La Botte s’impose dans l’assiette

  • Temps de lecture : 7 min

Est-ce grâce à ses 294 produits alimentaires certifiés que l’Italie est devenue un incontournable des estomacs français ? Ou grâce à l’appétence de nos concitoyens pour la pizza et la pasta? En tout cas, chaque année, la part des produits alimentaires de la Botte importés en France grossit (+ 8,5 % entre 2016 et 2017) et finit par séduire toutes les restaurations.

Si on parle souvent de vague (ou vogue) italienne qui déferle en ce moment sur les restaurants de France, il serait en fait plus approprié de parler d’une marée, aujourd’hui à fort coefficient. Car la cuisine italienne a traversé les frontières depuis déjà plusieurs siècles, apportant en France asperge, artichaut et chou-fleur. Mais les premiers restaurants italiens ne feront leur apparition qu’à partir de 1945, surtout dans la capitale. Ils sont alors tenus exclusivement par des Italiens et servent principalement… des Italiens venus y retrouver le goût de leur pays. « Quand cette restauration s’est un peu plus structurée, les Français sont venus y dîner, relate Stéphane Audrain, directeur général de Carniato. Depuis les années 1980, des non Italiens (Français, Indiens, Sri Lankais) s’y sont intéressés. Soit ce sont des entrepreneurs qui se lancent en voyant que ça marche, soit ce sont des ex-employés de restaurateurs italiens. » Mais tout n’a pas été facile en France pour la cuisine transalpine. « Avant, les Français se rendaient dans les restaurants traditionnels italiens ou les pizzerias  pour changer de l’ordinaire, explique Alexandra Ollivier, experte métier client chez Metro France. Mais avec la diversification de la restauration entamée voilà vingt ans – et qui s’ac- célère depuis cinq ans – les Italiens ont dû évoluer car ils ont perdu ce rôle exotique. Ils sont aujourd’hui concurrencés par le Japon, l’Amérique du Sud, l’Asie du Sud-Est… » 

La farine Caputo est une des nouveautés référencée par Metro France.

La riposte


La restauration italienne a donc riposté. D’abord en retravaillant son concept. « Avant, les émigrants faisaient la pasta de la mamma ou de la nonna, avec trois tables, sourit Alexandra Ollivier. Maintenant, c’est du marketing pur et dur. Les nouveaux entrants du marché s’assoient et réfléchissent. Ils ont de l’argent et savent communiquer. Chez Big Mamma, qui sont les plus visibles, ou Professore, tout est pensé, du look des serveurs à l’ambiance musicale en passant par la carte des cocktails et surtout les ingrédients italiens. » Des ingrédients qui sont sans aucun doute le nerf de la guerre, car les restaurateurs les mettent en avant et tentent de se différencier par leur qualité. Ainsi que le rappelle Stéphane Audrain, « en schématisant, la cuisine française se base sur des recettes, alors que la cuisine italienne se base sur des produits. Ce focus sur le produit explique l’importance de la filière amont ». Pour Carniato, cela se traduit par un catalogue de 2500 produits de 120 fournisseurs, et l’arrivée de 100 à 150 nouveautés par an. Chez Passion Froid, ce sont 300 références qui sont présentées dans le nouveau catalogue « Solutions Italie ». Metro France a développé  des gammes très larges, avec plus de 50 mozzarellas – dont 15 burratas – ou encore quatre gammes de farines à pizza italienne. 

Les pâtes fraîches de Carniato, vendues sous la marque A’pasta, sont produites à Bonneuil-sur-Marne avec des ingrédients italiens. 

Ce format 500 g de billes de mozzarella a été lancé en 2017 par Galbani, pour une utilisation en salade.

L’exemple par le fromage

Tous ces efforts des distributeurs s’expliquent par le fait que les clients finaux sont de plus en plus experts. « Ils voyagent plus qu’avant, rappelle Justine Barbre, chef de produit pour Galbani. Ils sont devenus plus exigeants, notamment sur la pizza, en se rendant compte que celles vendues en Italie étaient très différentes. » Les nouveaux produits permettent de répondre à une demande d’authenticité. Ainsi, en 2014, Galbani a sorti la mozzarella Perfetta. « Perfetta a été développé pour réaliser une pizza ressemblant à ce qui se fait en Italie, en observant les critères de choix des clients, explique Justine Barbre. C’est-à-dire une pâte avec peu d’ingrédients, mais pas n’importe lesquels : la mozzarella bien blanche, la feuille de basilic à la fin… » La premiumisation s’incarne également dans d’autres facteurs, tels que le bio, les labels, le local… qui sont désormais une vraie demande des clients finaux, quel que soit le type de restauration. « Le bio est une attente forte des Français, que ce soit dans les linéaires de Franprix ou dans la restauration, confirme Stéphane Audrain. Nous n’avions aucune référence en bio il y a quatre ans, nous en avons désormais environ 200. » Parmi les nouveautés Carniato figure une gamme de mozzarrellas et de burratas bio, alors que Galbani vient également de lancer une mozzarella bio. Pour ce qui est des labels, les restaurateurs ont l’embarras du choix, car l’Italie est le premier pays européen en nombre de produits AOP, IGP et STG (spécialité traditionnelle garantie). Même le local, aussi contradictoire que cela paraisse, pourrait devenir un critère de qualité des produits « italiens ». Si Carniato fabrique déjà en France sa gamme de pâtes fraîches, pour le futur Stéphane Audrain imagine développer des plats préparés de haute qualité. 

La conquête

Petit à petit, même les chefs français intègrent des produits transalpins dans leur cuisine. Ainsi, Stéphane Audrain a délégué deux de ses vendeurs à la seule restauration française (c’est-à-dire qui ne propose pas ou pas uniquement des spécialités italiennes) dans la région parisienne. « Les produits italiens sont simples, très liés au territoire et à une cuisine de tradition, explique Maria Gisella De Pace, directrice adjointe du bureau parisien de l’ICE (agence italienne pour le commerce extérieur). Il s’agit de produits qui sont de plus en plus recherchés par les consommateurs français. En plus, les produits italiens s’intègrent très bien aux différentes cuisines, en particulier à la cuisine française. » Ce sont tous les secteurs qui sont impactés, de la haute gastronomie à la restauration collective en passant par les fast-foods. Déjà en 2015, Galbani travaillait avec la chaîne McDonald’s sur le développement de billes de mozzarella. « Le secteur du snacking est également touché par la vague italienne, souligne Justine Barbre. En 2017, Galbani a fait + 15 % de ventes (en volume) sur le segment boulangerie-pâtisserie, avec une montée en gamme, et sûrement une diversification de l’offre au-delà des sandwichs, avec des salades par exemple. » Dont la célèbre caprese, plus connue sous la dénomination tomate-mozza, qui est devenue un must have des chaînes de restauration au même titre que le risotto, le tiramisu ou la panna cotta. Ce ne sont donc plus seulement des produits mais des recettes qui viennent affronter la gastronomie française sur son propre terrain. Parfois, l’Italie l’emporte…

Le tiramisu trois biscuits Savoiardi est une nouveauté de PassionFroid, qui met la cuisine transalpine en avant avec les 300 références de son nouveau catalogue « Solutions Italie ».

Le jambon San Daniele, commercialisé par Carniato, est une des charcuteries italiennes préférées des Français.

La mozzarella Perfetta en gros brins reste bien blanche, même cuite au four à bois.

Les produits préférés des Français

8,4 %, c’est l’augmentation en valeur des importations en France de produits alimentaires italiens, qui est largement supérieure à celle des importations totales de produits alimentaires (+ 5,6 %). « Si on analyse les données, on voit que les catégories de produits les plus importés restent les mêmes : pâtes, produits laitiers, boissons, conserves, produits de pâtisserie… soulève Maria Gisella De Pace, directrice générale du bureau parisien de l’ICE (agence italienne pour le commerce extérieur). Certaines catégories progressent plus que d’autres, comme les produits laitiers dont les importations ont augmenté de 11,9 % en 2017, surtout grâce aux fromages, qui ont progressé de 12,8 %. » Une success-story fromagère confirmée par Stéphane Audrain de Carniato, qui observe toujours avec stupéfaction, le succès croissant des fromages frais : « Burrata et buffala réunies font 8 % de nos ventes. Un vrai phénomène! » Les fruits sont également plébiscités, avec une hausse des importations de 8,3 %, ainsi que les pâtes (+ 6,2 %). Des chiffres à nouveau validés par les observations de Stéphane Audrain, qui se réjouit particulièrement du succès de ses 52 références de pâtes fraîches, sans compter la série limitée lancée à chaque saison – cet hiver au foie gras. Dernière catégorie qui semble à la mode : les produits de boulangerie, pâtisserie et biscuiterie, « qui ont eu une hausse exceptionnelle de 28 % en 2017 », relève Maria Gisella De Pace. Parmi ces produits, le panettone de Noël, qui se développe énormément depuis dix ans et dont Carniato était au commencement le seul distributeur à en proposer. Sans oublier la focaccia, qui profite des nouveaux modes de consommation, notamment la vente à emporter. La piadina n’arrive pas à prendre, au regret de Stéphane Audrain : « Parfois on est prêt trop tôt pour le marché, et il faut attendre. Les premières années (à partir de 1955, NDLR), on jetait bien des seaux de burrata. »

PARTAGER