Gestion des déchets : un défi pour tous

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Considéré comme une obligation pour certains ou une démarche responsable pour d’autres, le tri des déchets représente un véritable challenge pour tous les acteurs des CHR. Afin de valoriser leurs résidus alimentaires, plusieurs entreprises accompagnent avec pédagogie les professionnels du secteur.

Les professionnels produisant plus de 10 tonnes de biodéchets (et 60 litres d'huile) par an sont dans l'obligation de les trier. Crédits : Moulinot.
Les professionnels produisant plus de 10 tonnes de biodéchets (et 60 litres d'huile) par an sont dans l'obligation de les trier. Crédits : Moulinot.

Le monde de la restauration est pleinement impliqué dans les questions environnementales. Alors que les terrasses chauffées sont vouées à disparaître à la fin de l’hiver prochain, la gestion des déchets représente une problématique qui concerne les CHR à plusieurs niveaux.

Alors que le tri sélectif est devenu une habitude pour des millions de Français, les restaurateurs doivent faire face à des volumes parfois très importants de cartons, de verres et surtout de biodéchets. Depuis la loi dite Grenelle II, de janvier 2016, les professionnels produisant plus de 10 tonnes de biodéchets (et 60 litres d’huile) par an sont dans l’obligation de les trier et« de les faire valoriser dans les filières adaptées ».

À partir du 1er janvier 2023, ce seuil sera fixé à 5 tonnes par an. Le développement du tri à la source des déchets organiques devrait même être généralisé à tous les producteurs de déchets en France d’ici à 2025. En restauration, cette gestion des déchets implique de nouvelles habitudes que tous les salariés, notamment en cuisine, devront adopter.

Former le personnel

Les biodéchets représentent souvent le premier gisement de détritus pour la plupart des restaurants.« Nous devons expliquer l’utilité de la double poubelle en plonge, et pourquoi nous devons mettre de côté les restes de nourriture. Nos équipes de cuisine ont des bio-seaux, qui sont vidés ensuite dans des grands bacs de biodéchets », témoigne Carine Legoux, directrice RSE de Bertrand Restauration.

Le personnel de la majorité des enseignes du groupe est aujourd’hui formé par Bionerval ou d’autres entreprises comme Les Alchimistes ou Moulinot. Pour faire comprendre à leurs équipes cette démarche permettant de « redonner une valeur aux déchets » , Bertrand Restauration a déployé récemment un programme d’e-learning.

Établissements gastronomiques : de bons élèves

Les professionnels de la restauration semblent davantage à l’écoute des problématiques environnementales, notamment au sein des établissements gastronomiques.« Nous avons du personnel ouvert à cette question. À Grand Cœur (Paris IVe ), nos poubelles classiques ont été réduites par trois. En triant les biodéchets et les emballages, il ne reste presque plus rien dans une poubelle standard », note Julien Fouin, entrepreneur depuis 12 ans dans la restauration.

Afin de faciliter ce travail de formation, différentes sociétés de collecte et de valorisation des biodéchets apportent leurs soutiens aux CHR.« Nous sommes réactifs aux besoins de nos clients, nous connaissons les contraintes des restaurateurs et comment accompagner le personnel de cuisine,relate Flore Desal, chargée de développement pour Les Alchimistes, spécialiste du compostage des biodéchets urbains à l’Île-Saint-Denis (Seine-Saint-Denis).Nous organisons des visitesde nos sites afin de faire comprendre l’utilité du tri. C’est une démarche directe : nous les sensibilisons en leur montrant la transformation des déchets alimentaires en compost. »

Valoriser les déchets

Après avoir été collectés, les biodéchets sont voués à être valorisés. Pour cela, ils peuvent faire l’objet de compostage – via un retour de la matière organique aux sols – ou de méthanisation, un processus de dégradation des matières permettant la production de biogaz. Mais la grande majorité des biodéchets ne sont pas encore valorisés en France. Ils sont le plus souvent brûlés ou enfouis.« Or l’incinération gaspille de l’énergie pour brûler des déchets constitués à 70 % d’eau ! Et l’enfouissement crée des poches de méthane, néfastes pour l’environnement », constate-t-on aux Alchimistes.

Également spécialiste du traitement des déchets alimentaires, Moulinot dispose d’une plateforme de tri, où leurs camions déchargent chacun jusqu’à 7,5 tonnes de déchets. Ces biodéchets seront hygiénisés, puis mélangés pour produire une soupe organique. « Cette soupe ira ensuite sur la plateforme de méthanisation, où nous les transformons en biogaz grâce à nos partenaires agriculteurs méthaniseurs », explique Caroline Hamel, chargée de communication de cette entreprise située à Stains (Seine-Saint-Denis).

Compostage et méthanisation

Moulinot pratique aussi – à hauteur de 20 % – la méthode du compostage à lombrics. Une méthode qui ne devrait pas être opposée à la méthanisation, selon Caroline Hamel :« Il y a un retour au sol avec la méthanisation. Le digestat qu’elle produit est un fertilisant sur lequel il y a un manque de visibilité. Je pense que ces deux moyens peuvent être complémentaires. »L’entreprise envisage d’ailleurs de créer sa propre station de biogaz afin d’alimenter sa flotte de camions.

Présents dans sept régions et un millier de points de collecte en France, Les Alchimistes recueillent des déchets alimentaires pour procéder, eux, uniquement au compostage.« Nous trions à nouveau les bacs. Les biodéchets sont ensuite broyés, puis mélangés à des copeaux de bois. Après deux mois en baies de maturation, la matière se dégrade et se transforme en compost,détaille Flore Desal.Les restaurateurs qui cuisinent avec des produits frais sont plus sensibles à cette question. Le cycle du retour à la terre leur paraît plus évident. »

Un coût et des manques structurels

La gestion des déchets, et plus précisément celle des biodéchets, représente des frais pour les restaurateurs, ce qui peut être perçu légitimement comme un paradoxe.« Il faut payer pour être écologiste, c’est absurde. Nous limitons la pollution et nous devons payer pour faire cela »,constate justement Julien Fouin, dont le restaurant Grand Cœur gère les biodéchets depuis plus de deux ans, alors qu’il n’est soustrait à aucune obligation pour l’instant.

Malgré les contraintes rencontrées, le propriétaire de six tables parisiennes envisage d’appliquer à terme le tri des déchets dans toutes ses enseignes. « Mieux vous triez, moins vous gaspillez et donc moins vous payez », assure une responsable des Alchimistes, partenaire du Grand Cœur. En fonction du nombre de collectes mensuelles, de la quantité et de la qualité des déchets, ainsi que du nombre de bacs nettoyés, le tarif des prestations proposées par l’entreprise d’utilité sociale sera dégressif. « Il y a une forte demande autour de la gestion des déchets, c’est un marché en croissance et les collectivités sont en retard. Il faut trouver des solutions et s’adapter à un accélérateur imminent », alerte Caroline Hamel.

Un surcoût de 0,15 %

La responsable de Moulinot observe d’un bon œil malgré tout le travail réalisé par la Métropole du Grand Lyon et concède que celle« de Grenoble est en avance ». Le tri des déchets fait donc face à différents freins, entre autres financiers. Ils représentent« un surcoût d’environ 0,15 % du chiffre d’affaires pour un restaurateur »,remarque Carine Legoux, à la direction RSE de Bertrand Restauration. Ces freins peuvent aussi être d’ordre architectural : un manque de place dans certaines vieilles brasseries ou un local poubelles exiguë partagé avec une copropriété.

Outre les biodéchets, certaines collectivités ne ramassent pas le verre(lire encadré), ni le carton : «Nous devons donc passer par des prestataires privés comme Suez ou Veolia »,ajoute Carine Legoux. Des groupes comme Veolia ou Saria procèdent également à la collecte des huiles alimentaires, afin de les transformer en biocarburant. Un procédé qui permet de réduire les émissions de gaz à eff et de serre. Une chose est sûre, si la gestion des déchets est un défi pour les restaurateurs, elle se révèle vitale pour notre environnement.

Verre : la consigne ou le recyclage

À Paris, les CHR sont responsables de l’élimination de leurs emballages en verre. « Nous avons essentiellement des bouteilles consignées pour l’eau et nos softs, nous travaillons notamment avec Danone et Nestlé Waters. Concernant le vin, toutes nos bouteilles sont détruites comme pour les particuliers », confie Carine Legoux, directrice de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) Bertrand Restauration. La ville de Paris propose un service payant de collecte des déchets assimilables aux ordures ménagères. Si la couleur des bacs est différente de celle des particuliers, les couvercles blancs destinés aux bouteilles, bocaux et pots de verre sont identiques. Les professionnels peuvent s’orienter aussi « vers une collecte privée pour assurer le recyclage », précise la mairie de Paris, assurant que « le verre est un matériau d’emballage recyclable à 100 % et à l’infini ».

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