La capitale sous haute tension

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Les grèves liées à la réforme des retraites prennent de l’ampleur ces dernières semaines. Alors que les ordures s’amoncellent dans les rues et que les restaurateurs voient leurs chiffres d’affaires dévisser, le conflit s’est intensifié et a donné lieu au chaos le 23 mars dernier.

Manifestation du 23 mars à Paris. Crédits : Josselin Colnot / Au Coeur des Villes

A l’issue d’une enquête diligentée par le Groupement des Hôtelleries et Restaurations (GHR), nombreux sont les professionnels de l’hôtellerie-restauration à accuser d’importantes baisses de chiffre d’affaires consécutives aux différentes grèves qui se déroulent ces dernières semaines en France et dans la capitale. Les exploitants, qui composent déjà avec la hausse du coût des matières premières et la crise de l’énergie, voient ainsi leurs établissements désertés.

Le GHR déplore « les perturbations dans les transports, les déchets qui s’accumulent dans les rues, devant les façades des établissements et depuis plusieurs jours, les feux de poubelles et les dégradations commises lors des manifestations impactent sérieusement l’activité des professionnels. » Pascal Mousset, président du GHR Paris Ile-de-France, s’alarme : « Dans les restaurants, à Paris et dans les grandes villes, la baisse d’activité est de l’ordre de 25%. » Et d’ajouter : « Cette baisse d’activité concerne tout particulièrement les établissements installés dans les « quartiers sales », ceux où le ramassage des ordures n’est plus opéré et ceux à proximité des gares. Pour ces établissements, la baisse d’activité peut atteindre 50% les jours de grèves et de manifestations. » Ces derniers jours, certains exploitants font même état de CA plongeant de -80 %.

Dans ce contexte, le syndicat patronal s’en remet au gouvernement. Didier Chenet, président du GHR a ainsi demandé à Élisabeth Borne, Première Ministre, « de mettre en œuvre toutes les mesures afin de garantir la sécurité sanitaire de tous en faisant enlever au plus vite les tonnes de déchets qui jonchent les trottoirs des villes. » Son homologue Thierry Marx, qui préside l’Umih aux côtés d’Eric Abihssira, tire également la sonnette d’alarme : « Nous sommes aujourd’hui dans une situation de tension très forte pour nos entreprises qui subissent très directement le contrecoup des tensions sociales dans le pays. Nos entreprises sont prises au piège d’une contestation sociale alors qu’elles sont dans une situation d’extrême fragilité économique sur l’ensemble du territoire qui nous empêche d’exercer notre activité (…). Le Président de la République appelle à mener la bataille du plein emploi. Pour notre part nous sommes prêts à continuer à former, recruter et faire évoluer les salariés dans un secteur où il existe près de 35 métiers à exercer. »

Le chaos du 23 mars

Alain Fontaine, chef propriétaire du restaurant Le Mesturet (Paris 2e), faisait partie des restaurateurs aux premières loges le 23 mars dernier. Ce jour-là, chauffés à blanc par le recours au 49-3, certains manifestants ont mis le feu à des poubelles, procédé à de nombreuses dégradations et se sont attaqués aux commerces environnants. « Nous avons tenu bon, nous n’avons rien lâché. Nous nous sommes battus pour notre liberté d’entreprendre et pour notre commerce. Face aux dégradations, nous en sommes venus aux mains avec les black blocs et avons évité des incendies. Les pompiers sont intervenus trois fois, malgré tout nous avons fait 74 couverts dans la journée », livre Alain Fontaine.

A quelques encablures de là, les Grands Boulevards étaient eux-aussi le théâtre d’affrontements. Tandis que certains établissements ont tout simplement décidé de fermer leurs portes, des exploitants avaient fait le choix de demeurer ouverts. Ils étaient sur le pied de guerre au beau milieu des émeutes. « On était ouverts mais on n’a rien fait à part se faire caillasser », explique Ludovic, gérant d’une brasserie située sur le boulevard Poissonnière. Et de poursuivre : « Nous ne déplorons pas de dégâts, les carreaux ont tenu. On a ouvert parce qu’on a des crédits à payer, il faut bien travailler. Dans cette période, on subit plus que ce qu’on gagne ». Son associé, Nicolas, ironise : « On a même eu des feux d’artifice, c’était presque festif ». Ce dernier a également retrouvé un pavé dans son établissement, ce qui constitue pour lui un trophée de guerre qu’il dit vouloir garder précieusement.

German Brayer, directeur d’une brasserie rue du Faubourg Montmartre, accuse une perte significative de chiffre d’affaires. « Une journée comme celle-ci représente une perte de 10 000€ de CA, c’est ce que fait habituellement un jeudi mais comme la rue a été fermée à 13h30 nous n’avons pas eu la clientèle habituelle », tempête-t-il. Une perte financière qui s’accompagne également d’une montée d’adrénaline pour le restaurateur, qui témoigne : « J’ai moi-même reçu des gazs tandis que je demandais à des clients de rentrer dans l’établissement. Une bombe de gaz a explosé juste sous notre porte. Nous avons dû monter à l’étage avec notre clientèle puis les évacuer par les issues de secours ». Une aventure éprouvante mais à laquelle il dit avoir été préparé tandis qu’en 2019, durant la crise des Gilets Jaunes, deux établissements dans lesquels il travaillait avait été fortement endommagés par les manifestants.

Face à la détresse des commerçants, la CCI Paris Ile-de-France, emmenée par sa présidente Soumia Malinbaum, est allée à la rencontre des sinistrés. Les dégâts sont lourds. Et l’avenir s’annonce sombre. Elle n’a pu que constater les dégâts, tandis que des agents de la Mairie de Paris venaient aux doléances. « Ce qui me préoccupe aujourd’hui c’est qu’on ne sait pas quand ça va se terminer. On attend mardi prochain et on s’inquiète quant à savoir ce qu’il va se passer », témoigne German Brayer, comme tenu par une épée de damoclès au-dessus de sa tête.

Lise Gaeta et Mickaël Rolland

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