Tout sur la reprise d’un restaurant

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Si la création ou la reprise d’un restaurant ne nécessitent pas d’avoir un diplôme en particulier, elles exigent quelques compétences juridiques et administratives. Un tel projet implique des démarches personnelles proactives, afin d’en garantir la pérennité et de s’assurer de la rentabilité de son investissement. Explications.

Reprise contrat
Le montage du plan financier est déterminant lors de la reprise d'un restaurant. © Freepik / Pressfoto

Sur le portail « La Bourse de la transmission » du site de BPI France, quelque 9 600 annonces de restaurants à reprendre sont répertoriées.

Pour affiner sa recherche, il suffit d’indiquer ses critères de prix, de chiffre d’affaires et d’effectif. Il est également possible d’opérer à une recherche par département, et non par ville. En effet, aucun détail supplémentaire à la localisation d’un établissement n’est donné. De plus, il faut faire preuve d’imagination, car aucune photo n’est jointe aux annonces. Plusieurs possibilités s’offrent alors aux potentiels repreneurs, comme la reprise d’un fonds de commerce ou d’un droit au bail.

Dans le premier cas, le repreneur n’a plus qu’à façonner à son goût l’établissement qu’il achète puisqu’il est prêt à fonctionner. Dans le second, il paie pour avoir le droit de posséder un bail commercial sur une période limitée. Il devra ainsi créer une affaire dans un local qui n’était pas nécessairement un restaurant au préalable. Mais alors, comment choisir la bonne option tout en s’assurant de la rentabilité de son projet ? Dans une étude comparative menée au premier trimestre 2023, le cabinet Altares a démontré que les défaillances des entreprises dans le secteur CHR ont augmenté de 62 % par rapport à l’année 2022. Quand un futur repreneur connaît ce pourcentage, il a tout intérêt à s’assurer de la faisabilité et de la viabilité de son projet avant de se lancer.

Bâtir son projet

Mélanie Soquet, architecte d’intérieur et Manon Sergent, diplômée d’un CAP de cuisine, mère et fille, ont sauté le pas au début de l’année 2023 et ont repris le restaurant Deli, rue Franklin, dans le 2e arrondissement de Lyon. « Manon travaillait avec moi dans mon showroom et nous sommes allées déjeuner au Deli, c’est à ce moment-là que l’ancien chef nous a informées de sa volonté de vendre », raconte l’entrepreneuse. Elles ont saisi l’occasion pour acheter un droit au bail qui leur a permis de finalement ouvrir Délicieux, leur restaurant. Un projet qu’elles avaient derrière la tête depuis quelque temps, puisqu’elles l’ont réfléchi au cours des confinements successifs. « On voulait au départ un lieu capable d’accueillir à la fois l’activité d’architecte d’intérieur de ma mère, le restaurant, mais aussi des événements externes. Il y a toujours un fossé entre ce qu’on écrit, ce qu’on prévoit et la réalité », explique Manon Sergent. Le projet rêvé pendant le confinement a en effet rapidement été confronté à la réalité : pour la taille désirée, l’investissement était trop important. De plus, les deux femmes ne voulaient pas se lancer dans une affaire avec des salariés en place. C’est la raison pour laquelle la vente du droit au bail de l’ancien Deli était pour elles l’occasion à ne pas rater. Elles ont toutefois dû réajuster le projet Délicieux à ce lieu, de par sa superficie très réduite et sa mauvaise localisation. «Si j’avais dû créer le restaurant, je ne me serais jamais installée ici ! On est au bout de la rue Franklin, il n’y a presque rien», déclare l’architecte d’intérieur de formation. L’emplacement est en effet un élément clé et déterminant dans l’établissement du projet. Le duo d’entrepreneuses avait scrupuleusement réfléchi à la meilleure des zones d’implantation à Lyon pour s’établir. Mais, elles ont été rattrapées par le coût du projet imaginé et ont donc racheté dans une zone d’achalandage connue, à une personne de confiance.

Delicieux en travaux
Mélanie Soquet et Manon Sergent, mère et fille, ont repris le restaurant Deli à Lyon (2e), et ouvert Délicieux après quelques travaux. Crédit : Delicieux
Delicieux devanture
Mélanie Soquet et Manon Sergent, mère et fille, ont repris le restaurant Deli à Lyon (2e), et ouvert Délicieux après quelques travaux. Crédit : Delicieux

Le plan de financement

Après neuf mois d’activité, le duo mère fille ne s’est toujours pas versé de salaire. Une situation à laquelle elles étaient préparées, notamment grâce au montage de leur plan financier. Hélène Formery est directrice de la création et de l’entrepreneuriat à BPI France. Selon elle, « le plus gros du travail d’un porteur de projet doit reposer sur le calibrage du dossier de financement. Une fois que la reprise s’effectue, il faut avoir les mains libres d’un point de vue financier, car il y a d’autres sujets auxquels le repreneur sera confronté», affirme-t- elle. En effet, devoir se tourner vers sa banque dans un délai trop court n’aura rien d’aisé. C’est pourquoi, avant de se lancer dans une démarche de recherche, il va de soi pour le futur repreneur d’établir un business plan solide, qui l’aidera à cibler l’établissement adéquat et à mieux prévoir l’avenir.

Le plan de financement peut toutefois être amené à évoluer, comme ce fut le cas pour Patrice Bodenan et son conjoint Fabien Laperruque. Ensemble, ils ont repris L’Agriculture au mois d’octobre 2022, un hôtel-restaurant situé à Saint-Hilaire-du- Harcouët (50). « Je travaillais dans la téléphonie mobile tandis que mon mari était dans la restauration. J’ai fait un bilan de compétence qui nous a conduits à nous demander pourquoi ne pas ouvrir un hôtel-restaurant», explique Patrice Bodenan. Le couple originaire des alentours de Bayeux (14) souhaitait reprendre une affaire clé en main, idéalement située sur la côte. « Nous voulions un établissement coup de cœur, ce qui s’est d’ailleurs produit à Granville. Mais, il était trop imposant par rapport à nos capacités financières et professionnelles. Ce n’est pas parce que c’est un coup de cœur que cela va marcher », ajoute le restaurateur. Les banques n’ont pas soutenu le couple dans cette opération et le vendeur n’a pas été en mesure de leur fournir les trois derniers bilans comptables de l’établissement. Pour reprendre et poursuivre à bien leur projet de rachat, Patrice Bodenan et Fabien Laperruque ont donc dû modifier leur plan financier initial. « Il ne faut pas bâcler son prévisionnel et son business plan, mais plutôt faire des recherches très poussées. Je faisais régulièrement des mises à jour des statistiques économiques et touristiques. Je me rendais même dans les mairies ou les offices de tourisme. Nous voulions savoir quelle était la meilleure implantation pour nous. Tant que nous n’avons pas les chiffres sous les yeux, on peut nous dire ce qu’on veut, nous n’y croyons pas », déclare-t-il. Il est en effet important de se forger soi-même un avis au-delà des chiffres énoncés. Pour cela, le repreneur peut par exemple observer le flux de clients devant le restaurant et leurs caractéristiques. De leur côté, Mélanie Soquet et Manon Sergent assurent être régulièrement allées déjeuner chez les concurrents de leur restaurant Délicieux. Le fruit de ces observations est une aide précieuse à la définition de la proposition de valeur de son projet et à sa crédibilisation, pouvant être mis en avant dans un dossier de demande de financement par exemple.

Se faire accompagner

Le couple a décidé de faire appel à un agent immobilier dans le département de la Manche. Il a su balayer les offres et traduire leurs envies, tout en prenant en compte leur capacité financière. « C’est lui qui nous a trouvé en juin 2022 cet établissement à Saint-Hilaire-du-Harcouët avec un beau potentiel de développement », atteste Patrice Bodenan. Un accompagnement qui a porté ses fruits puisqu’en juillet 2022, le couple a signé un compromis de vente. « Il est important pour le repreneur de se

faire accompagner dans les différentes étapes de son projet en fonction de ses besoins et de ses critères», assure Hélène Formery. Un conseil qui s’adresse en particulier aux entrepreneurs novices, comme Patrice Bodenan et Fabien Laperruque. « Nous avons également été suivis par la CCI [chambre de commerce et de l’industrie, NDLR] dans le cadre de “Je lance ma boîte” ici, en Normandie. Ce processus nous a permis d’identifier les différentes étapes à mettre en place dans notre projet de reprise », précise le patron de L’Agriculture. Le couple a aussi décidé de contacter un expert-comptable et a pu bénéficier d’une étude gratuite en quelques rendez-vous. Une étape décisive, selon eux, dans l’élaboration de leur business plan et de leur prévisionnel. « Tout cela à un coût, mais il ne faut pas s’en passer », admet Patrice Bodenan.

Outre les aspects techniques propres au futur local et à l’équipement, un repreneur doit se soumettre à des questions relatives au choix du statut juridique, mais aussi aux licences et aux contrats de travail conclus. Il faut aussi prendre connaissance de documents officiels tels que « l’extrait Kbis »

de l’entreprise, qui justifie de l’inscription au registre du commerce et des sociétés. Par ailleurs, le futur repreneur doit s’assurer que toutes les autorisations et démarches de déclarations nécessaires soient en ordre, comme la demande de transfert de licence. La BPI peut notamment préparer à l’anticipation de ses bonnes dispositions. « Les 25 réseaux d’accompagnements sont associatifs et donc gratuits, ces réseaux peuvent être généralistes ou bien spécifiques en fonction de l’âge, du genre et du territoire dont est issu le porteur de projet. Ils peuvent aussi être spécialisés sur les questions de financement par exemple », développe Hélène Formery. Elle assure l’accompagnement des futurs repreneurs à travers la direction de la création en s’appuyant sur des partenariats avec 25 réseaux d’accompagnement à l’instar d’Initiative France qui a de solides connaissances en matière de restauration. Cependant, comme l’offre mise en place suit la règle de la gratuité, les repreneurs ne sont pas directement mis en relation avec des experts-comptables, des avocats ou des juristes spécialisés.

Les conseils de Mélanie Soquet et Manon Sergent, gérantes du restaurant Délicieux à Lyon (2e)

  • Déterminez précisément votre projet à l’écrit. Ce document est votre sésame, il vous servira pour défendre votre projet devant les organismes financiers notamment. Prenez le temps de clarifier vos objectifs et votre stratégie pour y parvenir.
  • Définissez le marché, voire créez votre propre marché. La clientèle est un autre élément clé à analyser. L’objectif est de savoir si les clients actuels du restaurant visé seront compatibles avec votre concept. Prenez aussi contact avec les anciens fournisseurs et établissez une liste de potentiels nouveaux.
    Vous pouvez enfin vous entraîner à établir un approvisionnement.
  • N’hésitez pas à vous rendre à des événements en lien avec le secteur CHR comme des salons ou des événements street-foods.
  • Ficeler votre projet financier. N’importe quel projet de reprise passe par une analyse rigoureuse
    de son futur investissement et de l’état financer de l’établissement à reprendre. Notez également qu’avoir au moins huit mois de trésorerie d’avance est indispensable pour se lancer.
  •  Serez-vous à la hauteur ? Prenez conscience de l’intensité physique
    et mentale que nécessite une pareille activité. Après le service, vous devrez vous atteler à des tâches de gestion, qui font partie intégrante de votre activité. N’ayez pas peur de faire des heures !
  • Prenez la mesure de la vie du quartier dans lequel vous vous implantez.
    Si ça ne prend pas immédiatement, ne vous démoralisez pas. Une semaine de vacances scolaires peut tout simplement être la raison d’une baisse de fréquentation.
iL’hôtel-restaurant L’Agriculture de Saint-Hilaire-du-Harcouët a été racheté par Patrice Bodenan et Fabien Laperruque.
L’hôtel-restaurant L’Agriculture de Saint-Hilaire-du-Harcouët a été racheté par Patrice Bodenan et Fabien Laperruque. Crédit : L'agriculture
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