Après la crise, faites le point

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Dans ce contexte de sortie de crise, faire le point sur sa trésorerie s’avère crucial. Julien François, expert-comptable, commissaire aux comptes et associé au cabinet Steco, donne les clefs pour appréhender au mieux sa situation financière.

Une énergie rare a dû être dépensée pour faire face à la crise sanitaire : fermer son établissement, puis gérer au mieux ses stocks périssables, mettre ses salariés en chômage partiel, aller requérir les aides de trésorerie mises en place par l’État, négocier son loyer avec son bailleur, organiser, lorsque cela aura été possible, la vente à emporter et rouvrir son établissement en considération d’un protocole sanitaire contraignant (bien que nécessaire) tant pour ses salariés que pour ses clients.

Les pouvoirs publics aident les entreprises CHRD avec des mesures spécifiques, c’est vrai. Néanmoins ces aides, malgré leur ampleur, n’ont fait que parer au plus pressé (sauver la trésorerie) dans l’espoir que le chiffre d’affaires soit au rendez-vous à la reprise… sauf que pour nombre d’entreprises, le retour à la « normale » n’est pas pour demain dans la mesure où les modes de consommation deviennent nécessairement plus frileux en considération de la peur qu’inspire le virus. Peur contaminant elle-même le chef d’entreprise, craignant d’arriver à la cessation des paiements, cette situation obligeant (par la Loi) au tristement célèbre dépôt de bilan, et à laquelle sont associés des mots non moins funestes : redressement, liquidation judiciaire, banqueroute, faillite, etc.

Qu’est-ce donc que cette cessation des paiements ?


C’est, nous dit la Loi, lorsqu’une entreprise est dans l’impossibilité de faire face à son passif exigible avec son actif disponible, c’est-à-dire, en clair, lorsqu’une entreprise n’arrive plus à payer ses factures échues, car il n’y a plus assez d’argent sur le compte bancaire. Certains articles de presse ont pu faire valoir au printemps que certaines aides de l’État, et particulièrement le prêt garanti par l’État, n’étaient d’ailleurs au mieux que des pis-aller, au pire des « bombes à retardement » , ne faisant que repousser l’inéluctable. En effet, on a substitué à des passifs exigibles (les dettes issues des factures à payer pendant l’interdiction d’accueil du public) des passifs non exigibles, mais il faudra bien les rembourser un jour malgré tout. Êtes-vous en cessation des paiements et, si non, vous rapprochez-vous de cette situation fatidique, ou vous en éloignez-vous ? Quelques calculs simples jetés sur une feuille blanche – à faire valider par un professionnel – vous permettront de vous donner une idée de votre situation.


« Quelques calculs jetés sur une feuille blanche vous permettront de vous donner une idée de votre situation financière. »
Julien François, expert-comptable, commissaire aux comptes et associé au cabinet Steco.


Évaluer sa santé financière


Dans un tableau à deux colonnes (1), mettez, à gauche, la trésorerie disponible (c’est-à-dire tout simplement l’argent que vous avez sur le compte à ce jour, et qui n’est pas bloqué par un placement quelconque), que vous tenterez de scinder en différentes catégories si cela est possible : celle issue de l’activité économique, celle issue du plan garanti par l’épargne. À droite, apposez l’ensemble des dettes que vous avez accumulées à ce jour, au sein duquel vous vous efforcerez également de distinguer celles qui sont exigibles de celles qui ne le sont pas encore, que cela soit par les effets des mesures protectrices de l’État ou par le simple fait que la facture n’est pas encore arrivée à échéance : dettes fournisseurs, dettes sociales, dettes fiscales, dettes de loyer, etc.


Faites la soustraction du total de la trésorerie (colonne de gauche) avec le total des dettes exigibles (dans la colonne de droite). Si ce solde est négatif, vous êtes en cessation des paiements et il vous faut vous rapprocher rapidement d’un professionnel, avocat ou expert-comptable, pour envisager à brève échéance soit la renégociation de vos dettes échues, soit, malheureusement, le dépôt de bilan. Si le solde est positif, vous n’êtes pas en cessation des paiements.


Faites ensuite la soustraction entre le total de la trésorerie et le total des dettes (toute la colonne de droite, avec aussi bien les dettes exigibles que les dettes qui ne le sont pas encore). Si le solde est négatif, vous êtes en cessation virtuelle des paiements, c’est-à-dire qu’à activité constante (ou déclinante si votre affaire est saisonnière), l’arrivée à échéance de vos différentes dettes vous entraînera progressivement en cessation des paiements. Une fois appréhendée la situation dans laquelle vous êtes, il faut évaluer celle vers laquelle vous vous dirigez, en refaisant le même calcul (2), quinze jours plus tard, puis répéter la démarche régulièrement, en mettant à jour les valeurs. Si votre solde évolue à la hausse, vous refaites peu à peu surface et vous vous éloignez de la cessation des paiements.


Si, à l’inverse, votre solde évolue à la baisse, c’est que vous vous en rapprochez, et qu’il faut vous y préparer, sans fatalisme néanmoins : de nombreuses procédures « préventives » existent (mandat ad hoc , conciliation, sauvegarde de justice). Elles ont déjà été adaptées, et le seront encore dans les mois qui viennent. Vous avez par ailleurs, peut-être, encore des leviers à actionner pour inverser la tendance. L’important est de se donner les moyens d’appréhender sa situation suffisamment tôt pour y faire face, que l’information obtenue soit rassurante sur les démarches déjà entreprises ou qu’elle indique un autre chemin à suivre. Savoir « lever la tête du guidon » quelques instants avant d’y replonger en redoublant d’efforts, tel sera le prix, pour beaucoup, de la sortie de crise de la covid-19. »



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