Huit syndicats donnent leur vision de la réforme du métier

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237.000 salariés de moins en 2021. Le constat est sans appel. Pour beaucoup, la fuite des salariés du secteur HCR, si elle a été mise en lumière par la crise Covid, prend ses racines bien avant, et une remise en question globale s’impose. Mais le chantier est titanesque.

Les huit principaux syndicats de l'hôtellerie-restauration vont se réunir pour négocier avec le ministère du Travail. Image d'illustration.
Les huit principaux syndicats de l'hôtellerie-restauration vont se réunir pour négocier avec le ministère du Travail. Image d'illustration.

Le secteur HCR est celui qui paie le moins bien, tous secteurs confondus en France. Par ailleurs, ses salariés sont les deuxièmes à déclarer le plus d’heures supplémentaires, derrière la construction. La coupure, la pénibilité ou encore le mauvais traitement dans certains établissements ont engendré un phénomène de rejet, voire d’abandon.

Recontextualisons

Cet article a été écrit en 2021, alors que les syndicats se mettaient autour d’une même table pour répondre à la question suivante : comment redorer le blason du secteur, et comment renouveler son attractivité ?

Un an plus tard, alors que le dialogue social semble de plus en plus complexe, Au Coeur du CHR republie cet article.

Dans le cadre d’un dialogue social inédit, sous la houlette du ministère du Travail, les partenaires sociaux s’engagent sur le chemin des concertations pour assurer, mieux que la survie, la renaissance du secteur à long terme. D’un côté, CFE-CGC, CGT, FO et CFDT pour le salariat ; de l’autre, Umih, GNC, SNRTC et GNI pour le patronat. Les huit syndicats représentatifs impliqués dans les négociations ont accepté de nous donner leur vision sur l’évolution de la convention collective dans un entretien croisé pour l’Auvergnat de Paris, la Revue des Comptoirs et Au Coeur du CHR.

Hervé Becam et Roland Héguy, UMIH

« C’est un enjeu de transmission de nos entreprises. »

Il est trop tôt pour lister, dès à présent et de manière exhaustive ce qui pourra venir compléter ou modifier la convention collective de notre branche. Aussi à l’Umih, nous avons choisi de n’avoir aucun tabou sur les pistes qui pourraient être discutées dans les mois à venir. Nous avons une conviction, si nous voulons mettre fin à la pénurie de main-d’œuvre, les chefs d’entreprise doivent partager la valeur. La loi PACTE permet la mise en place de dispositifs en ce sens (intéressement, participation…).

Toutefois, si on veut faire revenir nos jeunes dans notre branche, d’autres dispositifs doivent être travaillés, et ce afin de rendre attractif ce secteur où l’humain est au « cœur » de nos métiers. On doit pouvoir améliorer les conditions de travail, mais pas seulement. Nous devons surtout prendre en compte et parfaire la conciliation vie privée et vie professionnelle (les coupures, par exemple) et attacher une grande importance à la formation des salariés de notre branche et aux nouveaux venus qui, nous l’espérons, resteront.

C’est également un enjeu de transmission de nos entreprises. La branche a déjà fait un gros travail de toilettage de sa grille de classification datant de 1997. À cette grille de classification s’ajoute une grille des salaires qui doit, bien entendu, être revalorisée, évitant ainsi que certains niveaux soient noyés.

Stéphanie Dayan, CFDT 

« Arrêtons de faire le constat du constat. »

Nos revendications sont claires. Tout d’abord, il faut mettre fin à la polyvalence abusive, donc suppression de l’article 34 de la CCN 75 qui est restreinte aux chaînes hôtelières. Il prévoit, par exemple, qu’une femme de chambre qui aurait fini son service puisse aller faire la plonge après. Nous sommes tout à fait conscients de l’atout que représente la polyvalence des salariés, mais il faut le faire dans un cadre respectueux, notamment avec une rémunération plus élevée pour la pluricompétence.

Puis, il convient de revaloriser les salaires. Nous demandons une augmentation des salaires de 10 % au minimum au-dessus du Smic, tout en gardant les écarts entre les différents échelons. Le treizième mois généralisé est également l’une de nos revendications. Ensuite, nous proposons de réglementer la coupure. Un salarié ne devrait pas faire plus de deux coupures par semaine de cinq jours, quitte à mettre en place une compensation pour les coupures supplémentaires effectuées. Enfin, concernant le travail du dimanche, une alternative serait de sacraliser un week-end par mois ou trois jours consécutifs par mois, voire les deux. Le travail de nuit, et la pénibilité qu’il induit, doit également être mieux valorisé.

En outre, dans notre secteur, il y a du travail non déclaré, des mauvais traitements, des insultes. Par ailleurs, le travail au gris[rémunération au Smic accompagnée d’un montant supplémentaire de main à main donc non déclaré, NDLR]reste un phénomène réel et très important.

Didier Chenet, GNI

« Il faut trouver le juste milieu. »

D’abord, il faut évidemment remettre à jour la grille des salaires et des qualifications. Puis, nous devons autant que faire se peut améliorer le confort de vie au travail. En effet, il faut trouver le juste milieu entre vie professionnelle et vie personnelle. Il va falloir réfléchir et travailler en particulier sur la coupure et le week-end. Sachant que si l’entreprise ne peut pas y arriver, ou si le salarié ne le souhaite pas, il faut laisser la possibilité de trouver une compensation, en jours de récupération, ou en argent sonnant et trébuchant. On peut commencer par une ou deux coupures de moins, et faire en sorte de proposer une compensation pour le reste. Dans le contexte actuel, le problème de la coupure devrait être réglé facilement : compte tenu du manque de personnels, beaucoup d’établissements ferment deux jours consécutifs.

Ensuite, nous réfléchissons également à d’autres éléments. Les salariés ne demandent pas que des augmentations de salaires. Ils aspirent aussi à une meilleure qualité de vie. Définissons un panel d’avantages défiscalisés et, au besoin, inscrivons-le dans la convention collective. Il faut que nous travaillions sur le problème du transport, du logement et de l’aide à domicile, sur les avantages salariés de manière générale. En outre, j’ai demandé personnellement au Gouvernement que, dans les politiques de la ville, il y ait un quota dans les logements sociaux réservé aux salariés des commerçants de ces villes.

Enfin, nous insistons sur la suppression de la fiscalisation de l’avantage nourriture.

Nabil Azzouz, Force Ouvrière

« C’est l’histoire qui se répète. »

Le problème, c’est que cette branche est en retard sur tous les sujets. L’objectif, c’est de faire un geste fort très rapidement, c’est indispensable pour montrer notre envie de changer, afin d’attirer les jeunes salariés et les apprentis. Nous ne sommes ni rouillés ni figés. L’Umih a fait des propositions. Je me félicite si ce syndicat a vraiment cette volonté d’aller de l’avant.

Il faut travailler sur les heures supplémentaires. La défiscalisation n’est pas une solution en elle-même. Si on baisse les charges, il faut qu’il y ait des contreparties. Le salarié cotise moins, il doit pouvoir s’y retrouver à un moment. Plus on baisse les charges, plus on repousse le problème à plus tard. Il faut une répartition juste de la valeur ajoutée. Il faut changer de paradigme, et se rendre compte qu’on a besoin de partager cette richesse.

Le métier est difficile pour l’employeur, mais pénible aussi pour les salariés. Le treizième mois est une mesure concrète, qui permet d’instaurer de la confiance entre les salariés et l’employeur, c’est un outil de fidélisation. L’augmentation des minima de branche n’est pas suffisante, on doit aller plus loin. La participation et l’intéressement sont des outils justes et importants, car indexés sur la création de valeur de l’entreprise à laquelle participent les salariés. Si le modèle business impose une coupure dans la restauration, nous devons trouver une juste contrepartie financière. Une prime de coupure par exemple, et qu’elle soit quand même attractive. De même, il faut rémunérer plus justement le travail de nuit et du dimanche.

Hervé Dijols, SNRTC

« Il serait bien de se pencher sur une exonération des charges. »

Il y a beaucoup de choses sur la table.

La grille des salaires date de 2018, cela fait trois ans qu’elle n’a pas changé. Nous avions d’ailleurs proposé de nouvelles grilles de salaires, signées par l’intégralité du collège patronal, mais refusées par les salariés. Ainsi, nous avons donc pris du retard. Nous avions promis aux syndicats de salariés que nous reviendrions sur la grille des classifications qui est en phase finale ainsi que sur la grille des salaires.

Par ailleurs, lorsque nous avons rencontré Élisabeth Borne, la ministre du Travail, elle savait déjà que nous étions d’accord pour augmenter les salaires. Toutefois, lorsqu’on augmente un salaire de 100 €, cela coûte 160 € à l’entreprise. Il serait bien de se pencher sur une exonération des charges, mais que celle-ci ne soit pas fondée uniquement sur les bas salaires. Sinon cela a un effet d’écrasement sur eux. Nous avons également l’obligation de nourrir nos salariés, pourtant nous n’avons ni titres-restaurants ni exonération des charges sur les avantages en nature, contrairement à d’autres secteurs.

Arnaud Chemain, CGT

« On ne peut pas attirer des jeunes talents avec des salaires aussi caricaturalement bas. »

Nous souhaitons d’abord un treizième mois, puis une revalorisation des salaires, deux jours consécutifs de repos, une revalorisation du travail de nuit et du travail de week-end ainsi que des majorations importantes pour les coupures. Et également une nouvelle grille salariale pour le 18 novembre, quand aura lieu notre première réunion. L’horaire des coupures est caricatural dans la profession. Pourtant, il y a des solutions concrètes, comme l’instauration d’une équipe du midi et d’une équipe du soir, parce qu’enchaîner les deux services, c’est infernal.

Cécile M’Kavavoc, CFE-CGC

« La défiscalisation des heures supplémentaires, c’est du cosmétique. »

La revalorisation des minima est une obligation, notamment pour les cadres, pour lesquels le salaire se rapproche de plus en plus de l’inacceptable face aux responsabilités et à la charge de travail. Nous sommes également pour un treizième mois et la mise en place d’un intéressement dans les entreprises qui peuvent le pratiquer.

Il faut limiter les coupures à deux jours par semaine au maximum. Si on pouvait les supprimer, ce serait même parfait, mais cela suppose soit d’embaucher plus, soit de changer notre fonctionnement. Cette dernière option serait possible : pendant la Covid, on a dû tout fermer, on s’est remis en question au début. Mais la prise de conscience a été limitée par les aides de l’État. Concernant l’idée d’une prime de coupure, il faut qu’elle soit particulièrement importante car l’argent ne réduit pas la pénibilité.

Il y a une responsabilité sociétale de l’entreprise dans les mauvais traitements et la pénibilité. On devrait mettre en place une obligation d’écoresponsabilité de ses salariés : respect, équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle, arrêter la rentabilité à outrance.

Jean-Virgile Crance, GNC

« Ça coûte plus cher d’aller chercher un nouveau salarié que de le fidéliser. »

Le premier objectif est d’attirer de nouveaux salariés dans notre filière, et le second de fidéliser nos talents. Je résumerais cela par le fait que plus le temps avance, plus j’ai le sentiment que la démarche que nous avons vis-à-vis de nos clients, nous devons l’appliquer à nos salariés. En marketing, on dit toujours que ça coûte plus cher d’aller chercher un nouveau client que de fidéliser un existant. C’est la même chose pour les salariés. L’attractivité passe par trois volets.

Il faut d’abord améliorer l’attractivité économique : la rémunération, l’intéressement et la participation, les pourboires, les avantages… Il y a évidemment des chantiers à faire avancer pour valoriser l’attractivité de nos métiers.

Nous devons ensuite engager un travail de fond pour nous comparer à d’autres branches et métiers. C’est ce que font les nouvelles recrues avant de s’engager dans une voie professionnelle. Ainsi, la coupure est remontée comme un sujet épineux, qui pose problème, mais nous devons aller encore plus loin, par exemple avec les saisonniers en prenant en compte les problématiques de transports et de logement. Nous pourrions aussi définir des politiques d’aides au logement saisonnier. Nous avons besoin de faire connaître les différents métiers de nos filières et de faciliter les passerelles entre eux. On peut prendre en exemple la plateforme monemploitourisme. fr qui va dans ce sens-là. Ça passe également par toutes les actions qui peuvent être menées pour valoriser l’excellence dans nos métiers.

Enfin, il reste un travail à faire sur l’apprentissage, notamment pour les élèves issus des filières d’études supérieures.

Par ailleurs, concernant les perspectives d’évolution, c’est sûr que tout le monde n’est pas logé à la même enseigne entre les grandes entreprises et les petites structures.

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