La saisonnalité est un enjeu pour notre alimentation quotidienne, qui peut se révéler bénéfique à plusieurs titres pour les restaurateurs. Les industriels spécialisés dans les légumes affichent leur engagement dans le respect saisonnier et se présentent comme des intermédiaires entre la filière agricole et la restauration.
« Il faut aujourd’hui rééduquer le consommateur de manière qu’ [il] ne mange pas des fraises à Noël, à un moment donné il faut qu’on arrête ces aberrations », s’insurgeait Jacques Rouchaussé, président des Producteurs des légumes de France, à la veille de la conférence sur la souveraineté alimentaire, il y a quelques semaines. Avec « 110 espèces de fruits et légumes » disponibles, le responsable de cette fédération de producteurs estime qu’il y « a de quoi se faire plaisir » et insiste sur l’importance « des repères » à donner aux consommateurs. Pourtant, les Français sont de plus en plus sensibilisés à la saisonnalité aujourd’hui : 36 % d’entre eux n’achètent que des fruits et légumes de saison, révèle une étude réalisée par Too good to go (mouvement de lutte contre le gaspillage alimentaire), en partenariat avec YouGov. Dans le monde de la restauration, le respect de la saisonnalité maraîchère reste très variable mais certains acteurs sont pleinement engagés dans cette démarche. « Cela nous oblige à faire notre métier et à changer de carte régulièrement », témoigne Antoine Yerochewski, propriétaire de l’enseigne végane Les Bols d’Antoine (Paris 20e). Le restaurateur s’approvisionne depuis trois ans auprès de petits producteurs, notamment ceux du Carreau des producteurs, à Rungis. Aujourd’hui, les produits proposés dans son établissement sont quasiment tous issus d’Île-de-France et respectueux de la saisonnalité. Afin de préparer ses plats et desserts, il travaille avec « huit à douze légumes et quatre à six fruits » par saison.
Les industriels font également ce constat de l’installation progressive du respect saisonnier. « Il y a davantage une demande de légumes de saison, c’est indéniable, affirme Nathalie Douis, directrice marketing de D’Aucy food service. Aujourd’hui, on ne mange plus de dessert à la fraise ou de tomate en hiver. Les consommateurs attendent du local et des légumes de saison, les restaurateurs en sont conscients et les distributeurs orientent aussi leurs achats comme cela. » Il y aurait aujourd’hui une tendance de fond, concernant la saisonnalité, « qui vient du convive », estime Nicolas Dron, à la direction marketing de Bonduelle food service, et particulièrement des jeunes adultes : « Les millénials accordent une part plus importante à leur alimentation, c’est un sujet que l’on retrouve chez les chefs et cela a été particulièrement vrai pendant la Covid. »
UN PARI GAGNANT-GAGNANT
Faire le choix de la saisonnalité n’est pas une évidence pour tous les restaurateurs. Il n’est pas rare de voir des plats composés de légumes, proposés durant plusieurs mois sur des menus. Toutefois, Antoine Yerochewski, restaurateur depuis une dizaine d’années et maraîcher depuis septembre 2020 – suite aux succès de ses paniers de fruits et légumes pendant le confinement -, pense que le respect des produits de saison « est une voie que tout le monde peut emprunter ». Les cuisiniers clients de sa petite boutique, voisine de son restaurant, sont ravis de travailler avec des légumes qui « ont du goût » . Et en achetant des produits de saison, le prix d’achat est généralement moins élevé. « Je fais ainsi une meilleure marge et les clients sont contents, donc ça marche. Mais cela demande du travail et un investissement personnel », confie le fondateur des Bols et des Maraîchers d’Antoine. Ce dernier se lève trois fois par semaine au cœur de la nuit pour rencontrer ses producteurs, qui le fournissent « avec le minimum d’intermédiaires » . La question de la saisonnalité des légumes est un sujet que les industriels prennent au sérieux, à travers une relation étroite avec les agriculteurs. Chez D’aucy food service, la planification des récoltes s’effectue en relation avec les producteurs souvent une année à l’avance.
« Nos producteurs sont des élus de notre coopérative [Eureden]. Ce sont nos patrons, car la coopérative appartient à ses adhérents », précise Nathalie Douis. La branche dédiée à la restauration collective et commerciale de D’aucy se considère ainsi « en lien direct avec l’agriculture », avec laquelle elle doit gérer ce temps long. Cette planification est donc regardée en amont avec les producteurs d’Eureden, majoritairement concentrés en Bretagne. Depuis le début du mois de juin, la récolte de haricots, de haricots beurre, de petits pois, d’épinards, de flageolets ou encore de carottes a commencé, et s’étendra jusqu’à la mi-juillet. Les légumes seront ensuite lavés, puis conditionnés (surgelés ou appertisés) dans les quatre heures suivant la récolte, afin de « garder toutes leurs qualités nutritives et nutritionnelles ».
ENVIRONNEMENT ET AGROÉCOLOGIE
Le respect des saisons en production maraîchère est un moyen de prendre soin de notre alimentation, mais aussi de notre environnement. « Nous redécouvrons le rythme de la terre… et les aléas climatiques. En ce moment il y a un retard sur les petits pois, nous devons attendre dix jours de plus pour qu’ils soient récoltés. Les planifications sont remises en cause mais globalement nous arrivons à gérer », témoigne la responsable marketing de D’aucy food service. Depuis 2004, le groupe Bonduelle a lui créé la Fondation Louis Bonduelle pour soutenir le développement des connaissances sur l’alimentation et proposer « des actions concrètes sur la recherche et la promotion de l’alimentation végétale » , dont le respect des saisons. Bonduelle food service accompagne les restaurateurs via ses conseillers culinaires (d’anciens chefs), pour les aider dans l’élaboration de leurs cartes. Mais l’enseigne est engagée aussi dans une relation de long terme avec 1 600 agriculteurs en France. « Ces dernières années, ce qui a changé est l’agroécologie. Nous avons l’objectif de développer ces pratiques agricoles. Dans les Hauts-de-France, 1 100 agriculteurs sont passés au niveau 2 de la certification environnementale, soit tous nos agriculteurs sur ce bassin, livre Nicolas Dron. Nous recherchons à produire du local de saison avec des fermes pilotes. Ces mesures concernent la restauration collective – avec la loi Egalim – mais elles arrivent plus globalement pour répondre à un besoin en food service. »
« Aujourd’hui, on ne mange plus de dessert à la fraise ou de toma te en hiver. Les consommateurs attendent du local e t des légumes de saison. »
POUR LE GOÛT ET LA PLANÈTE
La question gustative des fruits et légumes n’est pas à négliger dans cet enjeu de la saisonnalité. Le respect des saisons a une incidence sur le produit, sa qualité et donc son goût. « Je ne peux pas cuisiner quelque chose qui n’a pas de goût. À travers la saisonnalité, on rééquilibre son panier et on revient à des produits qui ont du sens : c’est gagnant pour l’être humain et la planète qui nous nourrit », conçoit Antoine Yerochewski. À l’approche de la saison estivale, son approvisionnement biologique de laitues et de courgettes est amorcé, tout comme le fenouil, les choux et les carottes primeurs. Côté fruits, les tomates, les abricots et les pêches – en provenance du sud de la France – sont proposés à la vente dans sa boutique ou peuvent se retrouver cuisinés sur les tables de son restaurant. « La nature est bien faite. Selon la saisonnalité, chaque fruit et légume est fait pour nous. L’été, ils sont plus légers, tandis que durant l’hiver, ce sont des produits qui tiennent mieux au corps. »