Réinventer la simplicité

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Lait, crème, beurre. L’innovation semble difficile sur des produits aussi basiques. Et pourtant, depuis quinze ans, les références à usage professionnel se multiplient.

Il y a quinze ans, on avait surtout de la crème UHT à 40 % de matière grasse, qui permettait de tout réaliser, mais pas forcément très bien » , historise Anne-Claire Mainguy, chef de groupe pour Lactalis. Mais aujourd’hui, l’entreprise propose deux principaux types de crème UHT : celles à 35 %, présentées comme plus performantes en foisonnement, et des crèmes aux alentours 15 % ou 18 %, plutôt destinées aux cuissons.

Le passage d’une crème « basique » qui sert à tout à une large palette de produits à usages différents ne s’est pas fait en un jour. « Je ne pense pas que la gamme se soit vraiment élargie récemment, commente Jacques Klimczak, directeur marketing du groupe Maître Laitiers du Cotentin. Par contre, c’est la communication qui a changé depuis une dizaine d’années et qui s’axe plus sur les usages des différentes crèmes, chacune répondant à un besoin différent. Parce qu’on a une meilleure connaissance, davantage d’appropriation et de vulgarisation sur les usages de la crème. » Ainsi, Flora Balcon, chef de marché chez Le Gall, insiste sur le fait que la crème fleurette, légèrement maturée, de la nouvelle gamme Le Gall Professionnel, foisonne très vite et ne retombe pas. « C’est une question permanente : quel est le prochain produit à proposer pour répondre aux demandes des clients », ajoute-t-elle.

La technicité

Mais la crème n’est pas le seul produit qui s’est spécifié en fonction des usages qu’en font les professionnels. « Pour le beurre, les produits de tourage, qui existent depuis un certain temps, sont vraiment une gamme spécifique dédiée à des usa ges particuliers. Ils ont été spécialement conçus pour le feuilletage, pour un meilleur développement de la pâte et un goût de beurre plus marqué », note Anne-Claire Mainguy. De même, Jacques Klimczak souligne qu’un beurre AOP aura une meilleure tenue à la cuisson : « Son point de fusion est plus haut, en raison du process de fabrication. » Et même le lait n’échappe pas à cet axe de développement et de communication.

Le lait barista Lactel Professionnel, lancé voici deux ans, a été développé pour obtenir une mousse de lait plus facile à travailler.

Ce lait pour barista a été conçu suite au besoin de proposer des boissons gourmandes.

La qualité

Les produits laitiers n’ont toutefois pas évolué selon le seul besoin de technicité. Selon Jacques Klimczak, les axes principaux, d’après les besoins exprimés par les chefs, sont au nombre de trois : commodité, technicité et qualité.

Le réseau de distribution France Frais, qui appartient au groupe Les Maîtres Laitiers du Cotentin, a ainsi créé trois nouvelles marques afin d’amener plus de lisibilité à ses clients grâce à une offre bien segmentée. La marque Simplement Frais propose des produits de commodité et du quotidien, Toque & Tablier se concentre sur les produits techniques et Les Halles France Frais met davantage en avant les labels et le patrimoine.

« Les produits issus de l’UE sont en baisse, car il y a un recentrage sur les produits made in France , exempla-rise Jacques Klimczak. Les tendances retrouvées chez les pros sont les mêmes que celles remarquées en GMS : des produits régionaux issus de circuits courts. » Et cette tendance est exactement celle sur laquelle compte Le Gall. « Nous, on va proposer un produit premium. Et on voit que depuis cinq ans, la demande a vraiment évolué vers un produit d’origine locale et une composition clean– sans épaississant ou autre », argumente Flora Balcon. Les beurres de baratte Le Gall Professionnel, par exemple, sont des produits maturés qui nécessitent 24 heures de fabrication, à partir de lait collecté chez des producteurs locaux dont les vaches sont au pâturage durant huit mois au minimum.

Sur le même principe, Lactalis propose depuis février une crème épaisse à 42 % de matière grasse, sous le nom la Laiterie du Livarot.

« On est dans une démarche territoriale, avec une très petite collecte, dans un rayon de 50 km autour de la laiterie, explique Anne-Claire Mainguy. Cette démarche locale est ce qu’attendent les utilisateurs pour une crème aussi riche. La clé d’entrée principale du produit est l’authenticité. » Lactalis parie aussi sur le bio et lancera en mai de multiples références biologiques, dont une brique de lait bio demi-écrémé Lactel Professionnel.

Jacques Klimczak, lui, mise plutôt sur le lait de pâturage, une tendance qui se retrouve aussi bien en GMS qu’en RHF, car l’impact sur le coût de production est neutre. « Aujourd’hui, on n’a pas assez de retour d’expérience pour dire qu’un lait de pâturage est meilleur, tant gustativement que pour le bien-être de l’animal, fait-il pourtant remarquer. Mais l’image d’Épinal d’une vache en plein air pousse vers le lait de pâturage. »

Le Gall propose aux professionnels des beurres de baratte doux ou demi-sel, parfois biologiques, en format allant de 25 g à 25 kg.

La crème de la Laiterie du Livarot est proposée en seau de 3 kg, les professionnels jugeant le traditionnel format de 5 kg peu pratique.

Les liaisons heureuses

Lait, beurre et crème sont des produits du quotidien aussi bien pour les chefs que pour leurs clients, chacun les utilisant en cuisine.

Améliorer ses ventes auprès d’un public peut ainsi se répercuter sur un autre. « Les chefs sont une belle vitrine, confirme Flora Balcon. Ils sont un relais médiatique vers le grand public, pour nous qui restons une petite laiterie par rapport aux mastodontes du milieu. » Mais les chefs tirent aussi bénéfice de cette situation. En fonction des produits qu’ils choisissent, ils peuvent afficher, par exemple, qu’ils travaillent avec une entreprise locale. « Ils deviennent nos ambassadeurs parce qu’ils sont fiers d’utiliser nos produits », précise la chef de marché de la laiterie Le Gall. Toutefois, tous les produits et tous les labels n’ont pas la même capacité à devenir objet de communication. « Les chefs vont essayer de valoriser le terroir, en utilisant des beurres et des crèmes AOP et en le soulignant dans le libellé de leurs recettes – cela vaut pour les chefs mais aussi pour les pâtissiers, notamment pour les viennoiseries », souligne Jacques Klimczak. Ce type de précision peut se faire par le biais d’un panonceau présent dans l’établissement, de la même manière qu’est affichée l’origine des viandes. Mais, au contraire, le directeur marketing du groupe Maîtres laitiers du Cotentin constate que si la tendance bio explose en GMS, elle progresse plus lentement en RHF. Pour une question économique, mais aussi à cause de la difficulté à valoriser l’utilisation de lait, crème ou beurre bio sur une carte dans la restauration à table.

Cette brique de lait bio s’engage à mieux rémunérer les producteurs, point sur lequel le public a dernièrement été sensibilisé.

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