CHR hybride : une opportunité à double tranchant

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Le café, la restauration et l’hôtellerie n’existent plus seulement pour eux-mêmes mais pour leur complémentarité avec une boutique de fleurs, une librairie ou encore un magasin de seconde main. Ces modèles économiques particuliers demandent une approche fine et méthodique pour créer une réelle synergie entre les deux activités.

La librairie de la péniche L'eau et les rêves voisine avec un café prisé. Crédit : Péniche-librairie L'eau et les rêves

En pleine heure de pointe au sein de l’enseigne Mercato, la file d’attente s’allonge pour les apporteurs d’objets. Dans les deux boutiques parisiennes (3e et 19e) d’achat-vente de seconde main, la gestion de ce temps d’attente est le point de départ de la réflexion du patron, Frédéric Bertinet, d’ouvrir un coin café. « Nous étions satisfaits de l’expérience clients en magasin, mais pour les personnes qui venaient déposer des objets, l’ambiance de salle d’attente de service après-vente n’était pas terrible », explique-t-il.

Ancien directeur de magasin d’une marque nationale de la vente d’occasion, il a voulu « casser les codes de ce type d’accueil » et s’est mis à offrir le café à tous les vendeurs. Le principe a fait mouche. À tel point que l’enseigne envisage désormais de développer cette activité. « Le café est un métier nouveau pour nous. Au début, c’était un prétexte, mais progressivement, on a vu que les gens ne s’installaient pas seulement pour vendre des choses, mais aussi pour travailler et passer un moment. Nous nous sommes dit qu’on devait monter en gamme et nous avons fait évoluer l’offre. »

L’un des responsables de magasins s’est formé aux techniques de barista, le matériel d’extraction et le sourcing du café ont été changés. « Nous voulons proposer de bons produits et l’expérience complète d’un coffee-shop, mais en restant modestes car la seconde main reste notre cœur de métier. » Les prix des boissons sont ainsi affichés environ 30 % moins chers que dans un coffee-shop classique. Pour autant, la part de chiffre d’affaires du café commence à compter. « Cela reste minime, 2 à 3 % du chiffre d’affaires global, mais ça progresse tous les mois, souligne Thomas Letourneau, directeur des magasins, particulièrement investi dans cette diversification. On avance petit à petit, en ajoutant quelques tables, on réfléchit à une offre légère de snacking. Au départ, c’était un investissement d’image, désormais, l’objectif est d’atteindre un équilibre qui nous permette d’embaucher un salarié. »

Présenter un ensemble cohérent

Le modèle économique semble encore chercher son standard, si tant est qu’il puisse exister. Pour fonctionner, les commerces hybrides doivent proposer un ensemble cohérent où les activités s’enrichissent mutuellement, tout en déployant chacune leur singularité. Une équation des plus complexes. « Notre premier métier, c’était le domaine culturel. L’hôtellerie est venue comme un sauveur, une opportunité de pouvoir poursuivre et étendre nos activités autour du dessin contemporain », raconte Carine Tissot, présidente de la Drawing Society et fondatrice de Drawing Hotels Collection. Le groupe, qui détient désormais 250 clés à Paris, a bâti son approche de l’hospitalité autour du centre d’art Drawing Lab (Paris 1er).

Désormais, il déploie également une foire du dessin contemporain et accompagne des projets artistiques, notamment dans l’hôtellerie. Lorsqu’il a repris la péniche-librairie, L’eau et les rêves (Paris 19e), en 2018, Cyrille Bruneau a immédiatement vu le potentiel du bateau. « L’ancien propriétaire disait déjà qu’il fallait faire un café en parallèle de la librairie. »

Pour dynamiser la fréquentation, il spécialise le fond vers l’univers botanique et déploie une offre café, d’abord restreinte, puis de plus en plus aboutie. « Au bout d’un an, nous avons aménagé la terrasse sur le pont, agrandi la cuisine et modernisé les accès. » Des investissements importants qui font décoller le café… mais pas la librairie. « Le transfert de clientèle est à sens unique. Les gens qui viennent à la librairie fréquentent volontiers le café, mais l’inverse n’est pas vrai. Nous pensions que le café amènerait du trafic dans la librairie, d’autant que notre fonds est pointu, mais le public qui s’attable n’a pas forcément envie d’acheter un livre. »

Proposer une expérience différente

Contrairement à d’autres librairies qui entremêlent volontiers les espaces, comme à La Belle Hortense (Paris 3e) où les piles de livres côtoient les ballons de rouge, Cyrille Bruneau a préféré scinder les deux espaces pour éviter de fâcheux accidents de consommation. Il a installé une bibliothèque en libre accès pour les clients du café. Désormais, celui-ci est devenu l’activité principale « pour sauver les meubles dans une période financièrement compliquée ». Le chiffre d’affaires de la librairie représente seulement 10 %.

Ce rééquilibrage des forces a permis à l’entreprise de rester à flots et d’envisager à nouveau de développer la partie librairie. « C’est difficile d’être partout à la fois. Maintenant que le café est bien lancé, je vais investir dans la gestion et dans la visibilité de la librairie. » Le principe des commerces hybrides a déjà fait ses preuves à l’étranger, mais les habitudes de consommation françaises sont-elles prêtes ?

Certainement, à en croire Carine Tissot. « Nous avançons sur deux secteurs a priori très différents. Mais le taux de fidélisation de nos clients est bon dans les deux sens. Ils trouvent dans nos hôtels et à travers le centre du dessin contemporain un “ je-ne-sais-quoi ” qui suscite un réel attachement à notre démarche artistique. Le plus souvent, l’art vient dans les hôtels, alors que nous avons fait la démarche inverse. Les clients arrivent chez nous comme ils fréquentent un centre d’art. Cela modifie aussi profondément le rapport entre eux et le personnel. Au-delà de leur demander de manière assez banale s’ils ont bien dormi, on peut établir un contact plus approfondi en lien avec nos expositions. C’est aussi beaucoup plus stimulant pour nos équipes et, là aussi, un gage de fidélisation. »

Reconsidérer le commerce de proximité

D’autres concepts misent également tout sur l’expérience. Les établissements Céramicafé, fondés par Geneviève Landsmann en 2018, permettent de créer sa propre vaisselle tout en partageant une boisson ou un brunch issus d’une carte courte mais soignée. Cordelia de Castallane, directrice artistique reconnue dans la décoration d’intérieur, a misé sur l’immersion florale avec le Cordelia coffee flower shop (Paris 8e). L’endroit, privatisable, permet de s’attabler au milieu de compositions florales de haute volée dans un décor tout droit sorti d’un magazine.

Plus surprenant, Mousse (Paris 4e), un coffee-shop dans lequel on vient se faire coiffer au débotté dans l’arrière-boutique, comme on prend son café. « Les choses sont plus fluides lorsqu’on s’installe à une table de café, estime Frédéric Bertinet, de Mercato. Lorsque nos conseillers entrent dans la partie un peu ardue de la négociation, la convivialité peut aider. » Le format hybride intéresse aussi les grands acteurs. Dernière expérimentation en date, celle du Café Fnac, ouvert en juillet dernier à la gare du Nord (Paris 10e). En installant un café au beau milieu des produits multimédia et culturels, le groupe entrevoit également un potentiel à proposer aux voyageurs en transit une autre expérience d’achat.

Si pour le moment l’expérience n’a pas fait de petits, d’autres entrepreneurs sont persuadés qu’il faut réinventer le parcours d’achat des clients, surtout dans les petits commerces. « Je ne m’imaginais pas me lancer dans l’hôtellerie sans ancrage local fort, note Carine Tissot chez Drawing Society. Nos établissements vivent aussi bien pour la clientèle de quartier que pour celle de passage, qui est ainsi immergée dans le quotidien de la ville. »

La boutique Mercato (Paris 19e) se développe justement sur ces nouvelles attentes. « Le lieu a changé de vocation avec la transformation du quartier, constate Frédéric Bertinet. La clientèle est plus jeune, familiale et en recherche de lieux commerçants qui soient aussi des lieux de vie. Le café et nos événements nous permettent de capter une nouvelle clientèle, qu’ils achètent ou non au magasin. Cela pose la question du commerce de proximité de demain, et comment le faire évoluer à long terme ? Il nous semble évident qu’à l’heure du e-commerce, il faut proposer autre chose qu’un simple lieu marchand qui n’apporte pas vraiment d’expérience. Si on veut que les clients continuent à venir dans nos boutiques, il faut leur proposer des lieux de destination où retrouver la plus-value de l’humain. Et quoi de mieux qu’un café pour cela ? »

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