Ludovic Conilleau, de Gaza au bar branché

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Historien de formation, Ludovic Conilleau est à la tête du Cannibale Café depuis bientôt 20 ans. Dans ce bar élégant du 11e arrondissement de Paris, installé en haut de la rue Jean-Pierre Timbaud et sous le boulevard de Belleville, cet ancien responsable du centre culturel français de Gaza porte un regard nouveau sur son métier de restaurateur.

Ludovic Conilleau
Ludovic Conilleau. Crédit : DR.

« J’étais destiné à être un rat de bibliothèque. Par chance, je m’étais spécialisé sur le monde arabe, donc j’ai réussi à avoir un poste en Palestine, où j’ai bossé pendant un an et demi pour le consulat à Gaza. Là-bas, beaucoup de choses se sont déclenchées dans ma personnalité », explique Ludovic Conilleau, propriétaire du Cannibale Café (Paris, 11e), encore très à l’aise avec les récits. Et notamment celui concernant son parcours. Après s’être occupé de la sous-direction de l’établissement public, l’homme de 49 ans est rentré en France alors que la tension politique et sociale était à son comble. « Je suis reparti quand Sharon [Premier ministre israélien, NDLR] s’est pris des pierres sur l’Esplanade des mosquées [septembre 2000, NDLR]. Ça commençait à chauffer un peu et j’étais déprimé […] Il ne me reste pas grand-chose de cette histoire, par contre cela m’a donné le goût de faire et de ne plus être dans la symbolique », reconnaît-il. Très attaché au zinc des bistrots parisiens, il revient fréquemment dans la capitale française pour humer – dès qu’il le peut – cette atmosphère particulière. À son retour en France, son objectif est d’ailleurs de monter un bar. Mais son projet de financement avorte. Il devient donc concepteur rédacteur pour une agence créée… par un historien. Ludovic Conilleau met alors sa plume au service de marques de luxe, du whisky et d’autres alcools. Mais l’aventure s’arrête assez rapidement, faute de budget, après les attaques terroristes du 11 septembre 2001. « C’est là que je me suis retrouvé à bosser ici à mi-temps, et dans un autre bar du quartier sur l’autre mi-temps, se souvient le patron du Cannibale. J’ai fait six mois comme barman mais je ne savais pas que j’allais le reprendre. Je n’avais pas d’apport, rien. J’ai eu de la chance. » Ancien café de bougnat, il y a un plus d’un siècle, le Cannibale aurait été l’un des repères du gang des postiches, dont une partie des membres étaient originaires de Belleville. Il a ensuite été repris par une propriétaire anglaise, Sheridan Williams, qui lui donna son nom actuel au milieu des années 1990. La brasserie disposait déjà d’un certain cachet mais la clientèle était composée de nombreux dealers. « C’était le bar à coke du quartier. C’est pour ça qu’il ne valait pas grand-chose. L’ancien gérant voulait vendre à tout prix et partir vite », confie Ludovic Conilleau, propriétaire de l’établissement depuis juillet 2003 grâce à la revente d’un « minuscule appartement à Père-Lachaise », acquis avec un crédit immobilier au moment de son passage comme concepteur rédacteur. Lors des deux premières années à la tête du bar faisant l’angle des rues Jean-Pierre-Timbaud et du Moulin-Joly, le nouveau patron poste un employé, chargé de la sécurité, tous les jours à l’entrée de l’établissement. Aujourd’hui, ce café situé à mi-chemin entre Belleville et Ménilmontant, a bien changé de clientèle. Des artistes, des acteurs et des personnes évoluant dans des professions intellectuelles l’ont adopté. Mais son propriétaire, bardé de tatouages, souhaite conserver l’âme rock insufflée par l’ancienne maîtresse du lieu, dans un cadre apaisé. « Les premières années étaient extrêmement instinctives, avec un positionnement qui était simple. Ici, c’est une chapelle. La rue est ce qu’elle est. Mais Le Cannibale, c’est une chapelle, soutient Ludovic Conilleau. J’ai toujours observé une gentrification très lente, un peu feignante. Je n’ai jamais trouvé le bar très bobo, je le trouve plus branché que bobo. »

La rue est ce qu’elle est. Mais le Cannibale, c’est une chapelle.
Ludovic Conilleau, Patron du Cannibale Café, Paris 11e

Selon le propriétaire de l’enseigne, l’évolution du quartier s’est opérée depuis quatre ou cinq ans. Une période où l’offre de restauration est devenue plus sérieuse, mieux sourcée et avec de meilleurs produits. Ce qu’il défend d’ailleurs aujourd’hui. « En 2013, quand j’ai monté Joséphine [bar situé rue Moret, tout près, rebaptisé et dont il est propriétaire, NDLR], je me suis vraiment intéressé aux produits – la food, les cocktails et autres. J’ai vu un bon potentiel pour le Cannibale, qui commençait à s’essouffler. » Le restaurateur engage alors un chef sorti major de Ferrandi pour proposer, au Cannibale, « une vraie cuisine de brasserie, mais fine ». L’établissement offre donc des plats du jour maison faits maison (dont un plat végétarien) à 12 €, ou à 15 € avec entrée ou dessert, et 18 € la formule complète. L’origine des produits et des fournisseurs du café – en termes de vins, de viandes, de fromages et de fruits de mer – est même détaillée sur son site Internet. Alors que l’offre de restauration fut longtemps reléguée au second plan, « le noyau très dur du Cannibale est la cuisine », affirme son propriétaire. Sa projection est aujourd’hui « de bien comprendre le virage qui est en train de se faire » au niveau des ressources humaines, afin de constituer une équipe stable. Et pour cela, il ne faut pas hésiter à recruter les meilleurs. « Par contre, ajoute-t-il, il faut vraiment payer au-dessus du marché. »

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