Restauration : la crêpe trouve une seconde jeunesse
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Mardi, Framboise, Fête à Crêpe, Brutus, Breizh Café… Les enseignes dédiées à l’emblème culinaire breton se multiplient ces dernières années dans la capitale. Après le burger, la crêpe pourrait bien devenir le prochain best-seller. Elle se décline ainsi à toutes les sauces, du restaurant à crêpes, en passant par la crêperie traditionnelle, le fast-food ou encore le fast casual.
Il apparaît déjà lointain, le temps où, pour déguster une crêpe digne de ce nom, les amateurs se réunissaient dans les 14e et 15e arrondissements, l’enclave des Bretons de Paris. Aujourd’hui, on trouve des crêperies un peu partout, avec des concepts plus ou moins aboutis. Une chose est sûre, la crêpe se débarrasse petit à petit de son image poussiéreuse et devient un produit chic et tendance. Chez Mardi (Paris 2e), où l’on peut déguster des crêpes de blé noir et de froment sur place ou à emporter, on se presse pour découvrir ces compositions d’un nouveau genre. N’en déplaise aux puristes, chez Mardi, l’avenir de la crêpe ne passera pas par le bilig (une plaque de cuisson traditionnelle) et le beurre salé. « Nous voulions faire quelque chose de différenciant. On ne trouvait pas de crêpes à emporter dans un format cohérent, préservant les qualités et la température du produit, tout en répondant à une logique de productivité. Alors, nous avons mis au point des crêpes rectangulaires avec un pliage particulier », explique Maxim Simon, cofondateur de Mardi, aux côtés de Guillaume Morand. Ces deux anciens financiers, qui ont obtenu le concours de la BPI pour monter leur concept, ont ouvert leur premier établissement en septembre 2016. Un second vient de voir le jour à proximité de Beaubourg et un troisième devrait éclore gare Montparnasse. À l’enseigne Brutus (Paris 17e), ouverte en 2017, on fait les beaux jours des Batignolles à grand renfort de cidre artisanal et de farine de qualité. Les trois fondateurs, Maxence Moscodier, Vincent Gouedard et Charles Balloffet, se définissent comme des cidrologues et des crêpophiles. Leur restaurant à crêpes, qui ne dispose pas de licence IV, est muni d’un bar à cidres artisanaux français. « Nous avons fait le tour des producteurs français de cidres, jusqu’au Pays basque, se félicite Charles Balloffet. L’activité du bar est complémentaire et nous avons par ailleurs développé le créneau de l’apéritif, avec une offre tapas autour de la crêpe, des petites bouchées de farine de sarrasin et 25 références de cidres. » Ces nouveaux venus évoluent dans le sillage de Bertrand Larcher. C’est le premier à avoir transformé le concept traditionnel de crêperie, avec son Breizh Café parisien. Ce Breton originaire de Saint-Malo, chantre de la « crêpe autrement », dispose aujourd’hui de plusieurs Breizh Café à Paris, mais aussi au Japon. Le restaurateur a lancé le mouvement avec ses restaurants à crêpe aux cuisines ouvertes, équipés de comptoirs et faisant également la part belle aux cidres artisanaux. Il n’en fallait pas plus pour que les aficionados de la crêpe soient conquis par cette approche bistronomique du produit.
Une frontière poreuse
Entre les différents concepts, il est parfois difficile de s’y retrouver. Si la crêpe demeure le dénominateur commun de ces différentes enseignes, ces dernières ne surfent pas pour autant sur la même vague. Nicolas Nouchi, qui dirige le cabinet d’études CHD Expert, distingue ainsi la crêperie traditionnelle, la crêperie fast- food et la crêperie “fast good” – également désignée par un autre anglicisme, le « fast casual », qui associe deux termes souvent antinomiques dans la restauration: la rapidité et la qualité. « Le fast casual (que l’on a vu se développer avec le belge Exki ou le français Cojean, NDLR) est une addition d’éléments: la dimension “healthy”, avec des ingrédients frais, le côté premium, à travers une charte de qualité et l’engagement auprès des producteurs, la décoration et l’ambiance, le service et la prestation et, enfin, l’emplacement. Car, rappelons-le, le fast casual s’inscrit dans une dynamique urbaine », explique Nicolas Nouchi. Si la crêpe a le vent en poupe, c’est que « les concepts actuels proposent une offre complète et cohérente par sa thématique ». Qui sont ces nouveaux acteurs? « Des autodidactes, sortant souvent d’écoles de commerce », constate le dirigeant de CHD Expert. Les nouveaux venus ont en effet le sens des affaires: ces concepts ont pour vocation d’être dupliqués et la gestion des coûts optimisée à grande échelle, à l’instar de certaines chaînes de burgers premiums (Big Fernand, Blend, etc.). Les créateurs de Fête à Crêpe ont quant à eux opté pour le créneau du fast-food, avec des crêpes à composer soi-même et à manger sur le pouce. L’enseigne, née en 2014, propose de « garnir ses crêpes sur mesure » et emprunte ainsi les codes du tacos ou du kebab. D’ailleurs, il est possible de consommer des crêpes garnies de… frites. Restent les restaurants à crêpes, catégorie à laquelle appartiennent Breizh Café, Framboise ou Brutus. Mais les crêperies traditionnelles n’ont pas dit leur dernier mot. La Bretonne Marie Coistou, qui évolue aux côtés de ses deux frères, propriétaires de six crêperies, met en garde: « La clientèle a créé une nouvelle demande, mais nous souhaitons quant à nous conserver nos racines, une certaine identité et beaucoup de qualité. Attention! La crêpe paraît facile à réaliser, mais on ne s’improvise pas crêpier. »
Rentabilité chérie
Dans ce marché morcelé, chacun tire pourtant son épingle du jeu. Tout comme la pizza, la crêpe est un formidable pourvoyeur de marge. Le ratio peut très facilement grimper à 6, selon les recettes. Néanmoins, les néo-crêperies privilégient la qualité et acceptent volontiers de rogner leurs marges en payant plus cher la matière première. Certains patrons de ces nouvelles enseignes se rattrapent aisément sur le volume. Guillaume Morand et Maxim Simon ont ainsi parfaitement cerné le moyen de conjuguer rentabilité et qualité. Ils parlent d’ailleurs de « crêpe de productivité ». Pour parvenir à leur but, ils ont mis en place une production rationalisée: « Nous voulions d’emblée monter une chaîne qualitative. Nous n’utilisons pas de bilig, qui ralentit la productivité, mais une plancha en aluminium chromé, sur laquelle on dépose des lignes de pâte avec une buse, pour former et garnir nos crêpes rectangulaires. Il s’agit d’une machine unique, équipée d’une pompe. La pâte est réfrigérée et conservée dans des fûts qui la malaxent en permanence. Les opérateurs n’ont ainsi pas besoin de formation. » Certains amateurs pourraient être décontenancés, mais chez Mardi, le client mange pourtant des crêpes avec une farine de sarrasin IGP Bretagne, des œufs fermiers, de l’emmental râpé à la demande, etc. « Si le business est rentable, c’est grâce à notre système », souffle Maxim Simon. À Mardi, où 300 crêpes sont servies chaque jour (dont 60 % à emporter), le ticket moyen atteint 11,50 euros, quand celui de Fête à Crêpe oscille autour de 8 euros. À La Petite Bretonne, la crêperie qu’anime Marie Coistou, le ticket moyen est de 17 euros, tandis que chez Brutus, il grimpe à 20 euros avec les cidres. « La crêpe a de beaux jours devant elle. Elle bénéficie de la tendance du manger sain et rapide et répond à celle du sans gluten, dans la mesure où la farine de sarrasin ne contient pas de gluten », conclut Nicolas Nouchi.
Maxim Simon et Guillaume Morand, les fondateurs de Mardi.
Brutus exploite le créneau de l’apéritif.