Paris au secours des lieux festifs
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Engagée dans une politique qui mène la vie dure aux meublés touristiques et dans une logique de préservation de lieux emblématiques, la majorité d’Anne Hidalgo rachète tour à tour différentes adresses, à l’instar de la Flèche d’Or et, plus récemment, du Tango, dont l’activité nocturne sera maintenue. Pour ce dernier, la Ville a mis la main sur l’immeuble où elle entend aussi créer des logements sociaux.
Le Lavoir moderne (Paris 18e), Le Bataclan (Paris 11e), La Flèche d’Or (Paris 20e) et, plus récemment, Le Tango (Paris 3e)… Depuis quelques mois, face à la tension immobilière à Paris, les pouvoirs publics se sont lancés dans l’acquisition de diverses adresses mythiques.
Sur le papier, il s’agit d’empêcher que ces lieux soient dénaturés, transformés en supérette, et que les immeubles qui les abritent ne se muent en viviers de meublés touristiques.« À Paris, la pression foncière est très intense », résume Frédéric Hocquard, adjoint à la mairie de Paris en charge du Tourisme et de la Vie nocturne. Une pression dont les origines sont diverses.« Il y a Airbnb par exemple, si l’on considère la question du logement. Mais il y a aussi l’attractivité de Paris et la spéculation immobilière, qui engendrent notamment une hausse du prix du mètre carré. Par voie de conséquence, un certain nombre d’établissements (culturels, nocturnes ou événementiels) se retrouvent en difficulté ; ne pouvant faire face à la pression foncière, ils risquent ainsi de disparaître »,déroule Frédéric Hocquard.
Ce n’est pas un secret, la Ville de Paris, menée par Anne Hidalgo, entend préserver sa diversité créative, festive et culturelle.« C’est aussi une question de patrimoine », assure Frédéric Hocquard, prenant l’exemple récent du Tango. Dès 1725, l’adresse accueillait déjà un cabaret. Jusque dans les années 1980, on y trouvait aussi un bal musette auvergnat.
Le succès attire
Autant dire que ces lieux sont chargés d’histoire et de diversité. Dans le détail, la mairie de Paris s’est d’abord portée acquéreur du Lavoir moderne en 2020. Cet emplacement est devenu un théâtre en 1986. Il demeure, à ce jour, l’unique théâtre du quartier de la Goutte d’Or.« Concernant la Flèche d’Or, nous sommes en train de boucler l’achat. Mais nous avons entamé le dialogue avec le propriétaire des lieux ainsi qu’avec le collectif chargé de l’exploitation depuis plusieurs mois déjà »,détaille l’adjoint d’Anne Hidalgo.
Le Bataclan, qui appartient toujours au groupe Lagardère, est aussi en cours de rachat. Quant au Tango, célèbre établissement gay du Marais, le Conseil de Paris a validé son acquisition en novembre. C’est la première fois qu’une boîte de nuit, à Paris, passe sous gestion publique. Coût du rachat du fonds de commerce et de l’immeuble qui l’héberge : 7 M€, soit le prix du marché.
Des lieux chargés d’histoire
Outre l’ambition de sauver des lieux festifs en péril et de développer des logements sociaux, c’est sans doute le succès de la reprise du fonds de commerce de La Flèche d’Or qui a poussé le Conseil de Paris à entériner le rachat d’une boîte dans le Marais.
Cette ancienne gare de la petite ceinture parisienne, qui appartient à la SNCF, était squattée dès le début des années 1990. Ceux qui l’occupaient à l’époque l’ont alors transformée en café-concert. Au début des années 2000 et après une convention signée avec la SNCF, les exploitants font finalement faillite. C’est alors la chaîne Mama Shelter qui, après avoir ouvert un premier établissement en 2008 à Paris, décide de racheter La Flèche d’Or pour y créer le bar de leur hôtel voisin. Encore un échec.
Les lieux passent ensuite de main en main avant d’accueillir de nouveau des concerts au début des années 2010, sous l’égide d’Olivier Poubelle. Ne parvenant pas à rendre La Flèche d’Or rentable, l’homme envisage un temps de la vendre au groupe O’Sullivans. L’intention provoque une levée de boucliers dans le quartier, si bien que la transaction est annulée et que La Flèche d’Or fermera ses portes en 2016, avant d’être de nouveau squattée dès 2020.« À lamairie du 20e, nous avons lancé un appel à candidatures pour animer les lieux. 40 candidats se sont manifestés et le jury a retenu L’Union des collectifs qui exploite déjà La Villa Belleville[Paris 20e, NDLR]ou encore le Shakirail[Paris 18e, NDLR]», explique Frédéric Hocquard.
L’Union des collectifs rejointe par Le Cabaret Queer dans l’exploitation de La Flèche d’Or a ainsi développé divers ateliers, expositions et concerts en plus d’un restaurant et d’un bar associatifs.« Si la Ville avait réfléchi à un tel projet, je ne pense pas que nous aurions été aussi inventifs », confesse-t-il.
« Si la Ville avait réfléchi à un tel projet, je ne pense pas que nous aurions été aussi inventifs. »
Gestion publique
D’aucuns pourraient railler la gestion publique de tels établissements, prenant l’exemple du Café Fluctuat Nec Mergitur (qui trône sur la place de la République) de la Rotonde Stalingrad (Paris 19e), qui appartient à la mairie de Paris, mais dont l’exploitation a été confiée à Cultplace, groupe qui détient notamment La Bellevilloise (Paris 20e) ou Dock B (Pantin).
La Rotonde Stalingrad a longtemps fait figure de belle endormie malgré la gestion dynamique opérée par Cultplace dans ses autres établissements.« Aujourd’hui il y a du mieux, mais au début ça n’allait pas. J’y suis allé un soir vers 23 h. Il était impossible de dîner et on m’a fait comprendre qu’il fallait que je me presse pour boire un verre car la Rotonde allait bientôt fermer », se rappelle Frédéric Hocquard.
La donne a changé puisque les lieux ont aujourd’hui trouvé un second souffle avec l’organisation de soirées ou l’invitation de collectifs, etc. Dans cette période trouble, il est toutefois difficile de juger l’animation d’un lieu soumis aux contraintes sanitaires.
Ne pas se substituer au privé
Concernant le Café Fluctuat Nec Mergitur, il est géré par le groupe SOS. Victime d’un incendie qui a interrompu les services pendant de longs mois, l’établissement n’a pas bénéficié d’une exploitation à la hauteur de son potentiel.« Il faut peut-être que le groupe SOS adapte son projet avec la dimension agora que revêt la place de la République. En tant qu’adjoint à la Vie nocturne, j’estime que le café ferme assez tôt, parfois à 22 h, alors qu’il y a du monde et qu’il peut ouvrir jusqu’à 2 h »,glisse l’adjoint à la mairie de Paris.
« Nous ne rencontrons pas de difficultés puisque tous ces lieux fonctionnent. Il peut y avoir des trous d’air, mais cela marche très bien dans une période qui est pourtant difficile. Nous n’avons pas pour ambition de nous substituer au privé, nous voulons simplement conserver de la diversité », conclut Frédéric Hocquard.
Trois question à Ariel Weil, maire du secteur Paris Centre
Pourquoi avoir racheté le Tango et l'immeuble qui l'abrite ?
C’est un lieu mythique, même si nous n’avons pas vocation à racheter tous les lieux mythiques de Paris. Le Tango est emblématique de ce que nous voulions faire ; un endroit animé par diverses associations capables de proposer différentes activités. Il s’agissait aussi de préserver un lieu festif synonyme d’inclusion tout en achetant un immeuble permettant de développer des logements sociaux.
Comment se sont déroulées les tractations ?
Ce n’est pas une préemption mais un achat négocié. Dans le centre de Paris, nous devons continuer à créer du logement social tout en évitant que l’immeuble ne soit transformé en meublés touristiques. Pour évacuer les offres concurrentes, dont l’une aurait remplacé le Tango par un supermarché, j’ai passé beaucoup de temps à négocier et à dialoguer avec les potentiels acheteurs qui ont fini par se désister.
Des logements sociaux sont-ils compatibles avec une boîte de nuit ?
Il y aura huit logements sociaux dans l’immeuble et l’activité boîte de nuit ne se déroulera que le week-end. En semaine, on y trouvera un tiers lieu susceptible d’accueillir différentes associations. Avec nos bailleurs sociaux, nous disposons de rénovations de qualité et donc les travaux d’isolation devraient rendre l’habitation plus confortable demain qu’elle ne l’était hier.