Les travailleurs sans papiers en suspens

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Le projet de loi « immigration », présenté au Parlement à partir de mars 2023, devrait simplifier l’accès à l’emploi des travailleurs étrangers en restauration. La majorité des représentants et syndicats patronaux du secteur sont favorables à cette mesure, que l’extrême droite pourrait contester dans les hémicycles.

Les travailleurs sans papiers sont au cœur des débats en cette fin d'année 2022.
Les travailleurs sans papiers sont au cœur des débats en cette fin d'année 2022. Crédits : Sebastian Coman / Unsplash.

C’est une situation intenable pour des milliers de travailleurs étrangers, présents sur le territoire français parfois depuis plusieurs années. En salle, en cuisine ou à la plonge, les travailleurs en situation irrégulière sont une variable d’ajustement pourtant indispensable pour les employeurs de la restauration. Ce secteur souffre, en effet, d’un manque de main d’œuvre récurrent qui s’est amplifié avec la crise sanitaire liée à la covid-19. Plusieurs professionnels ou représentants de syndicats patronaux du CHR demandent que les employés étrangers, non régularisés, puissent bénéficier d’un statut leur permettant de travailler légalement, et donc plus sereinement.

À l’approche du débat parlementaire autour du projet de loi « immigration » (qui débutera en mars 2023 au sénat), ils souhaitent que les métiers de la restauration soient considérés comme « en tension » par le gouvernement. La liste des métiers de cette catégorie n’a été actualisée qu’une seule fois, depuis sa création, en 2008. Dans une interview accordée au JDD, le 4 décembre dernier, Thierry Marx, le président de l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (Umih), affichait une position très claire sur le sujet : « Nous avons 200 000 postes non pourvus et étonnamment, ils ne figurent pas sur la liste permettant de recruter du personnel étranger (…) Nous demandons donc à ce que cette liste des métiers en tension soit actualisée afin d’ouvrir les possibilités de recrutement, car nos besoins vont encore augmenter. Nous demandons une régularisation rapide de nos salariés reconnus pour leurs compétences et qui se trouvent plongés dans l’illégalité du jour au lendemain. L’Umih la réclame depuis longtemps. Car ces travailleurs vivent en France depuis de nombreuses années, sont intégrés, ont un logement, un projet professionnel dans lequel ils s’épanouissent. Ils ne posent aucun problème. »

La régularisation des employés sans papiers dans un secteur aussi tendu que la restauration sera raccord avec le contexte économique et sociale, où de nombreux Français refusent désormais ces métiers très éprouvants. « Notre société ne souhaite plus avoir un rapport sacrificiel au travail », ajoute Thierry Marx. Ce constat est porté également depuis plusieurs mois par Alain Fontaine, le président de l’Association française des maîtres restaurateurs (AFMR). « Aujourd’hui, les Français ont choisi d’autres métiers, comme ceux de la digitalisation ou les métiers de la banque. La covid a accéléré cela ! Les gens se sont tournés vers d’autres pistes que la restauration, où il faut se lever à 6 ou 7 heures du matin. Résultat des opérations, nous sommes en tension », observe le patron du Mesturet (Paris, 2e), favorable à « une immigration voulue », sans vouloir pour autant être prisonnier d’une posture politique.

« Ce n’est pas notre sujet. Le notre, c’est la croissance afin qu’on puisse se développer. Nous avons des gens qui sont en souffrance administrative en France. Des gens que nous avons parfois formé dans nos CFA ou nos lycées hôteliers. Nous avons dépensé de l’argent pour ces gens-là : l’État français et les chefs d’entreprises, à travers la taxe d’apprentissage. Mais aujourd’hui, ils n’ont pas leurs papiers en règle. Il faut donc régulariser toute cette richesse que nous avons formée », estime Alain Fontaine.

Des employés souvent indispensables

Les conditions de travail associées au secteur CHR sont un frein pour de nombreux salariés français. Il est fréquent, particulièrement à Paris où la difficulté à recruter est chronique, que les employés étrangers permettent le maintien de l’activité d’un établissement. Depuis une dizaine d’années, l’Esprit Tchaï (Paris, 11e) collabore presque exclusivement avec des salariés originaires du Bangladesh. Ces derniers font tourner ce petit restaurant ouvert six jours sur sept et sans interruption de 11 heures à 23 heures.

« Je pense qu’il y a des communautés qui sont dans la culture du travail, comme l’était avant la France. Les personnes qui viennent du sous-continent indien sont prêts à n’importe quoi pour gagner des sous, y compris avec de mauvaises conditions de travail », reconnaît Jimmy Menacer, gérant de l’Esprit Tchaï. L’entrepreneur avait engagé des démarches afin de régulariser la situation de ses employés, dont la plupart sont titulaires aujourd’hui d’une carte de séjour pour travail temporaire. L’un d’entre eux a connu un parcours plus alambiqué et onéreux, mais dispose désormais d’une carte d’identité portugaise lui permettant d’exercer légalement en France. La situation est donc complexe pour les travailleurs étrangers hors Union européenne (UE) de trouver un emploi légal dans le domaine de la restauration. Certains d’entre eux travaillent sous une fausse identité ou acceptent des salaires au rabais (en dessous du Smic) sans déclaration de l’employeur.

Jimmy Menacer se dit « évidemment » favorable à la régularisation de ces travailleurs : « Ce sont des gens qui veulent bosser et qui veulent s’implanter. Il y a des mecs de bonne volonté qui sont très intégrés et bossent dans les entreprises. Mais ces gars-là ne sont pas déclarés ? Ce n’est pas normal. » Comme le BTP ou la réparation automobile, l’hôtellerie-restauration est un secteur dépendant de l’immigration dans notre pays. « Quand vous recherchez des pâtissiers ou des cuisiniers et que vous n’en trouvez pas en France, il faut bien regarder ailleurs, remarque Thierry Marx. C’est assez logique, pas besoin de soumettre ça à un débat qui ne serait pas le bon. »

Le spectre de l’extrême droite

La question migratoire, comme celle concernant les étrangers, donne lieu régulièrement à des échanges politiques outranciers. Le gouvernement présentera début 2023 un projet de loi associant lutte contre l’immigration illégale et régularisation par le travail, dans lequel la liste des métiers en tension devrait intégrer la restauration, et faciliter ainsi le travail des étrangers. Le 2 novembre dernier, dans une interview au Monde, commune avec Gérald Darmanin (ministre de l’Intérieur), Olivier Dussopt, ministre du Travail, avait anticipé une antienne de l’extrême droite : « Le RN ne pourra pas nous faire le coup du travail volé aux Français, car on est sur des postes qui sont déjà occupés par des travailleurs en situation irrégulière justement parce qu’ils restent vacants. »

La main-d’œuvre étrangère représente aujourd’hui « entre 19 et 25 % du secteur de l’hôtellerie-restauration », selon Vincent Sitz, président de la commission Emploi et formation du Groupement national des indépendants (GNI). Dans la perspective du projet de loi « immigration », le gérant du Baltard au Louvre (Paris, 1er) a été auditionné par le directeur de cabinet du ministre de l’Intérieur, le ministère du Travail, ainsi que des parlementaires soucieux de mieux comprendre les problématiques du secteur. « Quand vous embauchez une personne étrangère, elle doit avoir un titre de séjour (emploi ou étudiant) qui est ensuite attaché à une autorisation de travail. Nous, les restaurateurs, avons une obligation de faire une demande auprès de la préfecture, qui sera validée ou non en 48 heures », explique Vincent Sitz. Afin de contourner ce processus de vérification chronophage, beaucoup de travailleurs étrangers – non ressortissants de l’UE – cherchent à obtenir de faux papiers espagnols, italiens ou autres. « Nous voulons que ces pratiques sous alias puissent s’arrêter. Il y a des filières qui travaillent derrière ce système et les travailleurs ne touchent pas forcément leur argent », note le responsable du GNI, favorable à des régularisations de travailleurs au « cas par cas ».

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