Les commerçants de Notre-Dame font le dos rond

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Sur l’île de la Cité, les patrons de CHR et autres vendeurs de souvenirs font toujours face à une érosion considérable de leur activité. Plusieurs mois après que les flammes ont embrasé Notre-Dame-de-Paris, les chiffres d’affaires sont toujours au plus bas. Pour faire face, les commerçants ont resserré les rangs et prennent leur mal en patience.

Depuis l’incendie de la cathédrale il y a près d’un an, les cafetiers et les vendeurs de souvenirs accusent toujours le coup. L’activité n’a pas redémarré, tandis que le flou règne quant à la réouverture du parvis de Notre-Dame. Déjà, plusieurs mois après la catastrophe, la brasserie Aux Tours de Notre-Dame (rue d’Arcole), située à quelques mètres de l’édifice religieux, n’avait plus la possibilité de recevoir des clients. Elle était en effet positionnée au milieu du périmètre de sécurité défi ni par la préfecture et ses accès étaient obstrués par des barrières ou des camions de police. Pour cette affaire d’angle, c’était la catastrophe : la rue d’Arcole longe l’une des façades de Notre-Dame et apporte un important flux de clientèle. Aujourd’hui, même si Aux Tours de Notre-Dame peut de nouveau accueillir touristes et habitués, son chiffre d’affaires a dévissé, plongeant de 60 %.

L’un des accès à la brasse Aux Tours de Notre-Dame est verrouillé par la police.


Pour d’autres patrons d’établissements, l’activité n’a tout bonnement pas redémarré depuis l’incendie de la cathédrale et beaucoup ont été contraints réduire la voilure. À l’échelle de l’Association des commerçants de Notre-Dame (une quarantaine de patrons), on parle d’une cinquantaine de licenciements. Au Tambour d’Arcole, établissement positionné quelques dizaines de mètres plus bas, l’un des salariés se désole de la situation. « Nous sommes à – 60 % de chiffre d’affaires par rapport à une période d’activité classique, dévoile-t-il. C’est une situation qui est difficilement tenable. Les aides financières notamment promises par la mairie ont mis du temps à arriver et les dossiers à composer pour être indemnisé sont interminables. C’est un casse-tête. Du côté du personnel, nous avons été contraints de resserrer les rangs. Il n’y a plus qu’un cuisinier ; quant à moi, je suis dorénavant tout seul en salle. Auparavant, nous étions trois serveurs et il y avait deux cuisiniers. »

Le patron d’Au Tambour d’Arcole accuse une perte
de 60 % de son chiffre d’affaires par rapport à la normale.


Lorsque l’incendie s’est déclaré, le 15  avril, il s’agissait de la période où les commerçants de l’île de la Cité réalisent le gros de leur activité, soit 30 % de leur chiffre d’affaires annuel. Depuis, les trésoreries sont encore mises à rude épreuve. Rue d’Arcole, les chutes de chiffre d’affaires ont parfois tutoyé les 80 %. « Les restaurateurs s’en sortent un peu mieux, mais la situation est très tendue pour d’autres commerçants », explique Mickaël Agay, de l’Association des commerçants de Notre-Dame. Car les CHR ne sont pas les seuls concernés. Pour les nombreux commerces de vendeurs de souvenirs qui émaillent les différentes rues autours de Notre-Dame, rien ne va plus. L’un d’entre eux témoigne : « Mon activité a chuté de 50 %. Je suis même tombé à – 70 %, quand le quartier était complètement verrouillé. Nous avons reçu une aide de la part de la mairie, mais dans mon cas et sur une période de six mois, cela ne représentait pas plus de 10 % de mon chiffre d’affaires. En temps normal, à cette période de l’année, je travaille avec quatre salariés. Aujourd’hui, je n’ai qu’une personne à mi-temps. C’est maintenant ma trésorerie qui paye mes charges. On nous parle de réouverture du parvis, mais on attend toujours. Et je dois dire qu’avec le coronavirus, la situation semble s’aggraver. Depuis les attentats, nous avons connu peu de répit. Avec les Gilets jaunes et les grèves, cela a été très dur. Je n’ai pas envie de perdre mon fonds de commerce, pour lequel je n’ai pas fini de payer mon crédit ; il s’agit d’une affaire familiale, que j’ai rachetée à ma grand-mère, j’ai appris à compter derrière la caisse… »


« Nous sommes dans l’incertitude »


Rares sont les exploitants qui sont parvenus à redresser la barre. Parmi ceux qui s’en sortent le mieux, on peut citer le patron de L’Esméralda, rue du Cloître-Notre-Dame. « Nous subissons aussi une érosion de notre chiffre d’affaires de l’ordre de – 30 % contre – 60 % après l’incendie. L’hiver a en plus été impacté par les mouvements sociaux. Nous sommes dans l’incertitude, même si mon établissement reste accessible et échappe aux barrages de la police. Malgré tout, les fermetures intempestives de la rue du Cloître coupent les flux de clientèle. Heureusement, je peux compter sur une clientèle d’habitués, mais j’ai dû me séparer d’un responsable, d’un cuisinier, d’un barman et d’un serveur, soit la moitié de l’équipe. J’assure moi-même les ouvertures et les fermetures et nous travaillons aujourd’hui à flux tendu : si l’établissement se remplit, il est très compliqué de pouvoir répondre au coup de feu », détaille-t-il.

L’exploitant de L’Esméralda s’est séparé d’un responsable, d’un cuisinier, d’un barman et d’un serveur.


Difficile de connaître précisément la durée des travaux ; les commerçants, qui se réunissent régulièrement pour parler d’une seule voix aux pouvoirs publics, parlent de cinq à dix ans. La situation est d’autant plus critique qu’avec cette baisse durable d’activité, la valeur des fonds de commerce est égale-ment impactée. Alors, les commerçants ont décidé « d’être patients et de faire le dos rond ». Pour les nombreux exploitants de la zone, il s’agit d’une période de crise « pour laquelle il est indispensable d’avoir de la trésorerie pour absorber l’onde de choc ». Ainsi, la patronne d’Au Bougnat, restaurant également situé sur l’île de la Cité, estime que la réouverture du parvis de la cathédrale est essentielle : « Tant que le parvis ne sera pas rouvert, nous ne reconnaîtrons pas la fréquentation. Cela se joue au niveau des conditions d’accès et de circulation. Parfois, les autorités ferment la rue du Cloître, parfois elles l’ouvrent… Nous disposons d’une clientèle d’habitués, mais l’activité est très irrégulière. »

La patronne d’Au Bougnat appelle de ses vœux la réouverture du parvis.


Pour faire face, les patrons ont d’ailleurs bénéficié d’un gel du droit de terrasse, pour l’année 2019, grâce à la mairie, mais ils ne savent pas quel traitement leur sera réservé en 2020, dans un contexte où les élections municipales arrivent à grands pas. Quant au parvis, la question de la pollution au plomb (qui serait toujours supérieur à la normale) apparaît comme centrale. Des opérations de nettoyage sont en cours, le but étant de recouvrir les parties du parvis toujours contaminées par des particules de plomb résiduelles : le plomb a pénétré les sols poreux, rendant difficile son extraction. 

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