Anne Coruble, bousculer l’ordre établi

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Anne Coruble, cheffe pâtissière du Peninsula (Paris 16e) ne se refuse jamais rien dans la confection de ses desserts de haute voltige. Elle ne cesse de tracer les contours d’une identité gastronomique déjà profondément marquée et marquante.

Anne Coruble
Anne Coruble. Crédit : DR.

Le Guide rouge lui a décerné le prix Passion Dessert en 2021, puis en 2022, c’est le Guide Lebey qui l’auréole du Meilleur Dessert. Plus récemment, La Liste l’a élue Meilleure Cheffe pâtissière 2024… Il n’y a plus aucun doute, à bientôt 30 ans, Anne Coruble, cheffe pâtissière du Peninsula (Paris 16e ) depuis deux ans, joue dans la cour des très grands. Lorsqu’on la rencontre dans l’enceinte du Lobby, l’un des restaurants du Peninsula surnommé – à juste titre – le petit Versailles, c’est l’heure du tea time. Nombreux ceux qui sont venus expressément pour les créations de cette professionnelle aux saveurs aussi audacieuses que délicates.

Anne Coruble, elle, se définit comme une personne « à la fois entière et curieuse avec un tempérament de pile électrique ». Avant de préciser, « par exemple, je marche toujours vite dans les couloirs du Peninsula, c’est mon tempérament ». La jeune cheffe a grandi en Normandie « dans un très petit village en bord de mer entre Veulesles-Roses et Dieppe », souligne-t-elle. De cette enfance, elle affirme avoir conservé « le goût des bons produits ; celui du beurre, de la crème, des pommes, ainsi que les saveurs iodées des algues et des crustacés ». À l’âge de 12 ans, Anne Coruble commence à se passionner pour l’univers de la pâtisserie : « j’aimais reproduire à l’identique ce que je voyais sur les photos des livres de recettes ».

À cette époque, Anne Coruble possède déjà un goût prononcé pour la rigueur et la précision. Une fois arrivée au lycée, elle choisit de suivre la filière scientifique et obtient son bac S, avec une mention « Très bien ». La bachelière hésite alors entre deux disciplines, dont le dénominateur commun n’est autre que la rigueur : la médecine d’un côté et la pâtisserie de l’autre. Ce qui fera pencher la balance en faveur du fouet et des casseroles, c’est sans nul doute « le côté créatif ». « En pâtisserie aussi il faut calculer et peser. Finalement, il y a beaucoup de liens avec les sciences et donc avec la médecine », indique-t-elle. Dès lors, Anne Coruble intègre l’École Ferrandi (Paris 6e), où elle suit un CAP pâtissier et une mention complémentaire « chocolaterie-confiseur ». Elle passe ensuite un Brevet technique des métiers (BTM) pâtisserie-chocolaterie-glacerie-boulangerie qu’elle poursuit en alternance auprès de l’ancien chef pâtissier du Bristol (Paris 8e ), Laurent Jeannin. De ce dernier, elle retient encore « la vivacité et la créativité sur un très court terme. Il savait créer des desserts à la minute, cela m’a beaucoup marquée. Je m’en suis beaucoup inspirée, même si ce n’est pas ma façon de travailler aujourd’hui », déclare-t-elle.

« Ce qui est intéressant c’est d’aller vers ce que l’on ne maîtrise pas. »
Anne Coruble, Cheffe du Peninsula (Paris 16e)

Puis, toujours au Bristol, elle se retrouve sous la houlette de Julien Alvarez, actuel chef exécutif de la maison Ladurée et champion du monde de pâtisserie en 2011. « Il m’a énormément appris, reconnaît-elle. C’est quelqu’un d’extrêmement précis, doté de beaucoup d’humilité. » Arrivée au Peninsula en 2019, elle gravira rapidement les échelons. Au bout de trois ans, elle devient responsable des équipes pâtisseries du palace parisien. « C’est un métier de transmission. Si l’on ne donne pas de conseils, si l’on ne livre pas nos façons de créer, on ne peut pas constituer des équipes épanouies. Je veux que les personnes avec lesquelles je travaille développent leurs sens et leurs émotions, alors je ne bride jamais personne. C’est de là qu’émane la création », confesse la cheffe.

Une cheffe audacieuse

Créative, Anne Coruble l’est. Quant à son caractère audacieux, elle l’est certainement encore plus. « C’est très commun pour moi de travailler les huîtres en dessert », déclare-t-elle dans un éclat de rire, avant d’ajouter: « Les asperges, les olives ou encore le tabac, sont aussi des sources d’inspiration. » La cheffe aime braver l’ordre établi. « Ce qui est intéressant, c’est d’aller vers ce que l’on ne maîtrise pas, assure-t-elle. En effet, nous avons tous des matières premières que nous avons l’habitude de travailler. Tout le monde aime la vanille, la noisette ou encore le chocolat. Mais c’est important d’aller vers des choses qui, de prime abord, ne nous parlent pas ou peu. Cela anime la curiosité, à la fois celle des clients mais aussi celle de celui qui crée. »

C’est ainsi que, au fil du temps, Anne Coruble commence à « travailler la pâtisserie en utilisant les codes de la cuisine ». Elle s’inspire alors des bouillons, que l’on retrouve en plat ou en entrée, pour créer des condiments qu’elle utilisera ensuite dans ses desserts. Toutefois, la cheffe pâtissière lorgne également sur le monde de la mixologie : « Il faut aller voir tout ce qui nous entoure. Dans un palace il y a un barman, un chef de cuisine… Cela fait beaucoup de choses à apprendre et c’est comme ça que je crée mon identité. J’ai envie de marquer les esprits. Il arrive peut être que les gens trouvent certains de mes desserts un peu osés, mais c’est vraiment un parti pris. »

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