricole, pourront par la suite être les relais du secteur qui a connu ces dernières années un dynamisme rare au regard de son histoire. En effet, « il existe de nouvelles offres rajeunies portées par des jeunes au marketing différent. Et les maisons plus anciennes ont modernisé leurs produits », relève, satisfait, Jean-Louis Benassi. Maison Sassy en fait partie, la marque ayant été créée dans une volonté de rajeunir la catégorie cidre. « Nous avons retravaillé les recettes et le packaging pour entrer sur d’autres moments de consommation », explique d’abord Pierre-Emmanuel Racine-Jourdren, avant de poser un regard sur l’ensemble des acteurs français du cidre : « L’image du cidre s’améliore avec des initiatives qui se développent pour redécouvrir le cidre qui a été un peu mis de côté par certains industriels qui étaient davantage sur l’écoulement que sur la qualité. » De plus, l’évolution de la catégorie s’accompagne d’une diversité toujours plus importante des références.

Une diversité accrue

Les producteurs peuvent jouer sur plusieurs paramètres similaires au monde du vin, comme le choix des variétés de pomme, avec par exemple des cuvées monovariétales ou encore la mise en avant de terroirs. En cela, « nous travaillons avec une approche variétale. Nous avons 20 variétés, dont six dominantes. Il faut révéler au maximum les typicités de notre terroir », explique Jean-Baptiste Aulombard, de Maison Hérout. Les élaborateurs jouent également sur des cuvées millésimées, à l’image de Christian Drouin qui commercialise le millésime 2017, qui a donc vieilli sept ans en bouteille. « Le cidre possède alors des bulles plus fines, une aromatique nouvelle, avec des notes toastées de brioche », dévoile ici Guillaume Drouin. Maison Sassy a, elle, notamment opté pour le vieillissement des cidres dans d’anciens fûts de porto ou cognac.

Mais il existe également du cidre tranquille, sans bulle, aussi appelé vin de pomme, comme le propose le Domaine des 5 autels avec la cuvée Muance. « Il est travaillé comme un vin pour chercher des choses un peu moins sur le fruit, plus sur l’acidité et l’amertume », détaille alors Thibault Pitrou. Ou encore l’utilisation d’autres fruits, à l’image d’André Fabre qui produit un pétillant naturel de coing. « Le coing possède des arômes plus ronds, plus évanescents », explique ce dernier.

La cidrerie Guillet Frères s’est quant à elle tournée vers le cidre de glace, à travers sa référence Kerisac de glace. Un produit issu de la fermentation de pommes concentrées par l’effet du froid. En résulte, « des arômes de noix et de fruits confits [et] une alternative sympathique aux vins liquoreux », pour Laurent Guillet. Enfin, la botte secrète des cidres pour cibler des consommateurs plus jeunes correspond à la pression. Le Domaine des 5 autels propose du cidre en fût depuis 2021 et connaît un vrai succès, avec une « activité en augmentation de 15 à 20 % chaque année ». Thibault Pitrou constate ainsi « l’apparition de bars à cidre dans les grandes villes » et y voit un phénomène nouveau attirant les curieux. Pour Pierre-Emmanuel Racine-Jourdren, de Maison Sassy, « le fût permet la démocratisation » et vient en complément des autres formats.

Dans la même idée, la branche boissons d’Agrial a décidé d’aller plus loin en s’éloignant de la conception française du cidre pour proposer, via la marque Loïc Raison, La Mordue, « un cider* à la française, travaillé comme une bière, à 6 % vol., qui reste fruité mais il y a environ 70 à 80 % de pommes », détaille Laurent Guillet, qui y voit un levier important de développement pour la filière cidricole française. « Je pense que le marché du cidre ne progressera pas si nous n’arrivons pas à avoir une clé d’entrée pour les jeunes. Nous devons faire du cider, mais avec plus de pommes. Les consommateurs de cider d’aujourd’hui auront envie, quand ils vieilliront, de découvrir la richesse du cidre », conclut-il ainsi.

* Le cider, originaire des pays anglo-saxons, est une boisson pétillante à base de pommes, élaborée avec une fermentation contrôlée et souvent enrichie en sucre, le différenciant du cidre traditionnel français.

PARTAGER