L’étoile bleue des montagnes

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Il fait partie de la famille des pâtes persillées, mais il représente bien plus qu’une technologie fromagère. Le bleu de Laqueuille du GAEC des Étoiles se distingue par son lait cru issu de vaches ferrandaises, une race qui a bien failli disparaître. Rencontre avec un fromage aussi traditionnel qu’exceptionnel.

J’ai des partenaires très particulières. Des partenaires sans qui je serai presque comme les autres. Or, je ne suis pas comme les autres. Dans mes yeux bleus que je cache dans mon cœur, se trouve l’ADN du fromage du Puy-de-Dôme. Ni plus ni moins. Mon lait est en grande partie issu de la race locale à la fois rare et précieuse : la ferrandaise. Une vache dont il ne reste que quelques spécimens (environ 2 700 mères réparties sur le territoire français). Mais surtout celle qui est probablement la mère des fromages du Puy-de-Dôme, avec ou sans AOP. Car autrefois, c’était elle qui peuplait majoritairement les estives et les prés du département, et particulièrement les montagnes du Sancy. Comme sa voisine l’aubrac, elle a échappé à une disparition programmée par la course à la productivité laitière d’après-guerre. Ce qui l’a sauvée ? L’amour inconditionnel des gens d’ici, à commencer par les parents de Cédric Prugne, l’un de mes deux producteurs. Tous ont œuvré pour que cette vache auvergnate ne tombe pas dans les oubliettes. Cet engagement pour la terre, le terroir et la biodiversité, c’est ce qui me permet d’exister aujourd’hui.

Et pourtant, je réclame du travail et de la résilience. Même si la ferrandaise n’est pas comme ses chères cousines l’aubrac et la salers, et qu’elle n’a pas besoin de son veau à ses côtés pour être traite, elle donne un lait certes de qualité, mais en moindre quantité que d’autres dames laitières répandues dans nos campagnes. Là où une prim’holstein donnera entre 7 et 10 litres de lait, la ferrandaise, elle, pourra donner 5 litres, « et on sera content », souligne l’un de mes producteurs Cédric Prugne. Lui et Gary Chassagne m’ont créé l’an dernier, en mars 2019. Je suis né pour mettre en lumière cette race auvergnate méconnue et pour valoriser son lait à travers un autre symbole de la montagne : le bleu de Laqueuille. Version fermière au lait cru. Mais reprenons au début. Comme je vous l’ai dit, je n’existerais pas si les parents de Cédric Prugne n’avaient pas choisi d’élever des ferrandaises depuis toujours. « J’ai grandi dedans, alors quand je me suis installé, c’était une évidence d’avoir des ferrandaises dans mon troupeau », se souvient-il. Progressivement, depuis 2005, il remplace ses montbéliardes par des ferrandaises. Jusqu’en 2019, le lait partait à la laiterie de Laqueuille et servait à la production de fromages.

Cédric Prugne et Gary Chassagne


HORS AOP

Après la formation du GAEC des Étoiles en 2018, les deux compères Cédric Prugne et Gary Chassagne auraient pu me faire Bleu d’Auvergne ou Fourme d’Ambert AOP. Mais c’est sous le nom du bleu local, ancestral que je suis désormais connu. Je suis et je reste un bleu de Laqueuille et fier de l’être. D’un point de vue technique, je me démarque sur la méthode de salage : « On ne sale pas en saumure, on sale en surface à sec » , explique Gary Chassagne. Je passe ensuite cinquante jours dans les caves d’affinage pour me donner mon caractère. À la fin, je me révèle particulièrement crémeux. Et je ne vous ai pas tout dit… Je fais partie de ces fromages qui défendent une idée de l’agriculture respectueuse de l’environnement : je suis certifié bio depuis ma création. Comment sont nourries mes jolies vaches pie rouge nichées à plus de 1 000 m d’altitude ? « À l’herbe et au foin sec durant l’hiver. On n’utilise pas d’ensilage ou d’enrubannage, et les animaux mangent aussi des céréales bio. » C’est tout.

À tout juste un an, mon jeune âge ne m’a pas permis encore d’installer ma pâte sur les tables étoilées, mais quelques restaurateurs ont déjà succombé à mon charme et à mon authenticité, aux quatre coins du département du Puy-de-Dôme. Les crémiers-fromagers eux aussi ont saisi ma particularité et tout ce que j’incarne : le terroir auvergnat avec ce bleu d’altitude. Avec attitude. Car celles qui me représentent sont les meilleurs ambassadrices : ces dames aux étoiles situées au milieu du front, comme un repère. Des étoiles qui ont donné le nom au GAEC qui me fait naître tous les jours dans leur ferme. Pour faire perdurer une tradition. Si vous voulez me croquer, la meilleure manière reste encore de choisir un bon pain de campagne qui croustille, une cuvée de gamay d’Auvergne et je ferai des merveilles. À vous en donner des étoiles dans les yeux.

Infos pratiques

GAEC des Etoiles

Terrisse, à Laqueuille (63)

www.gaecdesetoiles.com 

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