Les raisons de la pénurie de main-d’œuvre

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Le secteur de l’hôtellerie-restauration ne traverse pas la première pénurie de salariés de son histoire. Pour autant, celle de 2022 n’est pas comparable aux précédentes. En effet, la crise liée à la Covid-19 s’est révélée comme un catalyseur des pénibles particularités de ces professions – comme le volume horaire – et elle a conduit de nombreux travailleurs à déserter le secteur.

Il manquerait 270.000 personnes à employer dans le secteur CHR. Crédits : Jessie McCall.
Il manquerait 270.000 personnes à employer dans le secteur CHR. Crédits : Jessie McCall.

Les conditions de travail et la faiblesse des salaires sont les deux raisons les plus utilisées par les représentants du secteur et par les travailleurs eux-mêmes pour expliquer cette désertion. Les nouvelles difficultés de recrutement que rencontrent les patrons de CHR sont liées au nombre de travailleurs disponibles, qui a chuté. Il manquerait, tout contrat confondu, 270 000 personnes à employer d’après Hubert Jan, le président de la branche restauration de l’Umih.

En effet, si les conditions de travail difficiles expliquent un désamour certain pour les métiers du secteur depuis plusieurs années, ce dernier subit aujourd’hui un départ massif des salariés CHR.« Avant, c’est la concurrence qui freinait les restaurateurs dans leur recrutement. Aujourd’hui, c’est bien parce qu’on n’a plus de CV à leur proposer », déclare Dan Guez, le cofondateur du cabinet de recrutement Opensourcing. Pour le spécialiste du e-recrutement, qui affirme ne jamais avoir eu autant d’entreprises en demande de personnel,« les aides gouvernementales se retournent un peu contre les patrons de CHR. Les salariés du secteur sont restés chez eux pendant la crise sanitaire, en famille, sans travailler tout en étant payés »,ajoute-t-il, à son tour.

Des patrons plus consciencieux ?

Il semblerait toutefois que les patrons soient plus enclins à lâcher du lest en 2022. Une nouvelle grille des salaires revalorisée de 16 % a été négociée en janvier 2022 et le volet des conditions de travail est encore en pourparlers afin d’améliorer l’attractivité du secteur devant les nouvelles exigences des salariés et les difficultés de recrutement.

Les patrons en phase d’embauche tentent d’investir durablement dans leur personnel en leur off rant et en leur garantissant de meilleures conditions de travail.« Depuis la mi-mars 2022, l’équipe commerciale avoue ne plus entendre les petites phrases comme : “Je ne vais quand même pas payer pour recruter”ou encore“donner de l’argent pour offrir un emploi à quelqu’un” »,lance Brice Brousta, cofondateur de Likeo, la plateforme de recrutement payante qui met en relation les candidats et les recruteurs dans les métiers de l’hôtellerie-restauration.« Cela faisait plus de 30 ans que les restaurateurs n’avaient pas investi dans leur personnel alors que le secteur a toujours manqué d’environ 150 000 personnes à employer chaque année »,poursuit-il.

Les salariés du secteur sont restés chez eux pendant la crise sanitaire, en famille, sans travailler tout en étant payés.
Dan Guez, Cofondateur du cabinet de recrutement Opensourcing

Sur Likeo, qui s’apparente au LinkedIn de la restauration, entre 400 et 800 travailleurs s’inscrivent chaque jour. Les travailleurs peuvent y indiquer leurs prétentions salariales et, nouveauté, les recruteurs du secteur doivent désormais préciser l’environnement de travail proposé :« Il y a quelques mois encore, les restaurateurs ne renseignaient que leurs besoins en personnel. Aujourd’hui, on leur demande de détailler les conditions de travail et les éventuels avantages proposés »,ajoute Brice Brousta. Les candidats peuvent désormais savoir si un établissement accorde des congés sur un week-end ou s’il octroie deux jours de congé successifs. Le signe d’un besoin fondamental de changement des travailleurs et le gage aussi, de la pérennité d’un établissement, qui dépend des équipes qui en assurent le fonctionnement.

L’argent explique pas (toujours) le décrochage

La question des salaires est à double tranchant. Une partie des salariés CHR recevrait un salaire bien trop inférieur vis-à-vis du travail et de l’investissement fournis. Une autre, dit avoir tenu des années durant son poste parce qu’elle était bien payée. En fonction du type de contrat, de l’établissement, de l’expérience, mais aussi des pourboires perçus, des travailleurs de la restauration concèdent gagner entre 2 500 et 3 000 € net par mois.

Le décrochage des salariés CHR s’explique aussi par la pause professionnelle forcée engendrée par la Covid-19 et les confinements successifs. En effet, elle a constitué un moment de réflexion majeure pour bon nombre de travailleurs, qui se sont alors interrogés sur leur bien-être et l’équilibre à maintenir entre vie professionnelle et vie personnelle voulue en sortie de crise.« Les travailleurs de la restauration ont tout simplement pris conscience avec la Covid et les confinements successifs, que le confort de vie n’avait pas de prix »,assure Adrien Roselli. Ce trentenaire, qui rêvait d’être cuisinier, a raccroché pour faire du conseil et de la formation aux professionnels CHR.« La passionet l’argent m’ont fait rester aussi longtemps dans la branche. Il me fallait des sécurités et du courage et, en cela, la crise de la Covid et l’actualité liée au secteur m’ont permis de sauter le pas »,dit-il.

Originaire de la métropole lyonnaise, Adrien Roselli a près de 15 ans d’exercice au compteur et il a eu presque autant de patrons, dont il a été rapidement très déçu.« J’ai commencé à 15 ans dans un restaurant étoilé sur Lyon où j’ai connu les coups, les sévices psychologiques et les menaces. Autant de choses que je ne relevais pas, parce que je croyais que c’était normal pour la profession »,confie-t-il. Il intervient, à présent, sur les questions du bien-être au travail et du droit des salariés, dans des écoles. Il conseille également les restaurateurs qui rencontrent des difficultés, échange et pointe avec eux les axes d’amélioration possibles.

L’appât du gain motive

Emily Bellegante a décidé de privilégier sa vie de famille. À l’occasion du premier confinement, elle a définitivement tourné le dos à la restauration pour ouvrir sa boutique de fleurs :« Mon rythme de vie, mes horaires de travail et le décalage par rapport à mon mari faisaient que ce n’était plus viable. Je n’ai même pas vu grandir mes deux enfants »,confie-t-elle. Elle avait déjà marqué une pause dans son parcours en 2012, pour décrocher un CAP fleuriste.

Elle reprend finalement son poste de chef de rang en Haute-Savoie, deux ans plus tard, pour une simple et bonne raison : l’argent.« C’est bien l’argent qui m’a fait reprendre la restauration. Il nous tient et pourrait me motiver à raccrocher à nouveau »,annonce la jeune femme. Aujourd’hui, les deux anciens travailleurs du secteur reconvertis, s’accordent pour dire qu’ils gagnaient très bien leur vie, et que l’argent, associé à leur passion respective, était un puissant moteur…

Certains reviennent déjà

Il semblerait que certains retrouvent les rangs des professions de la restauration à la veille de la saison estivale. Le cofondateur de Likeo se veut encourageant et il affirme :« Nous constatons actuellement un retour, c’est-à-dire des personnes qui avaient quitté le secteur au début de la crise sanitaire et qui aujourd’hui reviennent ». Tendance de fond ou véritable phénomène ? L’avenir, dans lequel les recruteurs semblent s’engager plus sérieusement, le dira.

Pour l’heure, l’Umih fait toujours état d’un manque de plus de 200 000 postes saisonniers. L’enquête sur les besoins en main-d’œuvre 2022 menée par Pôle Emploi évoque, en effet, une hausse de 23 % des projets de recrutement dans l’hébergement et la restauration.

Les travailleurs de la restauration ont tout simplement pris conscience avec la Covid, que le confort de vie n’avait pas de prix.
Adrien Roselli, Intervenant bien-être au travail et droit des salariés

Dans le top 10 des métiers qui recrutent, les serveurs de cafés et de restaurants arrivent en deuxième position tandis que les aides, les apprentis et les employés polyvalents de cuisine sont, eux, en quatrième position. En outre, d’ici quelques semaines, la saison d’été débutera. Le soleil, la douceur et le retour des touristes signent une relance de l’activité des établissements où les clients affluent mais où, aussi, ils ne peuvent pas toujours être accueillis, faute de personnel. Ainsi, des établissements envisagent même de fermer, faute de personnel.

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