Un Mondial un peu spécial

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L’un des événements sportifs les plus regardés de la planète s’apprête à débuter dans une dizaine de jours, au Qatar. Mais l’impact environnemental, la gestion des droits humains qui collent au pays hôte, ainsi qu’une période inédite pour cette compétition posent des questions quant à son audience. Une situation délicate pour les restaurateurs.

Football
Les bars sont au cœur des évènements sportifs. Crédits : Au Cœur des Villes.

La Coupe du monde de football approche à grands pas. Mais l’effervescence ne ressemble pas à ce que l’on l’observe habituellement autour d’un tel événement. Ce Mondial, qui se déroulera du 20 novembre au 18 décembre, soulève plusieurs questions autour de l’organisateur, le Qatar. Depuis l’attribution de cette compétition, en 2010, le pays du Moyen-Orient s’est engagé dans une construction effrénée de stades (climatisés pour la plupart). D’ici quelques jours, 150 vols quotidiens y achemineront des supporters du monde entier. Un rapport de la FIFA estime que cette Coupe du monde produirait jusqu’à 3,6 millions de tonnes de dioxyde de carbone (en 2018, le tournoi avait généré 2,1 millions en Russie).

Outre cet impact écologique éloquent, le bilan humain est encore plus terrifiant. Selon une enquête de The Guardian, plus de 6 500 personnes (originaires notamment d’Inde, du Pakistan, du Népal, du Bangladesh et du Sri-Lanka) auraient trouvé la mort sur les chantiers destinés aux enceintes qatariennes. En France, plusieurs villes ont donc décidé de boycotter l’événement sportif, à l’instar de la mairie de Paris. Aucune fan zone ne sera donc installée dans la capitale. Au-delà de « l’aspect environnemental » et « social », la seconde raison de l’absence d’installation spécifique invoquée par l’adjoint chargé des Sports, Pierre Rabadan, est « la temporalité, le fait que ça ait lieu au mois de décembre ». Cette période est effectivement inédite dans l’histoire des Coupes du Monde. Les bars et brasseries parisiennes, qui diffuseront les matchs de football, semblent souvent dubitatifs, quant à la fréquentation de leurs établissements.

Moins de spectateurs qu’en été

« Comme les matchs seront l’après-midi [durant les poules, deux matchs seront à 14 h et 17 h, NDLR] et que les gens travaillent, je pense qu’on aura moins de monde que si c’était l’été. Ça va être un peu compliqué », redoute Sarah Beuscher, responsable du service de jour au Long hop (Paris, 5e). Ce bar sportif, situé tout proche de Notre-Dame de Paris et disposant de huit écrans dont deux rétroprojecteurs, espère que la clientèle étrangère ne boudera pas la compétition. « Les touristes qui viennent à Paris, je préfère qu’ils viennent voir les matchs plutôt qu’ils aillent au musée […] Après deux ans de Covid, il va falloir rattraper l’activité », ajoute la manageuse du pub, qui se soucie peu de ses achats pour l’instant : « un brasseur nous livre en fonction de nos demandes. Nous savons que nous allons commander davantage, mais nous n’avons pas besoin de faire de calculs. »

Cafés et chocolats chauds

Le déroulement de cette Coupe du monde reste difficile à envisager pour de nombreux professionnels de la restauration. « On espère qu’il y aura un peu de monde, confie Youssef Messi, derrière le comptoir du Mouffetard (Paris, 5e). C’est un peu particulier cette année. Lorsque c’est l’été, ce sont aussi les vacances, ce n’est pas pareil. Là, les gens travaillent, il y a un décalage horaire, c’est spécial ! C’est compliqué de faire sortir les gens dans les restaurants, sachant qu’il ne fait pas 30 degrés pour boire sa bière fraîche en terrasse. La Coupe du monde, c’est une formule avec bière. Mais là, ça sera quoi ? Une tasse de thé ou une tisane pour voir un match de foot ? », s’amuse le directeur de salle de la brasserie. Mais concernant un possible phénomène de boycott, il n’est pas inquiet : « Les fans de foot, pour les grands matchs, se moquent des débats politiques ».

Un point de vue que ne partagent pas entièrement les dirigeants de L’Antidote, installé à quelques centaines de mètres en remontant la rue Mouffetard.« Nous diffuserons les matchs mais pas avec une grande ferveur. C’est un sentiment partagé par beaucoup de monde et certains de nos clients. Nous ne nous posons pas la question du boycott – nous sommes un bar sportif donc nous allons logiquement diffuser la Coupe du monde – mais on ne s’en réjouit pas », admet Quentin Lefevre, directeur de l’établissement, plus enthousiasmé par les prochaines rencontres de rugby : « Pour être honnête, l’événement qui devrait gonfler nos chiffres sera la tournée d’automne. Avec les test-matchs, nous remplirons mieux notre bar et avec une meilleure ambiance ».

Dans un bar élégant de l’avenue d’Italie, rien ne laisse présager qu’une Coupe du monde sera diffusée dans moins de trois semaines. Pas de drapeau, aucune télévision à l’horizon. Pourtant, le Paris Italie (Paris, 13e) proposera bientôt la retransmission de la plus grande compétition de football. « Le fait que des matchs se déroulent l’après-midi, c’est même mieux pour nous. Les gens n’auront pas le temps de rentrer chez eux, ils regarderont les matchs où ils se trouvent, estime le gérant, Pascal Carrie. Accueillant des habitués du quartier comme des touristes, le patron du bar reconnaît que les résultats des Bleus seront fondamentaux pour sa fréquentation : « Si l’équipe de France se fait éliminer dès le départ, ça n’aura plus le même intérêt ».

Paul El Haber s’apprête, lui, à diffuser sa quatrième Coupe du monde de foot dans son pub du boulevard Poissonnière (Paris, 2e), le James Hetfeeld’s, où dix écrans peuvent diffuser simultanément des rencontres sportives. « L’ambiance de la Coupe du monde, c’est toujours bien, se réjouit-il. J’ai déjà diffusé une Coupe du monde de rugby ici, ça s’est toujours bien passé. À la place des bières, ce sera des cafés et du chocolat chaud en début de journée, puis à nouveau des bières dans l’après-midi… On s’y prépare depuis longtemps. Et encore plus maintenant avec le contexte actuel et le manque de marchandises ».

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