Des fraises en quête d’identité 

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À Plougastel, dans le Finistère, on cultive des fraises depuis le XVIIIe siècle. Pourtant, aucun label ne protège ce fruit singulier. Une trentaine de producteurs a déposé une demande d’indication géographique protégée (IGP) pour éviter les abus et faire reconnaître leur savoir-faire.

Les fraises de Plougastel.
Les fraises de Plougastel. Crédit : Musée de la fraise et du patrimoine.

« On se moque souvent du climat breton, s’amuse Isabelle Le Page, coprésidente du collectif des fraisiculteurs de Plougastel, mais en réalité rien ne convient mieux aux fraises que les températures douces et l’humidité ! » Dans ce bout de Finistère niché entre la rade de Brest et la presqu’île de Crozon, la culture du savoureux fruit rouge doit beaucoup au microclimat local. « Le premier à s’en être rendu compte est Amédée Frézier, raconte la productrice. En 1714, cet explorateur-botaniste avait ramené des pieds de fraises sauvages d’un voyage au Chili. Il n’y a qu’ici qu’ils se sont bien adaptés. »

Une fraise issue d’un croisement

Intrigués, les maraîchers locaux croisent alors cette grosse fraise blanche avec des variétés rouges venues de Virginie, petites et sucrées. L’opération fonctionne. Le succès du nouveau fruit obtenu est rapide. Pendant de très longues années, la fraise de Plougastel fait la renommée du territoire. « La filière a tout de même connu des difficultés dans les années 1980, note Isabelle Le Page. Les fraises étaient traditionnellement cultivées en pleine terre et la récolte était pénible. Recruter des cueilleurs était devenu mission impossible. Beaucoup de producteurs ont arrêté d’en faire pour produire des tomates. L’activité fraise a failli disparaître. » Par chance, la technique des « jardins suspendus » vient relancer l’activité. Accrochées à hauteur d’homme et cultivées sous serre dans des pots de terreau, les fraises ne nécessitent plus de s’agenouiller pour les récolter. Mieux, la qualité des fruits – qui ne touchent désormais plus le sol – s’améliore.

Des fraises de Plougastel originaires d’Espagne ? 

Depuis, la filière a repris des couleurs. « Nous produisons environ 1 600 tonnes par an sur 40 hectares, détaille Isabelle Le Page. Nous restons des petits poucets à l’échelle nationale, mais la qualité est là : nous avons des nuits fraîches et des journées tempérées. Les fraises mettent plus longtemps à grossir et à rougir. Elles sont ainsi très sucrées et juteuses. » L’une des variétés les plus cultivées est la gariguette, une fraise de printemps que la douceur du climat permet de faire fructifier jusqu’au mois de juillet. « Certains fraisiculteurs produisent aussi de la Mara des bois ou de la Charlotte », ajoute la productrice. La coopérative Savéol absorbe la moitié de la production. L’autre moitié est écoulée directement auprès de divers grossistes ou en vente directe.

Une fraise en manque de reconnaissance

Mais si la réputation d’excellence de la fraise bretonne garantit les débouchés, il reste un problème : aucune reconnaissance officielle ne la protège. « Certains de nos concurrents utilisent notre notoriété pour écouler leurs propres fraises, souvent de qualité médiocre, déplore la Finistérienne. Nous avons même trouvé des barquettes estampillées “fraises de Plougastel origine Espagne ” en magasin. » Un comble ! En 2017, un collectif de 32 producteurs se regroupe dans le but d’obtenir une reconnaissance juridique. Une demande d’IGP est déposée auprès de l’Institut national de l’origine et de la qualité (INAO). Le secteur concerné s’étend du pont de l’Iroise, au nord, jusqu’à Hanvec au sud. Une première commission s’est déjà rendue sur place. « Nous avons normalement rendez-vous fin 2024, pointe Isabelle Le Page. Nous savons que le chemin sera long, d’autant plus que notre dossier est le premier à intégrer un mode de production en jardins suspendus. »

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