Le flou artistique qui existe autour du camembert de Normandie pourrait bientôt se dissiper. Dès 2022, le consommateur devrait pouvoir bénéficier de deux AOP qui lui garantiront deux niveaux de qualité. L’appellation actuelle « camembert de Normandie » continuera à exister, mais son cahier des charges sera assoupli. En revanche, une mention « véritable camembert de Normandie » sera créée. Plus exigeante, elle devrait pouvoir accueillir les actuels producteurs inscrits dans la démarche AOP. Cette double AOP devrait mettre fin à une guerre de cent ans autour de ce fromage inventé lors de la révolution française par Marie Harel sur les conseils d’un prêtre réfractaire de la Brie de passage dans la région. En 1909, un Syndicat des fabricants du véritable camembert de Normandie voit le jour et définit ainsi le mode de fabrication du fromage: « Est camembert un fromage à pâte molle égouttée, ni pressée, ni malaxée, légèrement salée, à moisissures superficielles, de format rond, du poids maximum de 350 g, d’un diamètre de 10 à 11 cm, dont la matière sèche renferme un minimum de 38 % de matière grasse, provenant du lait pur de vache et fabriqué en Basse Normandie. »
Une estampille syndicale permet alors de repérer les fromages correspondant à cette définition. Mais, le 20 janvier 1926, un jugement de la cour d’appel d’Orléans décide que le nom de camembert est devenu un terme générique tombé dans le domaine public. les producteurs tentent tout de même de retrouver un signe de qualité en 1968, avec la création d’un label rouge, puis en 1983, avec la création d’une AOC camembert de Normandie. Néanmoins, cette appellation est demeurée affaiblie depuis cette époque par des dénominations concurrentes comme « camembert fabriqué en Normandie » souvent utilisées par les industriels et sans aucune garantie pour le consommateur.
« Depuis 1992, les mentions du type fabriqué en Normandie sont interdites, mais l’État n’a jamais fait respecter cette disposition », déplore Patrick Mercier, président de l’ODG camembert de Normandie. Cette tolérance n’étonne guère quand on considère le poids du marché. Rien qu’en France, il se vend 15 camemberts chaque seconde soit 120000 tonnes par an. Mais seulement 10 % sont fabriqués à base de lait cru. Priver l’industrie agroalimentaire d’une appellation vendeuse pour conforter une production vertueuse mais très minoritaire ne va pas de soi pour les autorités qui ont préféré orienter les différents acteurs vers une conciliation. Même si la Normandie est le pays du compromis, ce dernier a mis du temps à être défini. En 2007, l’Association de défense et de gestion de l’AOP camembert de Normandie est venue remplacer le Syndicat interprofessionnel. Sous la présidence de Patrick Mercier, bien décidé à faire avancer le dossier, un accord a été trouvé entre les petits producteurs et les industriels avec la création de cette AOP à deux vitesses.
Les experts de l’INAO qui sont en train de réviser l’aire d’appellation devraient bientôt rendre leurs conclusions. En effet, la surface du territoire de production devrait être agrandie de 10 à 15 % afin de permettre à des producteurs dont les fabrications correspondent aux nouveaux cahiers des charges, de bénéficier de l’AOP. Patrick Mercier assure que ces deux AOP obligeront les producteurs inscrits dans les deux catégories à faire un bon qualitatif. « Les producteurs de camembert de Normandie seront obligés d’accorder plus de temps à la fabrication de leur fromage, à avoir au moins 30 % de vaches de race normande, à disposer d’au moins 25 ares pâturés par tête ». La barre a aussi été haussée pour les producteurs de véritable camembert de Normandie, obligés de travailler au lait cru, de posséder un troupeau majoritaire en normandes, mais aussi de reconstituer des paysages de haies.
Un des enjeux de la nouvelle AOP est de recourir davantage à un troupeau de race normande.