Les controverses de la réforme

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La situation est en train d’évoluer pour les cafés. Pour la première fois depuis 1941, le Gouvernement accepterait de recréer des licences IV en milieu rural. Mais parallèlement, dans le cadre de la réforme du Code des débits de boissons, il est aujourd’hui question de transférer le pouvoir de fermeture du préfet vers le maire.

Depuis une dizaine d’années, les pouvoirs publics ont évolué dans leur manière de considérer les cafés. Ils sont progressivement passés d’un a priori négatif à un soutien actif de l’activité, notamment en zone rurale, où ces établissements disparaissent les uns après les autres. Force est de constater que la disparition du café du village est dommageable. Ces établissements créent non seulement un lien social, mais ils maintiennent également un service aux populations. Nombreux sont les maires qui, aujourd’hui, rachètent la dernière licence IV de leur village et aident des professionnels à s’installer.

Mis en place en 1941 pour réduire le nombre de débits de boissons présents en France, le système des licences a largement érodé le parc de cafés dans l’Hexagone. On comptait encore 200 000 licences IV en 1960 ; il en resterait moins de 40 000 aujourd’hui. Dans un pays qui a une vocation touristique, il est temps d’inverser la tendance du déclin des licences et il faut reconnaître que les gouvernements qui se sont succédé ces dernières années se sont employés à assouplir la législation. Ainsi en 2016, la date de péremption d’une licence IV non exploitée a été étendue à cinq ans, contre trois ans précédemment. Enfin, la limite de transfert d’une licence est passée de l’échelle départementale à l’échelle régionale. Cette mesure, désirée par les professionnels à l’époque où la France comptait 22 régions, est aujourd’hui contestée par les syndicats, qui en ont constaté les effets pervers sur le terrain. « On observe par exemple que la Creuse se vide de ses licences au profit de Biarritz ou de Bordeaux, qui cohabitent désormais dans la même grande région Nouvelle-Aquitaine », fait observer Laurent Lutse, président de la branche cafés, brasseries et établissements de nuit de l’Umih.

1 000 LICENCES IV

À la faveur du toilettage du Code des débits de boissons que prépare actuellement le Gouvernement, il est probable que la limite de transfert revienne à une dimension départementale. D’autres avancées devraient également avoir lieu. Le 20 septembre dernier, Édouard Philippe a annoncé son intention de recréer de nouvelles licences IV en milieu rural. Il reprend en cela la proposition de créer 1 000 cafés en milieu rural formulée par le groupe SOS présidé par Jean-Marc Borello. Cette disposition serait étroitement encadrée. Elle ne concernerait que les localités de moins de 3 500 habitants et les responsables syndicaux comme Marcel Bénezet, président de la branche cafés du GNI Île-de-France, souhaiteraient que ces nouvelles licences ne puissent être cessibles que dans la commune où elles ont été créées. Car si les syndicats professionnels appellent de leurs vœux un assouplissement du système, ils restent par ailleurs attachés à préserver la valeur marchande des licences existantes. Un autre dispositif gouvernemental pourrait s’appliquer à ces nouvelles licences. Les maires pourront faire bénéficier les exploitants d’une exonération de fiscalité locale. Celle-ci serait compensée par l’État au niveau de la commune à hauteur de 33 %.

Naturellement, ces mesures libérales sont appréciées par les professionnels. En revanche, des tensions apparaissent sur d’autres sujets liés au Code des débits de boissons. Le jour même où le Premier ministre annonçait la décision « historique » de permettre la création de nouvelles licences IV, le quotidien Libération publiait une pétition signée par l’ancien ministre, Jack Lang, par de nombreux exploitants et artistes parisiens, ainsi que par des responsables de syndicats professionnels comme le GNI ou l’Umih. Les signataires protestaient contre la fermeture administrative d’un mois infligée au club parisien Dehors Brut, à la suite de la mort d’un jeune homme par overdose. Le texte rappelait que « la structure avait mis en place un encadrement allant bien au-delà des obligations légales » et dénonçait « le caractère contre-productif, injuste et dommageable à tout le secteur de ces fermetures ».

Les protestataires comparaient « la fermeture d’un établissement exemplaire » à une « roulette russe qui accable ce secteur » et ajoutaient : « Ce système de la fermeture administrative extrajudiciaire est une exception française. Plus aucun pays européen ne ferme un établissement sans jugement. »



LE TRANSFERT DES POUVOIRS DE FERMETURE AUX MAIRES NE PASSE PAS

Cette question de la fermeture est précisément abordée dans l’article 13 de la loi sur l’engagement de proximité des élus défendue par Sébastien Lecornu, ministre chargé des Collectivités territoriales, et est actuellement examinée par le Parlement. Ce texte prévoit précisément le transfert du pouvoir de sanction actuellement exercé par les préfets vers les maires. Cette éventualité suscite un tollé au sein des organisations professionnelles, à commencer par Laurent Lutse, qui vitupère : « Nous demandons la suppression du pouvoir de fermeture des préfets, ce n’est pas pour le donner au maire. »

Au GNI, Pascal Pélissier, président national des cafés, et Marcel Bénezet s’accordent pour contester cette mesure. Selon eux, les maires, personnages politiques, pourraient abuser de ce pouvoir au plan local. « Il en résulterait une rupture de l’égalité de traitement, ce serait le fait du prince », insiste Pascal Pélissier. Pour Marcel Bénezet, il ne faut pas attendre plus de clémence de la part d’un maire que d’un préfet : « Lorsque je défends des adhérents, il m’est souvent arrivé d’obtenir du préfet un simple avertissement, alors que les maires d’arrondissements réclamaient une fermeture. » Pour le responsable syndical, au moins, le préfet ne risque pas d’être juge et partie. A priori, le Sénat qui examine la loi devrait valider cet article, qui renforce le pouvoir des maires. Marcel Bénezet mise plutôt sur l’Assemblée nationale pour faire barrage au texte. Laurent Lutse, à l’Umih, est aussi de cet avis. Il dispose d’ailleurs au palais Bourbon d’un avocat de choix, en la personne de Christophe Blanchet. Ce député LREM du Calvados est un ancien adhérent de l’Umih et présidait auparavant la branche discothèques de ce même département. L’élu a déjà déposé 21 amendements autour de l’article 13 et déclarait récemment au quotidien Paris-Normandie : « On va au-devant de problèmes dans le temps et il faut protéger les élus des recours qu’il pourrait y avoir. »

Quoiqu’il arrive, les mois qui viennent vont être cruciaux pour l’avenir de la profession de cafetier. Depuis plus d’un an, un groupe de travail interministériel a été constitué, pour travailler sur une nouvelle réforme du Code des débits de boissons. Il a été piloté par la Mildeca (Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives) et ses travaux, établis après une large concertation, inspirent la réforme actuellement en cours. Elle devrait aboutir à travers plusieurs textes de loi et décrets qui interviendront entre la fin 2019 et le début 2020.

210

C’est le nombre de fermetures administratives temporaires de plus de 15 jours à Paris en 2017

Soit 17,15 % de hausse par rapport à 2016

A savoir

Évolution du nombre des licences IV en France :

1960 : 200 000

2019 : 40 000

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