Un impact durable sur l’économie touristique

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Le mouvement des gilets jaunes et la casse qui l’accompagne sévissent depuis un mois. Le week-end dernier s’est déroulé l’acte IV, soit la quatrième semaine de mobilisation. Les manifestants ont de nouveau battu le pavé et, là encore, de nombreux commerces ont été pris pour cible. Des établissements ont subi des dégradations, d’autres ont été vandalisés. Au-delà de la casse et de ses effets à court terme, c’est l’industrie du tourisme dans son intégralité qui devrait subir un long passage à vide alors que tous les voyants étaient au vert.

Plus rien… Tout est mort… Le bar est en partie arraché. C’est juste casser pour casser, c’est gratos. Qu’est-ce que je vais faire maintenant? C’est ça la question », explique l’Auvergnat Fabrice Pesteil, les yeux humides, dans son établissement acheté à crédit pour deux millions d’euros il y a sept ans. Le patron de 52 ans, qui gère aux côtés de son épouse Nathalie le 16 Café, avenue de la Grande-Armée (Paris 16e), était déjà consterné en découvrant son établissement saccagé au lendemain du troisième acte, le 2 décembre. Comme d’autres professionnels, Fabrice Pesteil a payé un lourd tribut aux revendications des gilets jaunes, bien qu’il s’agisse de l’œuvre d’une minorité de casseurs plus animée par la soif de destruction que par les revendications sociales. À quelques mètres de là, c’est la Belle Armée, l’une des brasseries des frères Costes, qui a été détruite et incendiée. D’autres établissements, à l’instar du Publicis Drugstore, ont également été pris pour cible. Le coût des dégâts est parfois considérable. Lionel Guglieri, responsable de la brasserie L’Alsace, sur les Champs-Élysées, déplorait quant à lui pas moins de 40000 euros de dégradation pour la seule terrasse de l’établissement.

Face à cette catastrophe, les syndicats de la profession, GNI et Umih en tête, ont rencontré les pouvoirs publics pour obtenir des garanties et faire face aux coûts engendrés par la perte d’exploitation et la casse. Bruno Le Maire, ministre de l’Économie et des Finances, a ainsi reçu le 3 décembre les représentants des organisations professionnelles pour réaliser une évaluation des conséquences économiques du mouvement des gilets jaunes sur l’ensemble du territoire. À cette occasion, le ministre a confirmé que six mesures concrètes d’accompagnement pour les professionnels touchés étaient opérationnelles. Étalement des échéances fiscales et sociales, indemnisations au titre de la garantie pertes d’exploitation, facilité en cas de dépassement de découvert : ces dispositions concernent les artisans, les commerçants et plus largement les entreprises qui ont subi une baisse de chiffre d’affaires consécutive au mouvement des gilets jaunes (voir encadré). « Au 16 Café, le patron avait réalisé des travaux il y a an.

Il avait lourdement investi. Il va être privé d’activité pendant près de trois mois » déplore Marcel Benezet, président des cafés, bars et brasseries au Synhorcat (GNI). Le 8 décembre, lors de l’acte IV, les professionnels du CHR ont préféré ne pas prendre de risque. Çà et là, on a vu des barrières pousser et de véritables châteaux forts s’ériger. Pour éviter de nouvelles dégradations, les patrons ont en effet préféré barricader leurs établissements à l’aide de volumineux panneaux de bois. Dès le 6 décembre, la préfecture de police, dans un courrier adressé aux commerçants des avenues Marceau, d’Iéna, Kléber, Victor-Hugo, Foch, Grande-Armée, Carnot, Wagram, Mac Mahon, Friedland et Ternes (mais aussi de la Porte Maillot) les a exhortés à « protéger leurs commerces contre d’éventuelles dégradations en apposant des panneaux de protection sur les vitres et en retirant les étalages, terrasses, contre-terrasses, véhicules ainsi que tous les objets vulnérables ».

Malgré tout, les rassemblements du 8 décembre, bien qu’ils aient bénéficié d’un meilleur encadrement de la part du gouvernement, ont de nouveau apporté leur lot de dégradations. Des vitrines ont été une fois de plus caillassées, et certains manifestants ont tenté, en vain, d’incendier le Publicis Drugstore. Bilan des courses : 125 blessés à Paris.

« Sévère et continu »

« Je vous disais la semaine dernière que l’impact sur l’économie française serait sévère, je vous dis aujourd’hui que l’impact est sévère et continu », selon le ministre de l’Économie, s’appuyant sur des données fournies par les syndicats (GNC, Umih, GNI), les baisses de chiffre d’affaires selon les secteurs sont de l’ordre de 15 à 25 %. Dans la restauration, elles sont parfois plus importantes, allant jusqu’à 50 % selon les lieux. La baisse concerne également les réservations hôtelières, qui ont fortement chuté. « Les palaces et autres hôtels de luxe ont subi des annulations, notamment de la part des clientèles américaines et asiatiques. Le 2 décembre, j’ai rencontré Emmanuel Macron qui s’est rendu au Copernic [l’un des établissements visés le 1er décembre, NDLR], puis nous avons descendu l’avenue Kléber. J’ai vu un Président attristé, meurtri et peiné, alors qu’il souhaitait redresser notre pays », poursuit Marcel Benezet. De son côté, Jean-Virgile Crance, le président du GNC, s’attend lui aussi à des effets néfastes pour l’industrie hôtelière et le tourisme en général qui, tient-il à souligner, représente quasiment 8 % de notre PIB. « Il y a trois phénomènes.

Le premier, ce sont les annulations qui représentent une perte de chiffre d’affaires comprise entre – 20 % et – 50 %. Le deuxième, c’est le coût d’arrêt sur les montées en charge des réservations : il y a un fort ralentissement avec un volume de réservations anormalement bas alors que nous avions repris des couleurs en termes de taux d’occupation et de prix moyens. Enfin, le troisième phénomène est celui du coût que cela va représenter touristiquement pour la destination Paris. Il a fallu faire beaucoup d’efforts pour attirer les touristes après les attentats. Là, tout est balayé, et plus ça va durer, plus l’impact sera fort », détaille-t-il.

Reste à savoir quelle sera l’ampleur du cinquième acte. Les mesures de sécurité prises par les professionnels devraient se pour- suivre, mais elles représentent des coûts très importants. Certains hôtels et brasseries ont embauché temporairement du personnel de sécurité, dans le but de protéger les salariés comme les clients. Car l’activité hôtelière liée à la clientèle d’affaires est également très touchée. Jean- Virgile Crance confie qu’une très grande entreprise a finalement décidé d’organiser son congrès annuel en Espagne à la suite des incidents survenus à Paris.

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