Couteaux et tranchants : le choix des lames

  • Temps de lecture : 5 min

La redondance des gestes nécessaires pour trancher les aliments peut avoir un impact significatif sur la santé des cuisiniers. D’où l’importance de choisir, avec soin, les outils les mieux adaptés aux besoins, mais aussi aux personnes.

Des outils mieux adaptés aux besoins des cuisiniers permettent de réduire l'impact sur leur santé. Crédit : jason-jarrach-unsplash

À l’instar de la plupart des métiers de bouche, les cuisiniers manipulent des couteaux et du matériel tranchant à longueur de journée. Si l’on pense en premier lieu au risque de coupure, un autre aspect est souvent négligé, celui de l’ergonomie. En effet, les mouvements répétés du poignet sont la cause de troubles musculo-squelettiques (TMS) importants, et par ricochet, d’arrêts de travail fréquents. Selon Santé publique France, les TMS du membre supérieur (bras, épaule, poignet…) représentent 27 % des affections constatées chez les femmes, 30 % chez les hommes.

Dans la restauration, le risque de développer des troubles liés aux gestes répétés est particulièrement considérable. C’est notamment le cas du syndrome du canal carpien. Il résulte d’une compression du nerf au niveau du poignet, particulièrement handicapante. Le professionnel ressent d’abord des douleurs, des fourmillements ou un engourdissement de la main, parfois une sensation de décharge électrique. Plus les lésions s’installent, plus le trouble de la préhension augmente, avec parfois des difficultés à écrire ou à fléchir les doigts. Les autorités sanitaires ont identifié que des mouvements répétés du poignet et des doigts, une préhension serrée réitérée au fil de la journée ou encore une posture forcée de la main sont autant de facteurs de risques. Les campagnes de prévention contre les TMS incitent par conséquent les professionnels à adapter les postes de travail, mais également les équipements.

Attention à l’aiguisage

En matière de coutellerie, il convient ainsi de se pencher sur plusieurs aspects: l’affûtage des couteaux, l’adéquation entre l’outil et l’usage prévu, mais aussi la prise en main. La question de l’affûtage et de l’aiguisage au quotidien est plus problématique qu’on ne l’imagine. En effet, un outil mal aiguisé demande au cuisinier d’engager plus de force, de se crisper davantage. « Un couteau mal aiguisé conduit à avoir un mouvement de découpe plutôt du haut vers le bas et pas d’avant en arrière », constate Dorian Minni, dirigeant de Chroma France, entreprise spécialisée dans les couteaux japonais. Or, cet entretien indispensable est devenu le parent pauvre. « Il n’y a plus vraiment de solution facile d’accès pour l’entretien des couteaux, estime David Quintin, directeur commercial du groupe de coutellerie français Tarrerias-Bonjean (TB Groupe). Il y a de moins en moins de rémouleurs, même les boutiques spécialisées n’ont pas forcément la compétence sur des couteaux haut de gamme, et les solutions, dites faciles, à faire soi-même, ne sont pas évidentes ou risquent d’abîmer les lames. Même l’utilisation du fusil demande d’être expliquée. »

Le seul fabricant français de fusils à aiguiser, Fischer-Bargoin propose un tutoriel sur sa chaîne Youtube pour accompagner le geste des professionnels. TB Groupe avait paré à cette contrainte en développant une gamme sans aiguisage. Si la fabrication a dû être stoppée en 2020, faute de matière première, la technologie devrait faire son grand retour en 2025 sous un tout nouveau jour, davantage tourné vers l’usage professionnel. La présentation de ces nouveautés interviendra dans le courant de l’année prochaine. Le souci de l’aiguisage se pose également pour d’autres ustensiles, comme les râpes pour lesquelles la fluidité du geste est tout aussi importante. La marque Microplane a présenté la gamme Professional il y a quelques mois, déclinant six lames différentes. Les ustensiles sont conçus grâce au procédé photochimique qui fait la réputation de l’entreprise pour la durabilité de l’affûtage.

Pas de choix par défaut

L’ergonomie des couteaux passe également par la forme des lames et du manche. « Les habitudes européennes en la matière ne sont pas forcément les plus adaptées, estime Dorian Minni. La majorité des cuisiniers français a appris le métier en maniant des couteaux forgés de manière classique, qui sont polyvalents et couvrent 90 % des besoins au quotidien. Mais ce sont des couteaux plutôt lourds, notamment à cause des rivets. » Les couteaux japonais, dont il s’est fait une spécialité, présentent plusieurs avantages de ce point de vue. « Les aciers japonais ont tendance à être plus légers. Certains manches, notamment en bois de cerisier, le sont aussi par rapport à un manche en aggloméré, mais demandent par contre un bon équilibrage de la lame. On voit également apparaître des ergonomies plus rondes et octogonales », ajoute-t-il. Les gammes japonaises, très tendance ces dernières années, ne doivent pas faire oublier la dimension très ciblée des différents modèles. « Chaque forme de lame est associée à une catégorie de produit. Quand on est professionnel et qu’on doit aller vite, cela participe au confort de la découpe », note Dorian Minni.

Un atout qui vient aussi « combler un vide dans les gammes européennes et françaises pour la découpe des légumes, à un moment où la cuisine évolue vers davantage de végétal, et qui est notamment rempli par le santoku », analyse à son tour David Quintin. Les manches en métal, clairement plus lestées, conviennent bien aux chefs qui souhaitent sentir leur outil. Chroma a ainsi développé, avec le studio de design Porsche, un couteau où style et ergonomie se mêlent. « Il est étudié pour se loger dans la main, mais pas dans le creux pour éviter tous risques de TMS, explique Dorian Minni. Un rivet sert de guide sensoriel pour le placement des doigts, qui viennent naturellement par-dessus, peu importe la taille de la main. Instinctivement, le manche se place correctement. »

L’importance des couteaux de table

L’attention doit également être portée sur la qualité des couverts proposés aux convives, que ce soit en termes de préhension ou de structure de la lame. Le confort est, en effet, un élément de l’expérience de dégustation, tout autant que le design de l’objet lui-même. « Le choix de lames lisses ou dentées se pose évidemment, notamment par rapport à la contrainte d’aiguisage, précise David Quintin. À travers le couteau de table Célestin, que nous présenterons au Sirha [du 23 au 27 janvier 2025, à Lyon, NDLR], nous avons voulu proposer un produit accessible mais solide, fabriqué en France, et qui se démarque. Un travail important a été fait sur le haut de la lame, souvent dessinée à plat, et que nous avons travaillée là en biseau. » L’évolution des modes de préparation et les habitudes de travail en cuisine contribuent à faire progresser l’offre de coutellerie pour la rendre toujours plus confortable et pratique pour les professionnels.

PARTAGER