Décryptage de la première victoire d’un restaurateur en appel contre AXA

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Un restaurateur marseillais qui avait déjà gagné un procès en première instance contre Axa au tribunal de commerce vient de voir ce verdict confirmé en appel. Une bonne nouvelle pour 18 000 professionnels dont le contrat de garanties de pertes d’exploitation prévoyait aussi une indemnisation en cas de fermeture.

Cours d'appel d'Aix-en-Provence
Cours d'appel d'Aix-en-Provence

La cour d’appel d’Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône) vient de condamner Axa à indemniser un restaurateur, Jean-Michel Alazard, propriétaire de la Bergerie de Mouriès dans les Alpilles pour ses pertes d’exploitation. En première instance, ce professionnel avait obtenu satisfaction de sa demande d’indemnisation devant le tribunal de commerce de Marseille, mais Axa avait interjeté appel. Le plaignant réclamait une indemnisation de 63 200 € sur trois périodes (1re obligation de fermeture nationale ; obligation de fermeture spécifique à Marseille et 2e obligation de fermeture nationale), sous réserve de droits ultérieurs au 31 décembre 2020. Le tribunal d’appel a confirmé les 23 000 € de provisions dont le versement avait déjà été ordonné en première instance. Il somme de surcroît à Axa de verser une deuxième provision de 27 000 €. La compagnie d’assurances doit également supporter les frais de justice du plaignant en lui versant 7 000 € en plus des 3 500 € déjà alloués par le tribunal de commerce de Marseille. Jean-Michel Alazard, défendu par maître Jean-Baptiste Tertian, disposait d’un contrat « agent » qui lui assurait une prise en charge en cas d’épidémie. Mais une clause du contrat retirait cette garantie si « au moins un autre établissement, quelles que soient sa nature et son activité, fait l’objet sur le même territoire départemental que celui de l’établissement assuré, d’une fermeture administrative pour une cause identique » . De nombreux restaurateurs contestent cette formulation ambiguë qui accorde une garantie pour la soustraire dans la ligne suivante.

L’enjeu financier est colossal pour l’assureur. 18 000 assurés détiendraient un contrat de ce type et peuvent ainsi prétendre à une indemnisation dans le cas où ils ont réalisé au préalable une déclaration de sinistre. L’assureur peut encore se pourvoir en cassation, ce qui repousserait la décision finale de 12 à 18 mois. Mais il peut aussi ouvrir les négociations comme il l’avait fait après le jugement favorable lié à Stéphane Manigold, concernant les contrats « courtiers ». À la suite de la décision de la cour d’Aix-en-Provence, Axa a ainsi indiqué à l’AFP qu’il « allait étudier attentivement les motivations de la décision. Nous rappelons que ce contrat fait l’objet de débats devant plusieurs autres juridictions d’appel de ce pays ».

Pour justifier cette clause sujette à caution, Axa explique qu’il entendait ainsi limiter sa couverture aux fermetures liées à des gastro-entérites, ou d’atteinte de légionellose ou de listériose. Apparenter ces infections à des épidémies peut toutefois prêter à confusion. Les services vétérinaires classent le plus souvent ces maladies sous le vocable de toxi-infections alimentaires collectives (Tiac). C’est d’ailleurs sous ce nom qu’elles font l’objet de surveillance par Santé publique France.

Un débat sémantique

Les dictionnaires sont également explicites. Pour Larousse, une épidémie implique le « développement et [la] propagation rapide d’une maladie contagieuse, le plus souvent d’origine infectieuse, dans une population » . Le Petit Robert définit pour sa part le terme comme « L’apparition d’un grand nombre de cas dans une région donnée ou dans une collectivité » . Cette idée de propagation rapide des cas ne saurait ainsi être compatible avec la restriction de la garantie à un seul restaurant par département. Maître Philippe Meilhac qui défend de nombreux restaurateurs dans ce contentieux affirmait ainsi dans nos colonnes il y a quelques mois : « Cette clause d’exclusion n’est pas légale, car pas claire. Dans une situation épidémique, il y a nécessairement plusieurs fermetures d’établissements. Ce qui compte, c’est ce que l’assuré comprend lorsqu’il signe. »

C’est ce débat sémantique qui se déroule devant les tribunaux de commerce depuis l’été dernier. Si dans un premier temps, Axa a bénéficié de plusieurs décisions favorables, le rythme de ses victoires s’est vite ralenti. Les juges n’ont tranché que 15 fois en sa faveur. En face, depuis le mois d’août, 38 jugements ont condamné Axa, dont 24 depuis le début de l’année. Ces dernières semaines, quelques décisions spectaculaires ont été rendues, notamment à Lille, le 11 février, où Franck Delvau, président de l’Umih Île-de-France, défendu par maître Philippe Meilhac, a obtenu 302 500 € de provision pour trois de ses restaurants et 9 000 € de frais de justice. Le 17 février, le tribunal de commerce d’Évry condamnait l’assureur à verser des provisions à six restaurateurs pour un total de 475 000 €.

Il faut aussi évoquer le cas de Strasbourg où un différend a été traité par un tribunal judiciaire (ex-tribunaux d’instance). Le jugement est plus subtil, mais globalement favorable au restaurateur puisque les juges estiment que la garantie ne joue pas, mais qu’en revanche, à travers sa formulation, Axa a manqué à son obligation de conseil envers son client et le condamne à indemniser le restaurateur à hauteur de 80 % de son préjudice. Globalement, le bilan des victoires d’Axa est bien maigre. Encore faut-il préciser que la seule fois où il a eu gain de cause à Paris, le 4 février, le contrat concernait un hammam qui développait parallèlement une petite activité secondaire restauration. La spécificité de ce dossier a pu pousser les juges parisiens à pencher en faveur de l’assureur alors que le même jour, ils donnaient raison à 4 restaurateurs dans un contentieux de même nature.

Cette accélération des prises de décisions des tribunaux favorables aux restaurateurs s’explique par l’attitude d’Axa, selon maître Meilhac : « En septembre, pour répondre à une injonction de clarification de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, Axa a envoyé aux détenteurs de ce contrat un avenant modifiant la clause, en retirant la garantie de fermeture pour épidémie avant de résilier ceux qui ne signaient pas. Il est apparu dès lors aux juges que l’assureur reconnaissait implicitement que la police en vigueur lors de la fermeture garantissait la perte d’exploitation. » C’est d’ailleurs ce qu’ont estimé plusieurs tribunaux, comme celui de Caen, parlant de « manœuvre » de la compagnie. La cour d’appel d’Aix est tout aussi explicite en retenant que : « Suite à l’épidémie dite Covid-19, le 28 octobre 2020, l’assureur Axa a proposé à son assuré un avenant définissant cette fois avec précision les termes “ épidémie ” et “ pandémie ” et excluant de la garantie les pertes d’exploitation consécutives à une épidémie et à une pandémie. C’est donc avec raison que les premiers juges ont estimé que la clause d’exclusion litigieuse ne satisfaisait pas aux conditions de l’article L 113-1 du code des assurances et qu’elle devait être réputée non écrite. » Les juges ont constaté par ailleurs l’absence de pièces produites par l’assureur démontrant l’existence d’un cas « où sa garantie aurait joué en cas d’épidémie » .

Vers la chambre cassation ou la négociation ?

Bien sûr, l’assureur n’a pas épuisé tous ses recours et peut encore se pourvoir en cassation. Avant cela, il faudra sans doute observer à Toulouse les résultats du procès en appel du célèbre chef Michel Sarran. Débouté en instance, c’est lui qui a interjeté appel. On se souvient que sur les contrats, « courtiers » , prévoyant une indemnisation en cas de fermeture administrative, Axa avait jeté l’éponge et ouvert la négociation après sa défaite en référé contre le restaurateur parisien, Stéphane Manigold. Mais, jusqu’à présent, sur les dossiers « agent », l’assureur ne semble pas décidé à transiger. Dans le premier cas, la facture était beaucoup moins lourde puisqu’elle ne concernait que 2 000 dossiers. Dans le différend juridique actuel, 18 000 dossiers sont impliqués. On comprend donc pourquoi Axa est tenté de jouer la montre. Comme le fait remarquer maître Meilhac, « cette attitude décourage un certain nombre de détenteurs de dossiers de réclamer leurs droits devant la justice. Pour l’instant, ceux qui sont allés devant les tribunaux représentent la face immergée de l’iceberg. Je crois que beaucoup attendent des décisions de justice pour se lancer dans une procédure ». L’avocat rappelle toutefois que cette attitude peut se révéler dangereuse. Même après un échec en appel, Axa a toujours le recours de se pourvoir en cassation, entraînant ainsi les restaurateurs plaignants dans un nouveau marathon judiciaire de 12 à 18 mois. D’ici à la décision de la Cour de cassation, il y a fort à parier que le délai de prescription de deux ans, inhérent à ce genre d’affaire, soit épuisé. Néanmoins, il n’est pas non plus impossible que l’assureur baisse la garde et ouvre les négociations. Si l’addition des sommes réclamées peut paraître énorme, elle reste tout à fait à la portée d’une entreprise de cette dimension. Au-delà de ses fonds propres, Axa joue aussi sa réputation dans cette affaire. Dans le secteur de l’hôtellerie restauration, l’attitude de cet assureur, mais aussi d’autres compagnies, a provoqué un ressentiment général dont pourraient profiter de plus petites structures, mais aussi les assureurs mutualistes.

Un nouveau contrat spécifique pour l’Umih

À l’Umih, un groupe de travail animé par Alain Grégoire, président de la région Auvergne–Rhône-Alpes au sein du syndicat, vient d’annoncer avoir mis en place à destination de ses adhérents « une offre d’assurance multirisque professionnelle fiable, à un prix attractif, avec des garanties répondant à l’ensemble des besoins de la profession ». Cette police est proposée par un courtier national, Verspieren et un courtier local, Astar, via l’assureur Mapa, afin d’offrir une couverture vraiment nationale. Cette offre 100 % digitale, avec un « suivi humain » comporte trois niveaux de garantie. Déjà, au mois de décembre, contestant l’attitude des assureurs envers la profession, l’Umih, associée au GNC et au GNI, avait proposé à ses adhérents un autre contrat multirisque négocié en commun avec Generali et Malakoff Médéric. « Ce nouveau contrat n’est pas destiné à contrer le premier, souligne Alain Grégoire, mais il est plus adapté à certaines entreprises comme les discothèques, les bowlings, les traiteurs. » Du reste, comme le premier, ce contrat ne couvre pas la pandémie. Aucun assureur en France ne souhaite s’aventurer sur ce terrain. « Comme Bercy n’a pas souhaité donner suite à une éventuelle garantie de l’État, l’idée a dû être abandonnée », déplore Alain Grégoire.

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