Restaurant : quand l’expérience va au-delà de l’assiette

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Manger au milieu d’un aquarium, dîner dans le noir total ou déjeuner entre les astéroïdes, c’est le concept des restaurants immersifs qui fleurissent depuis quelques années. Comment proposer une restauration et un service de qualité tout en offrant une expérience hors du commun aux clients ?

Ephemera
Ephemera Crédit : Fred Durantet

Un restaurant immersif s’apprête à ouvrir à la rentrée dans le 10e arrondissement de Paris. L’expérience proposée : une immersion dans la jungle. C’est le troisième du groupe Ephemera, lancé en mars 2022 avec Under the Sea, puis Stellar. À Marseille, c’est un nouveau Dans le noir ? qui va ouvrir ses portes, venant compléter les 13 établissements répartis en France (Paris, Nantes, Bordeaux, Toulouse et Strasbourg) et dans huit autres pays. Si plusieurs établissements immersifs voient le jour ces dernières années, c’est le célèbre chef Paul Pairet qui a créé le concept à Shanghai en 2012 dans son établissement triplement étoilé Ultraviolet. Chaque plat y est mis en scène avec un mélange de bruitages, de diffusion de parfums et de projection de vidéos aux murs.

Divertissement et restauration

Si Ephemera a démarré avec une dizaine de clients par jour – voué comme son nom l’indique à n’être qu’éphémère – il accueille aujourd’hui jusqu’à 1.000 couverts dans ses deux établissements. Et bientôt un troisième. « On a compris qu’il y avait un marché, les gens ont besoin de s’amuser, mais ils se lassent très facilement, relate Jade Fromer, la directrice générale. Aux États-Unis, ça paraît complètement normal, l’offre de divertissement est hallucinante. » Elle décrit son concept comme un « lieu hybride entre se restaurer, se divertir et voyager ». Créés par un studio d’immersion et une décoratrice en cinéma, les décors sont essentiellement de la rétroprojection. « Cela permet d’être vite immergé sans d’énormes moyens : pour Stellar, on a utilisé de vraies images de la Nasa », raconte Jade Fromer. Le digital a également le mérite d’être rapidement modifiable, notamment pour leurs soirées événementielles. Elle estime ne pas faire payer l’immersion aux clients, car ils rentabilisent sur le nombre important de couverts. Quid de lier le contenu de l’assiette avec le décor ? « Chaque restaurant va gagner en immersion, mais on préfère faire les choses doucement », affirme Jade Fromer. Le prochain défi du groupe sera de travailler sur l’odorat. «Ce n’est pas forcément compatible avec la nourriture qui reste le propre de notre métier, si on crée un restaurant immersif et que la nourriture ou le service ne sont pas bons, on peut fermer le lendemain », soutient la jeune directrice.

Dans les 13 restaurants Dans le noir ? le concept est simple : manger dans l’obscurité totale. Si cette expérience peut paraître déconcertante au premier abord, elle fait appel aux quatre autres sens, surtout à l’odorat et au goût. Pour renforcer l’expérience sensorielle, le menu servi est 100 % surprise. Le concept créé par Édouard Debreuil à Paris en 2004 est d’abord né d’une volonté sociétale d’inclusion. Il s’est aperçu que des associations organisaient des dîners dans le noir pour sensibiliser l’entourage des personnes malvoyantes. Ainsi, dans ses établissements, tous les « serveurs guides » sont déficients visuels. Ils aiguillent les clients en dehors de leur zone de confort. « Les rôles sont inversés, car la personne en situation de handicap va guider le client en file indienne jusqu’à la table, raconte Aurore Lépy, manager des opérations. Ce sont les meilleurs pour faire ce travail au-delà de leurs compétences. » À Marseille, l’enseigne sera en partenariat avec le restaurant d’insertion Le République. Pour leur concept, le groupe doit tenir compte d’un critère incontournable : l’occultation totale de la salle. Aussi bien dans leurs établissements propres que dans les hôtels partenaires, Dans le noir ? a développé une expertise en interne au fil des années. « La première chose avant d’ouvrir un établissement est de visiter pour voir si c’est adaptable, on fait des préconisations sur les matériaux qu’on va privilégier », explique la manager.

« Un lieu hybride entre se restaurer, se divertir et voyager. »
Jade Fromer, directrice générale du groupe Ephemera

Côté fourneaux, le chef doit répondre à certaines exigences et adapter sa cuisine aux contraintes imposées. « Quand on crée un menu dans le noir, on doit respecter certaines lignes directrices, souligne Aurore Lépy. Par exemple, on évite les plats en sauce et on limite les aliments à couper. » Une charte et une formation sont délivrées à tous les chefs pour savoir créer un menu nocturne. Tout le staff assiste à un processus de dégustation en condition avant chaque lancement des menus uniques, changés tous les trois mois. Si la créativité peut sembler limitée, les chefs parviennent à s’amuser : « On va jouer sur la couleur des vins avec des rouges frais que les clients confondent souvent avec du blanc, comme le veau et le poisson, s’amuse Aurore Lépy. On veut qu’ils se questionnent et se rendent compte à quel point le visuel et le marketing nous impactent. Nos clients viennent vivre une expérience, ce n’est pas comme un restaurant classique, ils font une activité comme s’ils allaient à un concert ou au théâtre. »

Spectacle ou restaurant ?

Bernard Boutboul, président de Gira, cabinet de conseils en restauration, va encore plus loin. « Ces expériences extrêmes font passer l’aspect spectacle avant l’assiette », assène-t-il. Il compare finalement les restaurants immersifs à des cabarets. «Les gens qui vont au Crazy Horse et au Moulin Rouge ne viennent pas pour la cuisine, ils viennent voir un spectacle durant lequel, accessoirement, ils mangent », assure-t-il. Selon l’expert, ces établissements sont des épiphénomènes, car il craint le manque de fidélisation des clients « Ce n’est pas un concept pérenne, cela concerne une clientèle très réduite qui va y aller une fois pour tester, mais n’y retournera pas forcément, affirme-t-il. Le consommateur français a un amour complètement dingue pour le restaurant qui est un moment de partage où on veut bien manger. Aujourd’hui, on est dans un virage hyper important de retour aux fondamentaux et aux valeurs du terroir. » Selon lui, ces établissements sont de très beaux concepts et de belles innovations mais ne « devraient pas s’appeler des restaurants mais des salles de spectacle ou de divertissement ».

iDans le Noir
Le restaurant propose aux convives, leurs téléphones au vestiaire, de partager leur table avec des inconnus pour renforcer l’expérience sensorielle et humaine. Crédit : Groupe Ephemera
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