Les commerçants de Notre-Dame de Paris accusent le coup
- Temps de lecture : 5 min
Plus d’un mois après l’incendie spectaculaire qui a embrasé Notre-Dame, les commerçants de l’île de la Cité sont touchés par un effondrement de leur activité. Quand certains restaurateurs font face à une forte diminution de leur chiffre d’affaires, d’autres commerçants n’ont plus la possibilité d’accueillir du public. Une situation difficilement tenable pour les trésoreries.
«C est un deuxième sinistre », résume, les bras baissés, l’un des deux associés de la brasserie Aux Tours de Notre-Dame. Depuis l’incendie de la cathédrale, cet établissement de la rue d’Arcole, situé à quelques mètres de l’édifice religieux, n’a plus la possibilité de recevoir des clients. Aux Tours de NotreDame est en effet positionné au milieu du périmètre de sécurité défini par la préfecture. Chacun des accès est obstrué par des barrières et des camions de police. Pour cette brasserie d’angle, c’est une catastrophe. La rue d’Arcole longe l’une des façades de NotreDame et permet de joindre la rive sud au parvis de l’Hôtel de Ville. La rue du Cloître-Notre-Dame, qui ceint la partie nord de l’édifice, est également interdite : les rues adjacentes sont donc en partie fermées. De même, la rue de la Cité est barrée à hauteur de place Louis-Delépine.
« L’activité de la cinquantaine de magasins, boutiques de souvenirs ou restaurants, est sinistrée. La rue du Cloître-Notre-Dame est totalement fermée, la rue du Marché-Neuf également. C’est assez incompréhensible, car il s’agit d’une zone située à 500 m de la cathédrale. Le préfet a mis en avant des raisons de sécurité, mais le périmètre est vaste, trop vaste. La rue d’Arcole, qui débouche sur le parvis, est barrée à une extrémité par des fourgonnettes et des barrières, ce qui est anxiogène pour la clientèle. Cette dernière ne consomme plus. Habituellement, les clients arrivent principalement à pied, par le métro Cité ou Saint-Michel, ou par le boulevard du Palais. La clientèle emprunte désormais le quai Saint-Michel ou le quai Montebello et on ne la voit plus à Notre-Dame », détail lent Mickaël Agay et Jean-Pierre Rollin, respectivement vice-président et trésorier de l’Association des commerçants de Notre-Dame.
Jean-Pierre Rollin, trésorier de l’Association des commerçants du quartier de Notre-Dame, et Mickaël Agay, vice-président.
Chute des chiffres d’affaires
Lorsque l’incendie s’est déclaré le 15 avril, c’était au début de la semaine sainte précédant le weekend de Pacques. Il s’agit de la période où les commerçants de l’île de la Cité réalisent le gros de leur activité, soit 30 % de leur chiffre d’affaires annuel. « Les trésoreries sont donc fragilisées. Rue d’Arcole, les baisses de chiffre d’affaires oscillent entre 60 % et 80 %. Les restaurateurs s’en sortent un peu mieux, mais la situation est très tendue pour certains vendeurs de souvenirs », explique Mickaël Agay. Au sein de l’association des commerçants, on dénombre une cinquantaine d’exploitants pour environ 200 salariés. « Concernant la rue du Cloître-Notre-Dame, il y aune douzaine de commerces ; cela équivaut à une centaine de salariés au chômage technique, dont près de 60 % en restauration », ajoute-t-il.
Au Bougnat, un bistrot traditionnel de la rue Chanoinesse, les habitués permettent de maintenir l’activité, mais on y enregistre une baisse d’au moins 50 % du chiffre d’affaires depuis la catastrophe (75 couverts par jour en moyenne contre une vingtaine aujourd’hui).
« Le 8 mai, nous n’avons réalisé queneuf couverts, se désole un membre de l’équipe. Il y a encore un peu de passage, mais les gens ne s’arrêtent pas. Ils viennent simplement photographier Notre-Dame. Nous avons le sentiment d’être en quarantaine trois ponts sont fermés sur les quatre de l’île de la Cité et, pour couronner le tout, la météo n’était pas de notre côté. Cette situation décourage les touristes comme les commerçants. En temps normal, notre clientèle est constituée pour moitié de touristes, mais dans l’état actuel des choses, ils ne peuvent même pas atteindre l’île en taxi », ajoute une employée.
Au Bougnat déplore une baisse de chiffre d’affaires avoisinant les 50 %.
Le gérant de L’Esméralda déplore lui aussi une érosion de son activité et, situation ubuesque, sa terrasse est partiellement condamnée.
Cette dernière a en effet perdu les trois quarts de sa surface, la faute au périmètre de sécurité qui empiète sur la devanture de l’établissement. L’Esméralda accuserait une baisse de chiffre d’affaires de près de 60 % car, même si la mairie a autorisé son gérant à agrandir sa terrasse de l’autre côté du péri mètre, là encore les clients sont aux abonnés absents.
Quelles perspectives ?
L’association des commerçants réclame un accès devant l’Hôtel-Dieu pour utiliser une partie du quai du Marché-Neuf et rejoindre la Sainte-Chapelle. « La préfecture doit sécuriser les lieux avec une palissade, entre la rue de la Cité et la rue d’Arcole. Cela devrait améliorer la situation », souffle-t-on. Seules les assurances peuvent aujourd’hui sortir les commerçants de cette bérézina. Le site n’a pas été officiellement déclaré zone sinistrée, un préalable pour faire jouer les assurances. « Beaucoup de commerces ont une garantie perte d’exploitation, mais ils sont aussi nombreux à ne pas l’avoir. Les procédures sont longues, mais les assurances devraient être compréhensives », espère Mickaël Agay. L’association des commerçants a demandé un gel des prélèvements des impôts et des charges sociales pour le deuxième trimestre. Elle souhaite aussi recevoir une indemnité forfaitaire de la part des pouvoirs publics, mais un rendez-vous prévu à Bercy a déjà été reporté.
La loi récemment votée à l’Assemblée nationale pour encadrer la reconstruction de Notre-Dame-de-Paris n’a pas intégré les problématiques des commerçants. En attendant, ces derniers redoutent le pire : « Si les travaux durent cinq ans, cela va être très dur ».