Saint-Nazaire, la ville qui a renversé son image

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Ville portuaire et industrielle, martyrisée par la Seconde Guerre mondiale, Saint-Nazaire est en train de devenir une destination touristique au prix de plus de 40 ans d’efforts de la municipalité pour transformer les handicaps en atouts. Une évolution qui profite naturellement aux CHR avec des créations d’envergure.

Saint-Nazaire, qui compte 70 000 habitants, voit sa population cesser de décroître. Crédits : L'Auvergnat de Paris.
Saint-Nazaire, qui compte 70 000 habitants, voit sa population cesser de décroître. Crédits : L'Auvergnat de Paris.

À côté de ses pimpantes voisines, Pornichet ou la Baule, Saint-Nazaire a longtemps fait figure de vilain petit canard. Avec ses raffineries en arrière-plan, ses grues, ses vestiges de forges, le paysage de la cité de l’estuaire de la Loire n’invitait pas à la découverte touristique. Elle a été durement marquée par la guerre. Et elle fut la dernière de France à avoir été libérée le 11 mai 1945. Il ne restait alors qu’un champ de ruines à l’exception du quartier de La Havane, miraculeusement épargné par les bombardements alliés, et de l’énorme verrue que représente la base sous-marine installée par les Allemands. Pour protéger ses sous-marins, la Kriegsmarine avait construit ce bloc de béton indestructible de 18 m de haut qui s’étend sur 4 ha. Impossible dès lors de raser ce demi-million de mètres cubes de béton.

Cet héritage du conflit est lourd à porter pour les Nazairiens. Figure de la politique locale, Joël Batteux, décédé en janvier dernier, a occupé le fauteuil de maire entre 1983 et 2014. Il est le premier artisan de la métamorphose de cette cité qui était devenue impersonnelle, quadrillée de grandes avenues. Pour relancer un centre-ville quasi fantôme, il y a créé deux centres commerciaux, le Paquebot, puis le Ruban bleu. Il a commencé à restaurer le front de mer avec de grandes promenades.

C’est également sous ses mandats que, progressivement, la base sous-marine est utilisée pour accueillir des activités. Dès 1987, les touristes ont pu ainsi visiter l’Espadon, un véritable sous-marin français. Ce fut un succès avec 45 000 visiteurs la première année. Durant les 35 ans qui se sont écoulés, ce sont 2,7 millions qui ont suivi. Il était d’ailleurs temps d’opérer une rénovation de ce navire qui vient de s’achever moyennant un investissement de 1,20 M€.

Une offre culturelle

Il y a vingt ans, la base a en outre accueilli un musée, Escal’atlantic qui raconte l’épopée des bateaux transatlantiques. Elle intègre désormais la salle de concert le VIP, une immense terrasse aménagée depuis laquelle on peut actuellement observer le plus grand paquebot du monde en construction de l’autre côté du bassin. Dans les alentours, les touristes peuvent découvrir deux autres musées, Eol, sur l’énergie éolienne et l’Écomusée qui raconte l’histoire étonnante de ce port. Au total, ces quatre musées attirent 340 000 visiteurs par an, un succès qui se révèle sur le plan touristique. Il faut aussi évoquer le théâtre construit dans l’ancienne gare et la gare TGV rénovée en 2019. Mais également un tourisme industriel florissant avec la présence de circuits de visites autour des constructions de paquebots, du port et d’Airbus. La ville fait ainsi partie du réseau Entreprise et découverte.

La dynamique industrielle locale est déterminante dans ce contexte. À côté de l’activité portuaire naturellement en déclin, les Chantiers de l’Atlantique et Airbus ont offert une bouffée d’oxygène au début des années 1990. Plus récemment, l’industrie éolienne marine est venue encore conforter l’économie. Cela a donné les moyens de métamorphoser la ville. Pierre après pierre, Joël Batteux puis son successeur David Samzun, maire depuis 2014, ont fait de Saint-Nazaire une ville séduisante et même« renversante »selon le slogan développé par l’office de tourisme.

iL'Hôtel de la plage de Monsieur Hulot, à Saint Marc. Crédits : L'Auvergnat de Paris.
L'Hôtel de la plage de Monsieur Hulot, à Saint Marc. Crédits : L'Auvergnat de Paris.

Il ne faut pas oublier que la ville peut s’enorgueillir de la présence d’une vingtaine de plages. La plus célèbre est sans doute Saint-Marc. Jacques Tati y a tourné quelque 70 ans auparavant Les Vacances de Monsieur Hulot. Mais ce paysage de carte postale aurait pu disparaître. Il était question en effet, il y a quelques années, que le célèbre hôtel de la plage change d’affectation, faute de repreneurs. Heureusement, une solution a été trouvée. Le lieu accueille désormais deux entreprises, un Hôtel de La plage de Monsieur Hulot sous l’enseigne Best Western (31 chambres) et le Restaurant de la plage de Monsieur Hulot.

Une réorganisation 

Des plages sont également présentes dans le centre-ville et notamment la Grande Plage. En 2018, l’actuel maire, David Samzun a fait le pari d’offrir un lieu de rencontres aux Nazairiens en face de cette zone. Des aires de jeu ont été mises en place. Sur cette place, une demi-douzaine de bars et de restaurants se sont installés. Ces derniers ont rapidement trouvé leur fréquentation non seulement en saison, mais aussi hors saison, contrairement à ce que certains craignaient initialement. Cette offre a d’ailleurs créé un certain déséquilibre dans le centre-ville. Patrons de La Taverne, une enseigne commune (ex-Relais d’Alsace) fédérant 38 indépendants, Alain Hénard et Valérie Lochard détiennent une des plus vastes brasseries, non loin du Paquebot. Elle détient 180 places et dispose en outre d’un étage pour accueillir les groupes. Pour faire fonctionner cette vaste brasserie, 14 employés sont nécessaires.

Alain Hénard est un professionnel chevronné. Il a longtemps travaillé à l’étranger et notamment à New York où il a exploité un restaurant. Il a fait l’acquisition de ce restaurant à la barre du tribunal sur les conseils de son beau-frère, Serge Gomard, créateur des Relais d’Alsace. Cette reprise s’est révélée une réussite puisque comme l’explique Alain Hénard :« Avant la Covid, nous avions fini de rembourser. La crise nous a contraints à prendre un PGE de 115 K€. Nous sommes de nouveau endettés. »

Le restaurateur aimerait une reprise plus franche en centre-ville. Car son affaire, de par son emplacement et son offre, est plus performante l’hiver que l’été. Il souhaite notamment que la redynamisation du centre-ville engagée par la municipalité aboutisse.« Nous sommes situés au milieu d’une équerre formée par deux centres commerciaux qui ne sont pas performants. » En effet, le Ruban bleu, détenu par des capitaux privés, affiche de nombreux espaces commerciaux vacants.

iAlain Hénard, patron de la Taverne. Crédits : L'Auvergnat de Paris.
Alain Hénard, patron de la Taverne. Crédits : L'Auvergnat de Paris.

Assurer le trafic

Melvyn Bernard, 22 ans, dirige un des bars du lieu, l’R du Temps, créé en 2015 par Vincent Mercier, décédé le 13 avril 2020. L’endroit est spectaculaire avec son grand comptoir et un immense mur de bibliothèque contenant 4 000 livres. L’établissement connaît traditionnellement une belle activité avec une clientèle de jeunes et il a vite redémarré après la réouverture. Melvyn aimerait que le Ruban bleu rassemble davantage de commerces. Il se félicite toutefois que certaines grandes enseignes de prêt-à-porter nationales soient présentes et continuent d’assurer un certain trafic.

L’autre centre commercial, le Paquebot, n’est guère mieux loti. Il est d’ailleurs en pleins travaux pour créer une passerelle qui va réunir les deux ailes. Il va également changer de nom. Désormais, le nouveau Paquebot numérique va accueillir à l’étage des entreprises numériques. Elle recevra aussi une école d’ingénieurs de ce secteur rassemblant 500 étudiants. La ville mise sur ce projet pour relancer la commercialité du quartier.

Des logements plus attrayants

Plus globalement, la Sonadev, société d’économie mixte, est chargée par la ville et la Carene (Agglomération) de réorganiser positivement l’habitat et la commercialité du centre-ville. Au fil des années, elle a ainsi fait disparaître des immeubles peu esthétiques construits à la hâte après la guerre pour bâtir des logements plus attrayants.« Nous avons aussi un problème commercial,souligne Loïk Buttet, directeur de projet de l’organisme.Le taux de vacances des emplacements était de 20 %. Il faut bien comprendre que la zone de chalandise de Saint-Nazaire s’est réduite au fil des années avec la construction de nombreux centres commerciaux aux alentours. Le périmètre commercial est ainsi devenu surdimensionné. Il convient aujourd’hui de réduire sa surface en affectant les commerces à l’extrême centre. Il faut également privilégier des activités de service tertiaire autour. »

Répondant à une mission confiée en 2015, la Sonadev a le pouvoir de préempter les commerces afin de réorganiser l’ensemble. Elle a ainsi acheté 15 commerces pour les réaffecter. Parmi eux figure le Scott, brasserie proche du Paquebot. Après sa mise en liquidation judiciaire, la Sonadev a acquis le fonds. Elle espérant ensuite pouvoir prendre le contrôle des murs. Pour Loïk Buttet,« il était important, pour relancer l’animation du quartier du Paquebot. Il fallait que cet emplacement conserve sa vocation de brasserie. Un appel d’offres sera lancé pour attribuer ce restaurant à un entrepreneur proposant un projet ambitieux. »

À la faveur de cette série d’initiatives, la ville, très étendue, qui compte 70 000 habitants, voit sa population cesser de décroître. Elle commence seulement à se souvenir que, avant guerre, on la surnommait«la petite Californie bretonne».

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