Julie Bavant, concilier vertu et plaisir
- Temps de lecture : 4 min
Sa reconversion comme cuisinière a permis à Julie Bavant d’exprimer ses convictions profondes. Depuis 15 ans, la cheffe construit une identité culinaire dédiée au végétal. Après avoir fondé le traiteur Veganizer, elle décline désormais de bons petits plats au sein du restaurant Pistil (Paris 11e), toujours guidée par deux principes: une cuisine vertueuse et du plaisir.

Julie Bavant, 15 ans après avoir quitté le monde de la presse pour celui de la restauration, a enfin posé ses couteaux dans son restaurant idéal. Chez Pistil, délicate cantine hébergée dans le centre de danse La Ménagerie de verre (Paris 11e), la cheffe peut déployer sans filtre, depuis l’automne 2023, sa vision de la cuisine végétale. Façonnée par son expérience fondatrice chez Alain Passard, elle a trouvé dans la cuisine une manière d’exprimer des engagements qu’elle a chevillés au corps. « Avant même de travailler à l’Arpège*** (Paris 7e), où tout a commencé, j’avais le sentiment que la cuisine végétale avait un avenir. Lorsque j’ai découvert l’approche du chef, ce fut une révélation. Tout à coup, il y avait cet homme qui parlait à toutes mes convictions et
qui les appliquait en cuisine. »
Alors qu’elle approche de la quarantaine « et qu’on embauche plus volontiers des petits jeunes comme stagiaires », elle fait ses gammes au garde-manger du restaurant gastronomique, en marge de sa reconversion à l’école Ferrandi, pour terminer demi-cheffe de partie.
Un végan créatif
« J’ai supporté un rythme très intense pendant un an et demi, mais cela m’a confortée dans mon envie de faire de la cuisine, et particulièrement celle des fruits et légumes, car j’ai découvert là une exigence que je n’avais vu nulle part ailleurs. » C’est le début d’une longue appropriation de cet univers, encore peu exploré au début des années 2000.
Un passage dans les cuisines très traditionnelles du palais de Matignon finit de la convaincre que la protéine animale ne doit pas avoir l’apanage de toutes nos assiettes. Au sein du restaurant végétalien Soya (Paris 11e), dont elle accompagne les débuts, elle affine sa connaissance des produits. Puis fait l’ouverture du restaurant Hobbes, à côté des Buttes-Chaumont, dans le 19e arrondissement, en 2013, où la cheffe réalise sa première carte végétarienne et vegan créative. « Tout ce que j’avais vu jusque-là m’ennuyait. Je voulais vraiment développer, c’était une évidence pour moi de cuisiner comme ça.
« L’Arpège m’a donné cette grammaire du goût, comprendre pourquoi on fait les choses et pourquoi de telle façon. »
C’est sous l’étiquette Veganizer qu’elle se fait connaître, déployant pièces cocktails et menus sur mesure pas vus ailleurs, lors de ses prestations de traiteur et de cheffe indépendante. « J’ai fini par m’épuiser à tout faire toute seule. J’ai travaillé longtemps en free-lance parce que cela me semblait être la seule manière de dire ce que j’avais à dire. Je ne trouvais pas de relation professionnelle compatible. » Après une association peu concluante au Café Klin, également dans le 11e arrondissement parisien, Julie Bavant plie bagage – en emportant toute l’équipe dans ses valises – pour ouvrir Pistil. Des fidèles, fait rare dans ce métier. « Je pense que c’est donnant-donnant, je suis honnête dans mes relations de travail. On ne peut pas faire de la qualité sur le
long terme sans une équipe motivée et formée. »
Désormais sûre de sa cuisine, après avoir pris le temps d’explorer tout l’éventail, elle déploie une cuisine du potager réfléchie et honnête. « Ce n’est peut-être pas très modeste, mais je sais que ce que je fais : c’est bon. Je vends uniquement ce que je pense avoir bien fait. »
Ne rien balancer
Du cuit, du cru, en pickles ou lacto-fermenté, et surtout aucun gâchis. « Ce qui sous-tend ma cuisine, ce serait la recherche de la plus grande vertu sans sacrifier aucun plaisir. Nous n’utilisons que des légumes bio, on ne jette rien qui pourrait être mangé : les épluchures servent pour les bouillons, les tiges de persil dans les huiles vertes ou yaourts verts. C’est une conviction très forte, à la fois de ne pas balancer de la nourriture, mais aussi de l’argent. »
Une cuisine de bon sens, juste dans les goûts autant que dans le prix. Chez Pistil, le menu complet est à 18 €. « Je ne veux pas déroger à la qualité, alors je passe beaucoup de temps sur mes achats. J’ai beaucoup de mal à augmenter mes prix. Nos entrées sont à 6,50 € alors qu’on réalise pas mal de travail dessus. Idem pour le plat, on pourrait l’afficher 1 ou 2 € plus cher sans rougir, mais je trouve nos prix corrects. » Dans un climat inflationniste, son approche peut surprendre. Mais le modèle fonctionne.
Désormais chez elle, Julie Bavant ajoute d’autres cordes à son arc. « Pendant longtemps, je ne pensais pas être capable de me lancer seule dans la gestion d’un restaurant. J’y prends finalement beaucoup de plaisir. C’est mon idéal aujourd’hui. Mais ma nature me pousse à toujours penser à l’après. » Sa concession avec Pistil prendra fin à l’été 2026, peut-être l’occasion d’explorer d’autres terrains.