Food court : un modèle qui n’échappe pas à la crise

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Les établissements tels qu’Eataly, La Felicità (Big Mamma), Ground Control ou encore Food Society (Moma Group) subissent eux aussi la désaffectation du public, à l’heure du couvre-feu.

Food Court
Food Court

On pourrait penser que les milliers de mètres carrés dont disposent les food courts constituent un atout déterminant pour accueillir du public à l’heure de la distanciation sociale. Il n’en est rien. Alors que la restauration affiche en moyenne une activité en baisse de 50 % à 70 % à Paris et en Île-de-France, les food courts sont logés à la même enseigne et subissent la désaffection du public, tandis que le couvre-feu confine le consommateur chez lui dès 21 h. Difficile, dans ces conditions, d’assurer une bonne fréquentation et donc la rentabilité de ce type de lieu, malgré les masques et le gel hydroalcoolique.

Un concept qui émerge dans les années 60 aux États-Unis

« Le phénomène des food courts est moins récent qu’il n’y paraît. On les trouve dans la gares et les aéroports depuis les années 1980 en France. Il s’agit, concrètement, de lieux physiques comportant des tables communes, des kiosques, où l’on peut découvrir tout type de cuisine ; en version fa st food mais plus diversifié », retrace Dan Cebula, dirigeant fondateur de l’agence Depur Experiences. Si leur arrivée en France est plus tardive, on trouvait déjà des food courts dans les années 1960 aux États-Unis et surtout en Asie. « Depuis six à sept ans environ, on assiste à la structuration, en France, de ces food courts ou halles alimentaires. Aujourd’hui, ce genre de projet fait partie intégrante de tous les programmes de rénovations immobilières », ajoute Dan Cebula. Ce dernier explique ainsi que les appels d’offres pour les différents chantiers du Grand Paris intègrent ces nouveaux lieux de consommation. Un phénomène que l’on retrouve aussi dans les métropoles régionales comme Lyon, Lille ou encore Bordeaux.

Une aubaine pour les commerçants et les restaurateurs

Les promoteurs de ce type de lieux ont développé, au pays de la gastronomie, des food courts s’apparentant davantage à des halles alimentaires : « Il s’agit de créer un esprit “ marché ” un peu festif où l’on trouve également des animations et des divertissements. » Ce modèle est notamment porté par la société Biltoki, qui a vu le jour à Anglet et a poussé à son paroxysme le concept de marché, mais en y ajoutant des lieux de consommation, avec un bar central notamment. « Les food courts sont en quelque sorte la conséquence de ce que l’on prône depuis vingt ans : le retour aux sources, aux producteurs, au made in France, à la traçabilité et l’authentique », égrène Dan Cebula. Une aubaine pour les commerçants et les restaurateurs, qui sont au centre de ces espaces.

La Felicità, « le plus grand restaurant d’Europe », a trouvé refuge au sein de la Station F., à Paris

À Paris, les enseignes comme La Felicità (un food court lancé par le groupe Big Mamma connu pour ses trattorias géantes que constituent Popolare ou Pink Mamma) ou Ground Control sont les chefs de file du mouvement food court. Outre La Felicità qui a développé une offre de restauration et de cocktails indexée sur ses propositions culinaires habituelles, les food courts attirent bien souvent des enseignes de street food haut de gamme ou des jeunes chefs ayant le vent en poupe, à l’instar d’Alexia Duchêne qui a animé l’été dernier le Wanderlust Street Food. « Mais les food courts ne sont pas pour autant réservés à la street food. Récemment, le food truck du Bouillon Pigalle a démontré que l’on pouvait servir dans une barquette un bœuf bourguignon. Les clefs du succès pour les restaurateurs résident bien sûr dans la force de leur enseigne mais aussi des packaging », commente le créateur de Depur Experiences.

Les cantines d’entreprises chahutées

À l’heure où la crise sanitaire bouscule les pratiques de consommation et accélère le développement du télétravail, les restaurants d’entreprises tentent de se réinventer en misant sur le food court. « Elior, Sodexo ou Compass sont entrain de voler en éclats et ne sont plus des opérateurs de restauration collective, mais de restauration commerciale. Ils peinent à opérer et ont donc repris les codes de la restauration commerciale en termes d’équipements, de scénographie ou d’hospitalité. Avec nos clients, des foncières de bureaux, nous créons des espaces qui n’ont rien à envier à un food market. Ces mêmes clients ne font désormais plus appel à des géants de la restauration collective, mais à des acteurs de la restauration commerciale », assure-t-il.

Ainsi, à Paris, le coût d’un repas par salarié oscille entre 7 € et 8 € pour les entreprises ; un montant trop élevé qui incite ces dernières à des solutions de restauration traditionnelles en entreprise. Les restaurants interentreprises deviennent petit à petit les nouveaux terrains où se développeront les food courts de demain « avec des opérateurs comme Big Mamma ou Frichti », dont les marques sont devenues des gages de rentabilité.

Dans le Marais (Paris), le food hall Eataly fait la part belle à la gastronomie italienne.

Une chute de la fréquentation amplifiée par la crise sanitaire

Le groupe Big Mamma semble bien placé pour investir la restauration d’entreprise de demain. Avec La Felicità qui prend corps au sein du vaste campus la Station F., l’opérateur a démontré sa capacité à animer, seul, un espace de 4 500 m² auxquels s’ajoutent 1 000 m² de terrasse. Avant la crise sanitaire, La Felicità était capable de débiter plus de 4 000 couverts par jour. Elle est considérée comme le plus grand restaurant d’Europe, mais affiche davantage les codes d’une halle gourmande composée de différents comptoirs où l’on peut déguster pizzas et pas tas, des charcuteries ou encore des burgers. Malheureusement, les food courts, tout comme les restaurants traditionnels, subissent de plein fouet une chute de la fréquentation amplifiée par la crise sanitaire et les mesures de distanciation qui en découlent. La mise en place du couvre-feu à 21 h n’a fait qu’enfoncer le clou.

Parmi les victimes de la Covid-19, on peut déjà citer le Trinquet Village (Paris 16e) et ses 2 000 m² de food market. Malgré des bons chiffres durant l’été, les lieux ont fermé leurs portes. « Certains food courts sont donc aujourd’hui mortellement impactés par le couvre-feu… Cette crise peut se surmonter, à condition qu’elle ne dure pas quatre ans », note Dan Cebula. Le modèle économique des food courts est souvent fondé sur l’addition d’un loyer fixe et d’un variable ; or avec des clients aux abonnés absents, la rentabilité des food courts est aujourd’hui soumise à rude épreuve.

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