Le fromage fait de la résistance

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Attaqué par la transformation des modes de vie et le raccourcissement des repas, le fromage a du mal à conserver sa place sur les menus. Ce qui relève peut-être d’un manque de main-d’œuvre, de temps ou d’imagination.

Fromage
Fromage. Image d'illustration.

La France compte une majorité de consommateurs de fromages. Près de 99 % des plus de 17 ans déclarent en consommer au moins une fois par semaine, toutes formes confondues, et 90 % le dégustent tel quel. « Les moments de consommation sont encore majoritairement le déjeuner et le dîner, et un acte de consommation sur deux se situe en fin de repas, souligne Noëlle Paolo, responsable des études au Cniel. Mais le fromage est de plus en plus souvent cuisiné, en plat chaud, ou froid. Et 41 % des Français le consomment en grignotage, ainsi que 35 % à l’apéro. » Les plus jeunes sont ceux qui privilégient le plus ces modes de consommation moins traditionnels. L’avenir du fromage au restaurant peut toutefois continuer à s’inscrire dans la fin de repas. À condition de réinventer un peu les manières de faire.

Le fromage sur un plateau (de théâtre)

Le chariot pantagruélique n’a déjà plus le vent en poupe, notamment à cause des difficultés à gérer un trop grand nombre de références. « Tout dépend de la taille du restaurant, mais aujourd’hui un chariot de 50 fromages n’est plus possible, à cause des pertes et du coût d’achat », précise Christophe Spotti, directeur du pôle marketing et communication du Cniel. Le chariot a aussi souffert de la généralisation du service à l’assiette. « Il y a eu une époque, des années 1970 aux années 1990, où on retrouvait des découpes à table, des flambages, et des chariots dans les grands restaurants. Les métiers de salle mettaient en avant leur maîtrise et leur technique et préparaient l’assiette de fromages à partir du chariot, devant le client.

Puis, il y a eu une évolution, et tout cela s’est perdu », relate Thibaut Burger, directeur du restaurant strasbourgeois La Cloche à fromage. Or, il en va pour le fromage comme pour le vin : les clients attendent que le personnel en salle puisse présenter le produit, apporter une plus-value, expliquer pourquoi les accords marchent. « Il faut être à l’aise avec l’histoire du produit ; mais aussi avec la découpe, qui varie selon les fromages ; la présentation, car il y a un ordre de dégustation, etc. Et si ce rituel est mal fait, ça peut être trompeur pour le client, considère Fabrice Courtois, chef de groupe achats fromages et produits laitiers chez Metro France. Et donc, pendant longtemps, parce qu’il y avait cette crainte d’être déçu et qu’il était difficile d’avoir le bon personnel, formé, les clients ne prenaient pas le risque. »

Et pourtant, le fromage, quand il est bien choisi, travaillé et exposé, peut être un élément différenciant pour le restaurateur. Et sans qu’il doive nécessairement proposer un large choix. « De nos jours, les clients demandent à découvrir des produits qu’ils n’auraient pas à la maison, et qu’on les leur présente, complète Christophe Spotti.

Ce qui est plus facile à réussir avec un ou deux fromages qui changent toutes les semaines qu’avec un plateau de 36 références. Et c’est aussi plus facile pour la découpe : il n’y a pas besoin de trois couteaux et d’un fil, ou de multiplier les techniques. » Le service du fromage doit donc être à la fois simple à mettre en œuvre par le personnel, et théâtralisé pour plaire au consommateur. Le restaurant à thème La Cloche à fromage, ouvert en 1988 et qui tourne autour du triptyque pain-vin-fromage, joue sur les deux tableaux. Il dispose d’une part d’une équipe de trois maîtres fromagers qui composent et servent les plateaux thématiques, avec un discours didactique mêlant l’élaboration d’un fromage, son histoire dans le temps, son origine en termes de terroir et de producteur, des anecdotes, etc. Sans oublier la cloche à fromage du restaurant, véritable écrin de 400 kg et de près de 2 m de hauteur, réfrigéré, nébulisé, comportant des plateaux de présentation en granit, qui trône à l’entrée de l’établissement. Difficile de faire mieux en termes de théâtralité. Mais René Tourrette, le fondateur du restaurant, est aussi à l’origine d’une fromagerie portant son nom. « Quand il a commencé à proposer ses fromages d’exception, il a mis en place une proposition de formation des équipes des restaurants, en cuisine comme en salle, raconte Thibaut Burger. Ces fromages sont des produits qui coûtent cher, mais, si on explique aux gens la raison de ce prix, en mettant en avant la qualité, on peut donner envie aux professionnels comme aux clients. »

Petite sélection pour grand plaisir

Pour ceux qui ne pourraient pas employer du personnel nombreux et formé, une première solution est de composer une offre réduite, en s’appuyant sur les tendances sociétales du moment. Changer régulièrement les références proposées permet notamment de mettre en avant la saisonnalité, qui se prête parfaitement au fromage. Les ventes de fromages de Metro France indiquent aussi une hausse des demandes de produits fermiers, issus de petits producteurs, qui permettent de jouer la carte du terroir ou du local. Sont aussi plébiscités les spécialités, des produits sans appellation mais qui sortent de l’ordinaire et peuvent être difficiles à trouver, comme le bleu de Termignon ou le persillé de Tignes, et qui peuvent devenir un vrai argumentaire de vente et de différenciation.

« Mais si on n’a pas la capacité ni le temps de présenter le producteur, il y a beaucoup de signes de qualité, de labels, d’AOP, qui sont aujourd’hui bien connus par le consommateur », souligne Fabrice Courtois.

Une autre solution, pour éviter que le fromage soit le laissé-pour-compte de la question « fromage ou dessert ? » est de fusionner les deux. Le Cniel a émis une proposition allant en ce sens, avec l’opération Sweet Cheese, produite dans le cadre du programme Cheese up your life d’EMF (European Milk Forum) cofinancé par l’Union européenne, et qui a entraîné la sortie de deux livrets, en 2016 et 2017. Y interviennent aussi bien le sociologue Éric Birlouez, qui y décrypte la « dessertification » du fromage, que des chefs ou fromagers proposant leurs recettes. « Le fromage devait y être inclus dans sa plus simple expression, découpé ou chauffé mais pas cuisiné, avec une dimension sucrée, mais sans être dans le sucré-salé, explique Christophe Spotti. Le but n’était pas de rajouter du sucre à côté d’un élément salé, mais d’ajouter une saveur sucrée en équilibre. »

Un numéro de voltige, donc, qui a donné naissance au cheese cake de brillat-savarin, figues et muscat de Beatriz Gonzalez, au gâteau abondance-tomates de Bruno Verjus, ou encore au comté de 36 mois accompagné de crumble sarrasin, coing et raisins par Franck Baranger.

La prochaine étape sera peut-être de faire du fromage l’élément principal d’un plat, car, dans sa variété, il en a toutes les capacités -de transformation comme d’accord. « Cela se voit encore peu, car on est encore dans une carte de restaurant très traditionnelle, avec entrée-plat-dessert et un plat généralement à base de viande ou poisson, considère Christophe Spotti. Mais, aujourd’hui, on a de plus en plus de plats végétariens, ce qui ne se voyait pas du tout avant – quand Alain Passard a sorti une carte axée sur le végétal, personne ne croyait que ça marcherait. Donc, penser le fromage en tant que pièce principale n’a rien de délirant. »

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